Page images
PDF
EPUB

ANGÉLIQUE.

Oui, je confesse que j'ai tort, et que vous avez sujet de vous plaindre. Mais je vous demande par grâce de ne m'exposer point maintenant à la mauvaise humeur de mes parents, et de me faire promptement ouvrir.

GEORGE DANDIN.

Je vous baise les mains.

ANGÉLIQUE.

Eh! mon pauvre petit mari, je vous en conjure!

GEORGE DANDIN.

Eh, mon pauvre petit mari! Je suis votre petit mari maintenant, parce que vous vous sentez prise. Je suis bien aise de cela; et vous ne vous étiez jamais avisée de me dire ces douceurs.

ANGÉLIQUE.

Tenez, je vous promets de ne vous plus donner aucun sujet de déplaisir, et de me...

GEORGE DANDIN.

Tout cela n'est rien. Je ne veux point perdre cette aventure; et il m'importe qu'on soit une fois éclairci à fond de vos déportements.

ANGÉLIQUE.

De grâce, laissez-moi vous dire. Je vous demande un moment d'audience

Eh bien ! quoi?

GEORGE DANDIN.

ANGÉLIQUE.

Il est vrai que j'ai failli, je vous l'avoue encore une fois; que votre ressentiment est juste; que j'ai pris le temps de sortir pendant que vous dormiez; et que cette sortie est un rendez-vous que j'avais donné à la personne que vous dites. Mais enfin ce sont des actions que vous devez pardonner à mon âge, des emportements de jeune personne qui n'a encore rien vu, et ne fait que d'entrer au monde ; des libertés où l'on s'abandonne sans y penser de mal, et qui sans doute, dans le fond, n'ont rien de...

GEORGE DANDIN.

Oui vous le dites, et ce sont des choses qui ont besoin qu'on les croie pieusement.

ANGELIQUE.

Je ne veux point m'excuser, par là, d'être coupable envers vous; et je vous prie seulement d'oublier une offense dont je vous demande pardon de tout mon cœur, et de m'épargner, en cette rencontre, le déplaisir que me pourraient

causer les reproches fâcheux de mon père et de ma mère. Si vous m'accordez généreusement la grâce que je vous demande, ce procédé obligeant, cette bonté que vous me ferez voir, me gagnera entièrement; elle touchera tout à fait mon cœur, et y fera naître pour vous ce que tout le pouvoir de mes parents et les liens du mariage n'avaient pu y jeter. En un mot, elle sera cause que je renoncerai à toutes les galanteries, et n'aurai de l'attachement que pour vous. Oui, je vous donne ma parole que vous m'allez voir désormais la meilleure femme du monde, et que je vous témoignerai tant d'amitié, tant d'amitié, que vous en serez satisfait.

GEORGE DANDIN.

Ah! crocodile, qui flatte les gens pour les étrangler!
ANGÉLIQUE.

Accordez-moi cette faveur.

[blocks in formation]

Non, non, non. Je veux qu'on soit détrompé de vous que votre confusion éclate.

ANGÉLIQUE.

[merged small][ocr errors]

Eh bien! si vous me réduisez au désespoir, je vous avertis qu'une femme, en cet état, est capable de tout, et que je ferai quelque chose ici dont vous vous repentirez.

GEORGE DANDIN.

Hé! que ferez-vous, s'il vous plaît ?

ANGÉLIQUE.

Mon cœur se portera jusqu'aux extrêmes résolutions; et de ce couteau que voici, je me tuerai sur la place

GEORGE DANDIN.

Ah! ah! A la bonne heure.

ANGÉLIQUE.

Pas tant à la bonne heure pour vous que vous vous imaginez. On sait de tous côtés nos différends, et les chagrins

perpétuels que vous concevez contre moi. Lorsqu'on me trouvera morte, il n'y aura personne qui mette en doute que ce ne soit vous qui m'aurez tuée; et mes parents ne sont pas gens, assurément, à laisser cette mort impunie, et ils en feront, sur votre personne, toute la punition que leur pourront offrir et les poursuites de la justice et la chaleur de leur ressentiment. C'est par là que je trouverai moyen de me venger de vous; et je ne suis pas la première qui ait su recourir à de pareilles vengeances, qui n'ait pas fait difficulté de se donner la mort, pour perdre ceux qui ont la cruauté de nous pousser à la dernière extrémité.

GEORGE DANDIN.

Je suis votre valet. On ne s'avise plus de se tuer soi-même, et la mode en est passée il y a long-temps.

ANGÉLIQUE.

C'est une chose dont vous pouvez vous tenir sûr; et si vous persistez dans votre refus, si vous ne me faites ouvrir, je vous jure que, tout à l'heure, je vais vous faire voir jusqu'où peut aller la résolution d'une personne qu'on met au désespoir.

GEORGE DANDIN.

Bagatelles, bagatelles. C'est pour me faire peur.

ANGÉLIQUE.

