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deuil, se douloir, se condouloir1; ni joie, s'éjouir2, bien qu'il fasse toujours se réjouir, se conjouir3, ainsi qu'orgueil, s'énorgueillir. On a dit gent: le corps gent; ce mot si facile non seulement est tombé, l'on voit même qu'il a entraîné gentil dans sa chute. On dit diffamé, qui dérive de fame 6, qui ne s'entend plus. On dit curieux, dérivé de cure7, qui est hors d'usage. Il y avait à gagner de dire si que pour de

donné comme « peu usité » par Furetière, comme « vieux » par l'Académie.

1. Douloir, omis par Richelet, est noté comme vieux ou presque hors d'usage par les deux autres dictionnaires. Se condouloir avec quelqu'un de la mort d'une personne est fort bien dit, déclarait Vaugelas en 1647. Mais un peu plus tard, il l'abandonnait, et, après lui, Bouhours en 1673 et Alemand (Nouvelles Observations) en 1688. Furetière et l'Académie conservent l'infinitif, dont Saint-Simon, entre autres, s'est servi.

2. S'éjouir, omis par les trois grands dictionnaires du dix-septième siècle, a cependant pour lui l'autorité de Pascal, de La Fontaine, de Saint-Simon. (Voir Littré.)

3. Se conjouir. Le Dictionnaire de l'Ancien langage françois, de Sainte-Palaye, note les formes conjoir, congoir, ou conjouir. « Quand ils eurent un petit esté ensemble et conjoüi l'un l'autre. » Froissart. Ce mot est donné en 1694, sans observation, par le Dictionnaire de l'Académie; mais l'édition de 1718 marque déjà qu'il vieillit. Dans la littérature, les exemples postérieurs au seizième siècle sont rares. (Voy. Littré.)

4. Gent, vieux mot », dit Furetière. Voiture, Molière et les poètes

légers l'ont employé volontiers.

5. Gentil, « autrefois mot élégant», dit le P. Bouhours; - et nos anciens auteurs s'en servent beaucoup. Tout est gentil parmi eux: le gentil rossignol, le gentil printemps; une gentille entreprise. Mais maintenant on n'en use point dans les livres. » Remarques nouvelles, deuxième édition, 1676. De même Richelet: « Mot vieux et burlesque pour dire propre.... Lorsqu'on parle sérieusement, on dit joli.» Furetière et l'Académie acceptent gentil sans observations.

6. Fame « n'est en usage qu'en cette phrase de pratique (c.-à-d. du langage judiciaire) : rétabli en sa bonne fame et renommée. » Furetière, Académie (1694).

7. Cure, omis, dans le sens de soin, par Richelet. Selon Furetière et l'Académie, il n'est plus d'usage que dans le proverbe : « On a beau prêcher à qui n'a cure de bien faire. » La Fontaine, Saint-Simon, P.-L. Courier l'ont employé. (Voy. Littré.)

8. Si que, « bien que très familier, écrit Vaugelas (Remarques, 1647), plusieurs personnes qui sont en réputation d'une haute éloquence », est tout à fait barbare». Du reste, le sévère grammairien condamne aussi de façon que, de manière que, comme des

sorte que, ou de manière que; de moi1, au lieu de pour moi2 ou de quant à moi, de dire je sais que c'est qu'un mal3, plutôt que je sais ce que c'est qu'un mal, soit par l'analogie latine, soit par l'avantage qu'il y a souvent à avoir un mot de moins à placer dans l'oraison1. L'usage a préféré par conséquent à par conséquence, et en conséquence à en conséquent, façons de faire à manières de faire, et manières d'agir à façons d'agir.....; dans les verbes, travailler à ouvrer, être accoutumé à souloir", convenir à duires, faire du bruit à bruire, injurier à vilainer 10, piquer

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locutions très peu élégantes. « Il
faut dire si bien que, de sorte
que, tellement que. » L'Académie,
dans ses Observations de 1704 sur
Vaugelas, admet de manière que,
de façon que,
qui sont dans les
ouvrages des meilleurs auteurs ».
1. Malherbe est l'un des derniers
écrivains qui aient employé cette
locution: « De moi, toutes les fois
que j'arrête les yeux. » Vaugelas et
Ménage auraient voulu, avec raison,
garder au moins en poésie cette
formule « fort bonne et fort élé-
gante ».

2. Les mêmes grammairiens voulaient réserver pour moi à la prose. Quant à moi, condamné par Bouhours et Ménage, a survécu.

3. Corneille a souvent employé que pour ce que. Ainsi, dans Horace, V, 2: « Le roi ne sait que c'est d'honorer à demi. » Néanmoins Vaugelas, dès 1647, notait cette forme comme surannée, et l'Académie, en 1704 (Observations sur Vaugelas), déclare que c'est « une façon de parler très vicieuse ».

