Et sait cent tours ingénieux Pour mettre à bout les plus cruelles. Des yeux d'Alcmène il a senti les coups; Et tandis qu'au milieu des béotiques plaines Amphitryon, son époux, Commande aux troupes thébaines, Dans la possession des plaisirs les plus doux. L'hymen ne les a joints que depuis quelques jours; A fait que Jupiter à ce bel artifice S'est avisé d'avoir recours. Son stratagème ici se trouve salutaire : Mais, près de maint objet chéri, Pareil déguisement serait pour ne rien faire ; LA NUIT. J'admire Jupiter, et je ne comprends pas MERCURE. Il veut goûter par là toutes sortes d'états; S'il ne quittait jamais sa mine redoutable, LA NUIT. Passe encor de le voir, de ce sublime étage, Prendre tous les transports que leur cœur peut fournir, Si, dans les changements où son humeur l'engage, Mais de voir Jupiter taureau, Serpent, cygne, ou quelque autre chose, Et ne m'étonne pas si parfois on en cause MERCURE. Laissons dire tous les censeurs : Tels changements ont leurs douceurs Qui passent leur intelligence. Ce dieu sait ce qu'il fait aussi bien là qu'ailleurs ; LA NUIT. Revenons à l'objet dont il a les faveurs. Si, par son stratagème, il voit sa flamme heureuse, Que peut-il souhaiter, et qu'est-ce que je puis? MERCURE. Que vos chevaux par vous au petit pas réduits Fassent la plus longue des nuits; Qu'à ses transports vous donniez plus d'espace, Qui doit avancer le retour LA NUIT. Voilà sans doute un bel emploi MERCURE. Pour une jeune déesse, Vous êtes bien du bon temps! Que chez les petites gens. Lorsque dans un haut rang on a l'heur de paraître LA NUIT. Sur de pareilles matières Et, pour accepter l'emploi, J'en veux croire vos lumières. MERCURE. Hé! là, là, madame la Nuit, Un peu doucement, je vous prie; Vous avez dans le monde un bruit (1) De n'être pas si renchérie. On vous fait confidente, en cent climats divers, Et je crois, à parler à sentiments ouverts, (1) Bruit pour réputation. LA NUIT. Laissons ces contrariétés, Et demeurons ce que nous sommes. MERCURE. Adieu. Je vais là-bas, dans ma commission, Du valet d'Amphitryon. LA NUIT. Mol, dans cet hémisphère, avec ma suite obscure, Bonjour, la Nuit. MERCURE. LA NUIT. Adieu, Mercure. (Mercure descend de son nuage, et la Nuit traverse le théâtre.) ACTE PREMIER. SCÈNE PREMIÈRE. SOSIE. Qui va là? Heu ! ma peur à chaque pas s'accroît! Ah! quelle audace sans seconde De marcher à l'heure qu'il est! Que, mon maître, couvert de gloire, Me joue ici d'un vilain tour! Quoi! si pour son prochain il avait quelque amour, Et le détail de sa victoire, Ne pouvait-il pas bien attendre qu'il fût jour? Tes jours sont-ils assujettis! Notre sort est beaucoup plus rude Chez les grands que chez les petits. Ils veulent que pour eux tout soit, dans la nature, Obligé de s'immoler. Jour et nuit, grêle, vent, péril, chaleur, froidure, N'en obtiennent rien pour nous. Nous attire leur courroux S'acharne au vain honneur de demeurer près d'eux, Qu'ont tous les autres gens, que nous sommes heureux. Un ascendant trop puissant, Et la moindre faveur d'un coup d'œil caressant Mais enfin, dans l'obscurité, Je vois notre maison, et ma frayeur s'évade. Je dois aux yeux d'Alcmène un portrait militaire Si je ne m'y trouvai pas? N'importe, parlons-en et d'estoc et de taille, Combien de gens font-ils des récits de bataille Dont ils se sont tenus loin! Pour jouer mon rôle sans peine, Je le veux un peu repasser. Voici la chambre où j'entre en courrier que l'on mène, A qui je me dois adresser. (Sosie pose sa lanterne à terre.) Madame, Amphitryon, mon maître et votre époux... (Bon! beau début!) l'esprit toujours plein de vos charmes, M'a voulu choisir entre tous Pour vous donner avis du succès de ses armes, Et du désir qu'il a de se voir près de vous. « Ah! vraiment, mon pauvre Sosie, "A te revoir j'ai de la joie au cœur. » Madame, ce m'est trop d'honneur, Et mon destin doit faire envie. (Bien répondu!) « Comment se porte Amphitryon? » Madame, en homme de courage, Dans les occasions où la gloire l'engage Quand viendra-t-il, par son retour charmant, Le plus tôt qu'il pourra, madame, assurément, Que dit-il? que fait-il? Contente un peu mon âme. » Et fait trembler les ennemis. (Peste! où prend mon esprit toutes ces gentillesses ?) Que font les révoltés ? dis-moi, quel est leur sort? »> Ils n'ont pu résister, madame, à notre effort; Nous les avons taillés en pièces, Mis Ptérélas leur chef à mort, Pris Télèbe d'assaut ; et déjà dans le port << Ah! quel succès! ô dieux! Qui l'eût pu jamais croire. Je le veux bien, madame; et, sans m'enfler de gloire, Je puis parler très-savamment. Madame, est de ce côté ; (Sosie marque les lieux sur sa main, ou à terre.) C'est une ville, en vérité, Aussi grande quasi que Thèbe. La rivière est comme là. Ici nos gens se campèrent; Et l'espace que voilà, Nos ennemis l'occupèrent. Sur un haut (2), vers cet endroit, Était leur infanterie; Et plus bas, du côté droit, Était la cavalerie. Après avoir aux dieux adressé les prières, Tous les ordres donnés, on donne le signal. Les ennemis, pensant nous tailler des croupières, (1) Télèbe était la capitale de l'ile de Taphe, voisine et peu éloignée d'Ithaque, située vis-à-vis l'Acarnanie. (2) Haut pour hauteur, élévation. |