Eh bien! puisqu'il le faut, voici qui nous contentera tous deux, et montrera si je me moque. (après avoir fait semblant de se tuer.) Ah! c'en est fait. Fasse le ciel que ma mort soit vengée comme je le souhaite, et que celui qui en est cause reçoive un juste châtiment de la dureté qu'il a eue pour moi!

GEORGE DANDIN.

Ouais! serait-elle bien si malicieuse que de s'être tuée pour me faire pendre? Prenons un bout de chandelle pour aller voir.

SCÈNE IX.

ANGÉLIQUE, CLAUDINE.

ANGÉLIQUE à Claudine.

S't. Paix! Rangeons-nous chacune immédiatement contre un des côtés de la porte.

SCÈNE X.

ANGÉLIQUE ET CLAUDINE entrant dans la maison au moment que George Dandin en sort, et fermant la porte en dedans; CEORGE DANDIN une chandelle à la main.

GEORGE DANDIN.

La méchanceté d'une femme irait-elle bien jusque-là ? (scul, après avoir regardé partout.) Il n'y a personne. Hé! je m'en étais bien douté; et la pendarde s'est retirée, voyant qu'elle ne gagnait rien après moi, ni par prières ni par menaces. Tant mieux ! cela rendra ses affaires encore plus mauvaises ; et le père et la mère, qui vont venir, en verront mieux son crime. (après avoir été à la porte de sa maison pour rentrer. ) Ah! ah!`la porte s'est fermée. Holà! ho! quelqu'un! qu'on m'ouvre promptement!

SCÈNE XI.

ANGÉLIQUE ET CLAUDINE à la fenêtre; GEORGE DANDIN.

ANGÉLIQUE.

Comment! c'est toi ? D'où viens-tu, bon pendard? Est-il l'heure de revenir chez soi, quand le jour est près de paraître? et cette manière de vivre est-elle celle que doit suivre un honnête mari?

CLAUDINE.

Cela est-il beau d'aller ivrogner toute la nuit, et de laisser ainsi toute seule une pauvre jeune femme dans la maison ?

GEORGE DANDIN.

Comment! vous avez...

ANGÉLIQUE.

Va, va, traître, je suis lasse de tes déportements, et je m'en veux plaindre, sans plus tarder, à mon père et à ma mère.

GEORGE DANDIN.

Quoi! c'est vous qui osez...

SCÈNE XII.

MONSIEUR ET MADAME DE SOTENVILLE en déshabillé de nuit; COLIN portant une lanterne; ANGÉLIQUE ET CLAUDINE à la fenêtre; GEORGE DANDIN.

ANGÉLIQUE à monsieur et à madame de Sotenville.

Approchez, de grâce, et venez me faire raison de l'inso

lence la plus grande du monde, d'un mari à qui le vin et la jalousie ont troublé de telle sorte la cervelle, qu'il ne sait plus ni ce qu'il dit, ni ce qu'il fait, et vous a lui-même envoyé querir pour vous faire témoins de l'extravagance la plus étrange dont on ait jamais ouï parler. Le voilà qui revient, comme vous voyez, après s'être fait attendre toute la nuit; et, si vous voulez l'écouter, il vous dira qu'il a les plus grandes plaintes du monde à vous faire de moi; que, durant qu'il dormait, je me suis dérobée d'auprès de lui pour m'en aller courir, et cent autres contes de même nature qu'il est allé rêver. GEORGE DANDIN à part.

Voilà une méchante carogne !

CLAUDINE.

Oui, il nous a voulu faire accroire qu'il était dans la maison, et que nous en étions dehors; et c'est une folie qu'il n'y a pas moyen de lui ôter de la tête.

MONSIEUR DE SOTENVILLE.

Comment! Qu'est-ce à dire cela ?

MADAME DE SOTENVILLE.

Voilà une furieuse impudence, que de nous envoyer querir!

Jamais...

GEORGE DANDIN.

ANGÉLIQUE.

Non, mon père, je ne puis plus souffrir un mari de la sorte: ma patience est poussée à bout; et il vient de me dire cent paroles injurieuses.

MONSIEUR DE SOTENVILLE à George Dandin.

Corbleu ! vous êtes un malhonnête homme.

CLAUDINE.

C'est une conscience de voir une pauvre jeune femme traitée de la façon; et cela crie vengeance au ciel.

Peut-on...

GEORGE DANDIN.

MONSIEUR DE SOTENVILLE.

Allez, vous devriez mourir de honte.

GEORGE DANDIN.

Laissez-moi vous dire deux mots.

ANGÉLIQUE

Vous n'avez qu'à l'écouter : il va vous en conter de belles ! GEORGE DANDIN à part.

Je désespère !

CLAUDINE

Il a tant bu, que je ne pense pas qu'on puisse durer contre lui; et l'odeur du vin qu'il souffle est montée jusqu'à nous.

« PreviousContinue »