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MONSIEUR DE SOTENVILLE.

Monsieur mon père, Jean-Gilles de Sotenville, eut la gloire d'assister en personne au grand siége de Montauban (1).

J'en suis ravi.

CLITANDRE.

MONSIEUR DE SOTENVILLE:

Et j'ai un aïeul, Bertrand de Sotenville, qui fut si considéré en son temps, que d'avoir permission de vendre tout son bien pour le voyage d'outre-mer.

Je le veux croire.

CLITANDRE.

MONSIEUR DE SOTENVILLE.

Il m'a été rapporté, monsieur, que vous aimez et poursuivez une jeune personne, qui est ma fille, pour laquelle je m'intéresse, (montrant George Dandin) et pour l'homme que vous voyez, qui a l'honneur d'être mon gendre.

Qui? moi?

CLITANDRE.

MONSIEUR DE SOTENVILLE.

Oui ; et je suis bien aise de vous parler, pour tirer de vous, s'il vous plaît, un éclaircissement de cette affaire.

CLITANDRE.

Voilà une étrange médisance! Qui vous a dit cela, mousieur ?

MONSIEUR DE SOTENVILLE.

Quelqu'un qui croit le bien savoir.

CLITANDRE.

Ce quelqu'un-là en a menti. Je suis honnête homme. Me croyez-vous capable, monsieur, d'une action aussi lâche que celle-là ? Moi, aimer une jeune et belle personne qui a l'honneur d'être la fille de monsieur le baron de Sotenville! je vous révère trop pour cela, et je suis trop votre serviteur. Quiconque vous l'a dit est un sot.

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C'est un coquin et un maraud.

MONSIEUR DE SOTENVILLE à George Dandin.

Répondez.

(1) Il s'agit sans doute du siége de Montauban par Louis XIII, en 1621, environ un an avant la naissance de Molière.

GEORGE DANDIN.

Répondez vous-même.

CLITANDRE.

Si je savais qui ce peut être, je lui donnerais, en votre Présence, de l'épée dans le ventre.

MONSIEUR DE SOTENVILLE à George Dandin.

Soutenez donc la chose.

GEORGE DANDIN.

Elle est toute soutenue. Cela est vrai.

CLITANDRE.

Est-ce votre gendre, monsieur, qui...

MONSIEUR DE SOTENVILLE.

Oui, c'est lui-même qui s'en est plaint à moi.

CLITANDRE.

Certes, il peut remercier l'avantage qu'il a de vous appartenir; et, sans cela, je lui apprendrais bien à tenir de pareils discours d'une personne comme moi.

SCÈNE VI.

MONSIEUR ET MADAME DE SOTENVILLE, ANGÉLIQUE,
CLITANDRE, GEORGE DANDIN, CLAUDINE.

MADAME DE SOTENVILLE.

Pour ce qui est de cela, la jalousie est une étrange chose! J'amène ici ma fille pour éclaircir l'affaire en présence de tout le monde.

CLITANDRE à Angélique.

Est-ce donc vous, madaine, qui avez dit à votre mari que je suis amoureux de vous ?

ANGELIQUE.

Moi? Et comment lui aurais-je dit? Est-ce que cela est? Je voudrais bien le voir, vraiment, que vous fussiez amoureux de moi. Jouez-vous-y, je vous en prie; vous trouverez à qui parler; c'est une chose que je vous conseille de faire! Ayez recours, pour voir, à tous les détours des amants: essayez un peu, par plaisir, à m'envoyer des ambassades, à m'écrire secrètement de petits billets doux, à épier les moments que mon mari n'y sera pas, ou le temps que je sortirai, pour me parler de votre amour: vous n'avez qu'à y venir, je vous promets que vous serez reçu comme il faut.

CLITANDRE.

Hé! là, là, madame, tout doucement. Il n'est pas néces

saire de nie faire tant de leçons, et de vous tant scandaliser. Qui vous dit que je songe à vous aimer ?

ANGÉLIQUE.

Que sais-je, moi, ce qu'on me vient conter ici?

CLITANDRE.

On dira ce que l'on voudra; mais vous savez si je vous ai parlé d'amour lorsque je vous ai rencontrée.

ANGÉLIQUE.

Vous n'aviez qu'à le faire, vous auriez été bien venu!

CLITANDRE.

Je vous assure qu'avec moi vous n'avez rien à craindre, que je ne suis point homme à donner du chagrin aux belles; et que je vous respecte trop, et vous, et messieurs vos parents, pour avoir la pensée d'être amoureux de vous.

MADAME DE SOTENVILLE à George Dandin.

Eh bien! vous le voyez.

MONSIEUR DE SOTENVILLE.

Vous voilà satisfait, mon gendre. Que dites-vous à cela ?

GEORGE DANDIN.