4. Dans le discours. Voy. p. 29, n. 1; p. 472; p. 512; p. 531.

5. Ces locutions sont maintenant employées indifféremment.

6. Ouvrer n'était plus guère en usage au dix-septième siècle qu'en cette phrase: « Il est défendu d'ouvrer (de travailler, operari) les dimanches et fêtes. » Furetière.

7. Souloir (de solere). « On le dit encore en pratique (en langage judiciaire). » Furetière. « Vieux et hors d'usage.» Richelet, Académie.

«

8. Duire (de ducere), « s'est employé jusqu'au commencement du dix-septième siècle. On trouve dans le dictionnaire de Nicot [1606] : Ces choses duisent à la santé. » Danet [Dictionnaire, 1677] donne duire, actif et neutre. » Godefroy, Dict. de l'ancien français. « Burlesque », selon Richelet, «bas »>, suivant l'Académie, il est accepté par Furetière. La Fontaine et Diderot s'en sont encore servis, et on le conserve de nos jours dans certaines provinces. Voy. Littré.

9. Bruire, accepté par Richelet, Furetière et l'Académie. Furetière seul en restreint l'usage au vent, au tonnerre, etc.

10. Vilainer n'est donné par aucun des trois dictionnaires. « Vilener, souiller. » « Vilener la face de boue. Robert Estienne. Dict. de Sainte-Palaye. Cf. p. 217, n. 4.

à poindre1, faire ressouvenir à ramentevoir2...; et dans les noms, pensées à pensers 3, un si beau mot, et dont le vers se trouvait si bien! grandes actions à prouesses, louanges à loz5, méchanceté à mauvaistié, porte à huis, navire à nef, armée à ost, monastère à monstier, prairies à prées...; tous mots qui pouvaient durer ensemble d'une égale beauté et rendre une langue plus abondante. L'usage a, par l'addition,

1. Poindre (pungere), pour offenser, est « français, dit Richelet, mais peu usité ». Selon Furetière et l'Académie, il n'a plus guère d'usage que dans la phrase proverbiale : «Oignez vilain, il vous poindra; poignez vilain, il vous oindra. »

2. Donné par Furetière seul, et comme vieux. (Re-ad-mentemhabere.) Cf. p. 135, n. 2.

3. Richelet et l'Académie n'admettent pensers qu'en poésie; Furetière seul l'accueille sans réserves. Voyez dans Littré de nombreux exemples de ce beau mot que nos meilleurs écrivains ne se décident pas à laisser périr.

4. « Les délicats du temps »>, à la suite de Vaugelas, bannissaient ce mot du « beau style. » Thomas Corneille (édition de Vaugelas, 1687) et Furetière (1690) protestent timidement contre cette exclusion, que 'Académie, en 1704, confirme : «Prouesse ne peut s'employer qu'en mauvaise part ou par plaisanterie. » Ce mot se rattache à preux, dont l'étymologie est incertaine pro (avant, devant) ou probus.

5. De même los est renvoyé par Richelet et l'Académie au burlesque. Régnier, La Fontaine, SaintSimon, Victor Hugo, pour ne citer qu'eux, ne l'en ont pas moins employé. Voy. Littré.

6. Mauvaistié est donné seule

ment par Furetière. Très usité au seizième siècle (Marot, Baïf, Montaigne, cités par Godefroy, Dictionnaire), mauvaistié se trouve encore dans quelques écrivains du dix-septième (Régnier, D'Urfé). Prées ne se trouve plus dans les dictionnaires du temps; huis (ostium) y est représenté comme un mot qui vieillit et qui même est tombé en désuétude hors du Palais; nef (navis), comme un mot de la langue poétique et du style burlesque, ou encore comme un vieux mot conservé dans les enseignes; monstier (monasterium), que l'on prononçait en général moutier, et ost (hostis), comme des termes désormais inusités en dehors de quelques expressions proverbiales.

7. V. p. 224, n. 4; 529, n. 1, etc.

8. Si l'on veut prendre une idée des scrupules et des discussions que l'usage de ces différents mots souleva au dix-septième siècle, il faut parcourir les Advis et présens de la demoiselle de Gournay, 1641; Saint-Évremond, la Comédie des Académistes, 1645; Somaize, le Dictionnaire des Précieuses; les Remarques de Vaugelas (1647) avec les commentaires d'Alemand, de Patru et de Thomas Corneille, et de l'Académie française (1676-1704); la Requête des Dictionnaires et les

la suppression, le changement ou le dérangement de quelques lettres, fait frelater de fralater 2, prouver de preuver, profit de proufit, froment de froument, profil de pour fil, provision de pourveoir, promener de pourmener, et promenade de pourmenade. Le même usage fait, selon l'occasion, d'habile, d'utile, de facile, de docile, de mobile et de fertile, sans y rien changer, des genres différents : au contraire de vil, vile; subtil, subtile, selon leur terminaison, masculins ou féminins 3. Il a altéré les terminaisons anciennes : de scel il a fait sceau; de mantel, manteau; de capel, chapeau; de coutel, couteau; de hamel, hameau; de damoisel, damoiseau; de jouvencel*, jouvenceau; et cela sans que l'on voie guère ce que la langue française gagne à ces différences et à ces changements. Est-ce donc faire pour le progrès d'une

Observations (1673-76) de Ménage sur Vaugelas; la Guerre civile des Français sur la Langue (1688), par Alemand; les Nouvelles observations de Marguerite Buffet (1668), les ouvrages du P. Bouhours (16711692) et du sieur de Caillières (16901695), etc.

