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BARBOUILLEURS de papier, d'où viennent tant d'intrigues,

Tant de petits partis, de cabales, de brigues?
S'agit-il d'un emploi de fermier-général,

Ou du large chapeau qui coiffe un cardinal?..
Etes-vous au conclave? aspirez-vous au trône
Où l'on dit qu'autrefois monta Simon-Barjonc?
Cà, que prétendez-vous? - De la gloire. - Ah, gredin!
Sais-tu bien que cent rois la briguèrent en vain ?
Sais-tu ce qu'il coûta de périls et de peines

Aux Condés, aux Sullis, aux Colberts, aux Turennes,
Pour avoir une place, au haut du mont sacré,
De sultan Mustapha pour jamais ignoré?

Je ne m'attendais pas qu'un crapaud du Parnasse
Eût pu, dans son bourbier, s'enfler de tant d'audace.

- Monsieur, écoutez-moi ; j'arrive de Dijon,

Et je n'ai ni logis, ni crédit, ni renom.

J'ai fait de méchans vers; et vous pouvez bien croire
Que je n'ai pas le front de prétendre à la gloire:
Je ne veux que l'ôter à quiconque en jouit.
Dans ce noble métier, l'ami Fréron m'instruit ;
Monsieur l'abbé Profond m'introduit chez les dames;
Avec deux beaux esprits nous ourdissons nos trames.
Nous serons dans un mois l'un de l'autre ennemis,
Mais le besoin présent nous tient encore unis.

Je me forme sous eux dans le bel art de nuire;
Voilà mon seul talent; c'est la gloire où j'aspire.

-Laissons la de Dijon ce pauvre garuement,
Des bâtards de Zoile imbécille instrument;
Qu'il coure à l'hôpital, où son destin le mène.

Allons nous réjouir aux jeux de Melpomene...
Bon! j'y vois deux partis l'un à l'autre opposés;
Léon dix et Luther étaient moins divisés.
L'un claque, l'autre siffle; et l'antre du parterre,
Et les cafés voisins, sont le champ de la guerre.

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Je vais chercher la paix au temple des chansons: J'entends crier: Lulli, Campra, Rameau, Bouffons, Êtes-vous pour la France, ou bien pour l'Italie ? —Je suis pour mon plaisir, messieurs. Quelle folie Vous tient ici debout sans vouloir écouter? Ne suis-je à l'Opéra que pour y disputer?

-Je sors, je me dérobe aux flots de la cohue; Les laquais assemblés cabalaient dans la rue. Je me sauve avec peine aux jardins si vantés Que la main de Le Nôtre avec art a plantés (1). D'autres fois à l'instant une troupe m'arrête: Tous parlent à la fois, tous me rompent la tête... Avez-vous lu sa pièce? il tombe, il est perdu; Par le dernier journal je le tiens confondu. --Qui? de quoi parlez-vous? d'où vient tant de colère? Quel est votre ennemi? - C'est un vil téméraire,

(1) Le jardin des Tuileries et celui du Luxembourg.

Un rimeur insolent qui cause nos chagrins;
Il croit nous égaler en vers alexandrins.

- Fort bien: de vos débats je conçois l'importance.
Mais un gros de bourgeois de ce côté s'avance.
Choisissez, me dit-on, du vieux ou du nouveau.
-Je croyais qu'on parlait d'un vin qu'on boit sans eau,
Et qu'on examinait si les gourmets de France
D'une vendange heureuse avaient quelque espérance;
Ou que des érudits balançaient doctement
Entre la loi nouvelle et le vieux testament.
Un jeune candidat, de qui la chevelure
Passait de Clodion la royale coiffure,

Me dit d'un ton de maître, avec peine adouci :

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-Ce sont nos parlemens dont il s'agit ici;

Lequel préférez-vous? — Aucun d'eux, je vous jure.
Je n'ai point de procès, et, dans ma vie obscure,
Je laisse au roi mon maître, en pauvre citoyen,
Le soin de son royaume, où je ne prétends rien,
Assez de grands esprits, dans leur troisième étage,
N'ayant pu gouverner leur femme et leur ménage,
Se sont mis par plaisir à régir l'univers :

Sans quitter leur grenier ils traversent les mers;
Ils raniment l'état, le peuplent, l'enrichissent;
Leurs marchands de papier sont les seuls qui gémissent.
Moi, j'attends dans un coin que l'imprimeur du roi
M'apprenne pour dix sous mon devoir et ma loi.
Tout confus d'un édit qui rogne mes finances,
Sur mes biens écornés je règle mes dépenses.

Rebuté de Plutus, je m'adresse à Cérès:
Ses fertiles trésors garnissent mes guérets.

La campagne, en tout temps par un travail utile,
Répara tous les maux qu'on nous fit à la ville.
On est un peu faché, mais qu'y faire?... Obéir.
A quoi bon cabaler quand on ne peut agir?
— Mais, monsieur, des Capets les lois fondamentales,
Et le grenier à sel, et les cours féodales,

Et le gouvernement du chancelier Duprat...
- Monsieur, je n'entends rien aux matières d'état:
Ma loi fondamentale est de vivre tranquille.
La frondè était plaisante, et la guerre civile
Amusait la grand'chambre et le coadjuteur.
Barricadez-vous bien; je m'enfuis, serviteur.

A peine ai-je quitté mon jeune énergumène,
Qu'un groupe de savans m'enveloppe et m'entraîne.
D'un air d'autorité l'un d'eux me tire à part....
-Je vous goûtai, dit-il, lorsque de saint Médard
Vous crayonniez gaîment la cabale grossière,
Gambadant pour la grâce au coin d'un cimetière ;
Les billets au porteur des chrétiens trépassés ;
Les fils de Loyola sur la terre éclipsés:
Nous applaudîmes tous à votre noble audace
Lorsque vous nous prouviez qu'un maroufle à besace,
Dans sa crasse orgueilleuse à charge au genre humain,
S'il eût bêché la terre eût servi son prochain.
Jouissez d'une gloire avec peine achetée;

Acceptez, à la fin, votre brevet d'athée.

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