Je dis que ce sont là des contes à dormir debout; que je sais bien ce que je sais, et que tantôt, puisqu'il faut parler net, elle a reçu une ambassade de sa part.

ANGÉLIQUE.

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GEORGE DANDIN.

Taisez-vous, carogne que vous êtes. Je sais de vos nou velles; et c'est vous qui tantôt avez introduit le courrier.

CLAUDINE.

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Oui, vous. Ne faites point tant la sucrée.

CLAUDINE.

Hélas! que tout le monde aujourd'hui est rempli de méchanceté, de m'aller soupçonner ainsi, moi qui suis l'innocence même.

GEORGE DANDIN.

Taisez-vous, bonne pièce (1). Vous faites la sournoise, mais je vous connais il y a longtemps; et vous êtes une dessalée (2) CLAUDINE à Angélique.

Madame, est-ce que...

GEORGE DANDIN.

Taisez-vous, vous dis-je; vous pourriez bien porter la folle enchère de tous les autres; et vous n'avez point de père gentilhomme.

ANGÉLIQUE.

C'est une imposture si grande, et qui me touche si fort au cœur, que je ne puis pas même avoir la force d'y répondre. Cela est bien horrible d'être accusée par un mari, lorsqu'on ne lui fait rien qui ne soit à faire! Hélas! si je suis blåmable en quelque chose, c'est d'en user trop bien avec lui.

Assurément.

CLAUDINE.

ANGÉLIQUE.

Tout mon malheur est de le trop considérer ; et plût au ciel que je fusse capable de souffrir, comme il dit, les galanteries de quelqu'un ! je ne serais pas tant à plaindre. Adieu; je me retire, et je ne puis plus endurer qu'on m'outrage de cette sorte.

SCÈNE VII.

MONSIEUR ET MADAME DE SOTENVILLE, CLITANDRE, GEORGE DANDIN, CLAUDINE.

MADAME DE SOTENVILLE à George Dandin.

Allez, vous ne méritez pas l'honnête femme qu'on vous a donnée.

CLAUDINE.

Par ma foi! il mériterait qu'elle lui fit dire vrai; et, si j'étais en sa place, je n'y marchanderais pas. (à Clitandre.) Oui, monsieur, vous devez, pour le punir, faire l'amour à ma maîtresse. Poussez, c'est moi qui vous le dis: ce sera fort bien employé ; et je m'offre à vous y servir, puisqu'il m'en a déjà taxée. (Claudine sort.)

(1) Par ironie, une bonne pièce, c'est-à-dire une pièce de monnaie fausse; et au figuré, une méchante personne.

(2) Vieux mot que l'Académie n'a pas accueilli dans son dictionnaire, mais qui est encore en usage parmi le peuple. Il veut dire fin, rusé · adroit, égrillard. (Voyez RICHELET.)

MONSIEUR DE SOTENVILLE.

Vous méritez, mon gendre, qu'on vous dise ces choses-la; et votre procédé met tout le monde contre vous.

MADAME DE SOTENVILLE.

Allez, songez à mieux traiter une demoiselle bien née; et prenez garde désormais à ne plus faire de pareilles bévues. GEORGE DANDIN à part.

J'enrage de bon cœur d'avoir tort, lorsque j'ai raison.

SCÈNE VIII.

MONSIEUR DE SOTENVILLE, CLITANDRE, GEORGE

DANDIN.

CLITANDRE à monsieur de Sotenville.

Monsieur, vous voyez comme j'ai été faussement accusé : vous êtes homme qui savez les maximes du point d'honneur, et je vous demande raison de l'affront qui m'a été fait!

MONSIEUR DE SOTENVILLE.

Cela est juste, et c'est l'ordre des procédés. Allons, mon gendre, faites satisfaction à monsieur.

GEORGE DANDIN.

Comment! satisfaction?

MONSIEUR DE SOTENVILLE.

Oui, cela se doit dans les règles, pour l'avoir à tort accusé.

GEORGE DANDIN.

C'est une chose, moi, dont je ne demeure pas d'accord, de l'avoir à tort accusé; et je sais bien ce que j'en pense.

MONSIEUR DE SOTENVILLE.

Il n'importe. Quelque pensée qui vous puisse rester, il a nié c'est satisfaire les personnes; et l'on n'a nul droit de se plaindre de tout homme qui se dédit.

GEORGE DANDIN.

Si bien donc que si je le trouvais couché avec ma femme, il en serait quitte pour se dédire ?

MONSIEUR DE SOTENVILLE.

Point de raisonnement. Faites-lui les excuses que je vous

dis.

GEORGE DANDIN.

Moi! je lui ferai encore des excuses après...

MONSIEUR DE SOTENVILLE.

Allons, vous dis-je ; il n'y a rien à balancer, et vous n'avez que faire d'avoir peur d'en trop faire, puisque c'est moi qui vous conduis.

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