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Ah! vous êtes trop bon. Je sens au fond du cœur
Tout le prix qu'on doit mettre à cet excès d'honneur.
Il est vrai, j'ai raillé saint Médard et la bulle;
Mais j'ai sur la nature encor quelque scrupule :
L'univers m'embarrasse; et je ne puis songer
Que cette horloge existe, et n'ait point d'horloger.
Mille abus, je le sais, ont régné dans l'Eglise :
Fleury le confesseur en parle avec franchise.
J'ai pu
de les siffler prendre un peu trop de soin:
Et quel auteur, hélas! ne va jamais trop loin?
De saint Ignace encore on me voit souvent rire:
Je crois pourtant un Dieu, puisqu'il faut vous le dire.
-Ah, traître! ah, malheureux! je m'en étais douté.
Va, j'avais bien prévu ce trait de lâcheté,

Alors que, de Maillet insultant la mémoire,
Du monde qu'il forma, tu combattis l'histoire....
Ignorant! vois l'effet de mes combinaisons :
Les hommes autrefois ont été des poissons;
La mer de l'Amérique a marché vers le Phase;
Les huîtres d'Angleterre ont formé le Caucase:
Nous te l'avions appris; mais tu t'es éloigné
Du vrai sens de Platon, par nous seuls enseigné.
Lâche! oses-tu bien croire une essence suprême ?
Mais oui. De la nature as-tu lu le système?

Par ses propos diffus n'es-tu pas foudroyé?
Que dis-tu de ce livre ? - Il m'a fort ennuyé....
- C'en est assez, ingrat : ta perfide insolence
Dans mon premier concile aura sa récompensé.

Va, sot adorateur d'un fantôme impuissant,
Nous l'avions jusqu'ici préservé du néant;
Nous t'y ferons rentrer, ainsi que ce grand être
Que tu prends bassement pour ton unique maître.
De mes amis, de moi tu seras méprisé.

-Soit. Nous insulterons à ton génie usé.

--

-

-J'y consens. Des fatras de brochures sans nombre Dans ta bière à grands flots vont tomber sur ton ombre. Je n'en sentirai rien. - Nous t'abandonnerons Aux puissans Langlevieux, aux immortels Frérons. -Ah! bachelier du diable, un peu plus d'indulgence; Nous avons, vous et moi, besoin de tolérance. Que deviendrait le monde et la société Si tout, jusqu'à l'athée, était sans charité? Permettez qu'ici-bas chacun fasse à sa tête. J'avoûrai qu'Épicure avait une àme honnête, Mais le grand Marc-Aurèle était plus vertueux; Lucrèce avait du bon, Cicéron valait mieux; Spinosa pardonnait à ceux dont la faiblesse D'un moteur éternel admirait la sagesse. Je crois qu'il est un Dieu; vous osez le nier: Examinons le fait sans nous injurier.

J'ai désiré cent fois, dans ma verte jeunesse, De voir notre saint-père, au sortir de la messe, Avec le grand lama dansant un cotillon; Bossuet le funèbre embrassant Fénélon,

Et, le verre à la main, le Tellier et Noailles Chantant chez Maintenon des couplets dans Versailles.

Je préférais Chaulieu coulant en paix ses jours,
Entre le dieu des vers et celui des amours,
A tous ces froids savans dont les vieilles querelles
Traînaient si pesamment les dégoûts après elles.

Des charmes de la paix mon cœur était frappé; J'espérais en jouir : je me suis bien trompé.

On cabale à la cour, à l'armée, au parterre;
Dans Londres, dans Paris, les esprits sont en guerre
Ils y seront toujours. La Discorde autrefois,
Ayant brouillé les dieux, descendit chez les rois;
Puis dans l'église sainte établit son empire,
Et l'étendit bientôt sur tout ce qui respire.
Chacun vanta la paix, que partout on chassa.
On dit que seulement par grâce on lui laissa
Deux asiles fort doux ; c'est le lit et la table.
Puisse-t-elle y fixer un règne un peu durable!
L'un d'eux me plaît encore. Allons, amis, buvons;
Cabalons pour Chloris, et faisons des chansons.

VOLTAIRE.

(1800).

Le siècle qui versa des torrens de lumière A peine commençait sa brillante carrière, Que déjà la Morale, en vêtemens de deuil, Descendait de son trône, et marchait au cercueil : Les Mours avaient perdu leur puissance céleste; Le vice infectait tout de son souffle funeste : Mais nous gardions encor quelques dehors heureux ; Un masque séduisant cachait des traits affreux; Notre adresse opposait aux passions grossières La douceurs du jargon, le poli des manières; Notre orgueil relevait l'indigent abattu, Et l'honneur parmi nous tenait lieu de vertu. Les temps sont bien changés! Ce naturel affable Qui jadis nous valut le nom de peuple aimable, Le folâtre enjoûment, doux trésor des heureux, Font place aux noirs soucis, aux chagrins ténébreux. Le charme disparaît. Les Grâces éplorées, En essaim fugitif désertant nos contrées, Vont fixer leur séjour dans un autre univers, Pareilles aux oiseaux que chassent les hivers. Las de se dérober aux regards de l'Europe, Le Vice foule aux pieds sa magique enveloppe. Au comble de ses vœux le voilà parvenu : Il triomphe, ravi de se montrer à nu.

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