1. Voir les Grammaires historiques de Brachet, Clédat, Brunot, Chassang, et autres philologues nos contemporains.

2. Fralater est en effet la forme habituelle au seizième siècle. Ce mot vient du flamand verlaten. Preuver est encore donné en 1680 par Richelet. On a dit aussi fourment avant de venir à froment. La remarque de La Bruyère sur les mots pourfil, pourveoir, etc., est juste en ce sens que, dans la formation du français populaire, le pro latin est devenu pour; c'est généralement par l'influence des savants que l'on en est revenu à la forme pro. 3. Il faut remarquer que les adjectifs en il que cite La Bruyère,

viennent des mots latins qui ont un i long et portant l'accent; tandis que les adjectifs en ile (pour les deux genres) ont en latin un i bret et atone. Ces derniers sont, comme l'a dit M. Littré, entrés secondairement dans la langue française: la forme ancienne tirée de mobilis était meuble; de facilis la langue ancienne eût dérivé fele. (Voy. Littré, Hist. de la lang. française, I.)

4. Ces mots, au moyen âge, se terminaient au cas sujet singulier et au cas régime pluriel en els ou en aus, iaus; au cas régime singulier et an cas sujet pluriel en el. C'est la forme aus qui, perdant son s, a fini par prévaloir dans les noms que cite ici notre auteur. Il n'est pas exact de dire que l'on ait fait sceau de scel, manteau de mantel, etc.

5. Faire pour,... Contribuer à... travailler pour : « Soyons à notre tour de leur grandeur jaloux, || Et comme ils font pour eux, faisons aussi pour nous. » Corneille, Nico

langue que de déférer à l'usage? Serait-il mieux de secouer le joug de son empire si despotique? Faudrait-il, dans une langue vivante, écouter la seule raison, qui prévient les équivoques, suit la racine des mots et le rapport qu'ils ont avec les langues originaires dont ils sont sortis, si la raison, d'ailleurs, veut qu'on suive l'usage1?

Si nos ancêtres ont mieux écrit que nous, ou si nous 'emportons sur eux par le choix des mots, par le tour et l'expression, par la clarté et la brièveté du discours, c'est une question souvent agitée, toujours indécise: on ne la terminera point en comparant, comme l'on fait quelquefois, un froid écrivain de l'autre siècle aux plus célèbres de celui-ci, ou les vers de Laurent 2, payé pour ne plus écrire, à ceux de MAROT 3, et de DESPORTES *. Il faudrait, pour prononcer juste sur cette matière, opposer siècle à siècle, et excellent ouvrage à excellent ouvrage, par exemple, les meilleurs rondeaux de BENSERADE ou de VOITURE6 à ces deuxci, qu'une tradition nous a conservés, sans nous en marquer le temps ni l'auteur" :

mède, dans

Lexique de Godefroy. « Ce que vous dites là fait pour moi.» Dict. de l'Académie, 1694.

1. C'est ainsi que Vaugelas et à sa suite presque tous les grammairiens du dix-septième siècle jugeaient raisonnable de se soumettre aveuglément à l'usage, au bon usage, à l'usage des « bons écrivains » et « de la plus saine partie de la cour ». Cf. Horace, Art. poét., 71 et 72.

2. Laurent, mauvais poète qui, de 1685 à 1688, avait raconté en vers les fêtes de la cour et les fêtes de Chantilly.

3. Voy. p. 47, n. 5, et p. 48.

4. Desportes (1546-1606), poète de cour, souvent médiocre, quelquefois heureusement inspiré, presque toujours élégant, et d'une lan

gue généralement pure. C'est le précurseur, selon le mot de Balzac, de l'« art malherbien ».

5. Voy. p. 143, n. 2.

6. Voy. p. 44, n. 2; p. 50 et 404.

7. Selon l'opinion de M. P. Paris, ces deux rondeaux, composés l'un en l'honneur d'Ogier le Danois, héros des romans du cycle carlovingien, l'autre en l'honneur de Richard sans Peur, duc de Normandie (dixième siècle), doivent être des pastiches. «Ils ont été probablement composés à la fin du seizième siècle, ou même plus tard, sous le règne de Louis XIII, à l'occasion d'un ballet ou d'un carrousel dans lequel auront figuré Richard sans Peur et Ogier le Danois. »> (Walckenaer.)

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