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LE MARI CONFONDU,

COMÉDIE (1668).

PERSONNAGES.

GEORGE DANDIN (1), riche paysan, mari d'Angélique.

ANGÉLIQUE, femme de George Dandin, et fille de

M. de Sotenville.

M. DE SOTENVILLE, gentilhomme campagard,
père d'Angélique.
MADAME DE SOTENVILLE.

CLITANDRE, amant d'Angélique.
CLAUDINE, suivante d'Angélique.
LUBIN, paysan, servant Clitandre.
COLIN, valet de George Dandin.

ACTEURS.

MOLIÈRE.

Mile MOLIÈRE.

DU CROISY.
HUBERT.

LA GRANGE.

Mlle DE BRIE.

LA THORILLIÈRE

La scène est devant la maison de George Dandin, à la campagne.

ACTE PREMIER.

SCÈNE PREMIÈRE.

GEORGE DANDIN.

Ah! qu'une femme demoiselle (2) est une étrange affaire! et que mon mariage est une leçon bien parlante à tous les

(1) Dandin est dit de celui qui baye (regarde) çà et là par sottise et badaudise, sans avoir contenance arrestée : ineptus, insipidus; et dandiner, user de telle badaudise, ineptire. (NICOT.) Étienne Pasquier dérive ce mot du terme factice dindan, parce que la marche d'un dandin représente assez bien le mouvement des cloches. Rabelais est, je crois, le premier qui ait fait un nom propre de ce mot si expressif de notre vieille langue. Il a été successivement imité par Racine, Molière, et la Fontaine.

(2) Damoiselle, c'est proprement, et selon l'usage ancien du mot, une gentille femme, et est le féminin de damoisel, qui signifiait gentilhomme. (NICOT.) Ce titre se donnait aux femmes mariées, nées de parents nobles.

paysans qui veulent s'élever au-dessus de leur condition, et s'allier, comme j'ai fait, à la maison d'un gentilhomme! La noblesse, de soi, est bonne; c'est une chose considérable, assurément : mais elle est accompagnée de tant de mauvaises circonstances, qu'il est très-bon de ne s'y point frotter. Je suis devenu là-dessus savant à mes dépens, et connais le style des nobles, lorsqu'ils nous font, nous autres, entrer dans leur famille. L'alliance qu'ils font est petite avec nos personnes : c'est notre bien seul qu'ils épousent; et j'aurais bien mieux fait, tout riche que je suis, de m'allier en bonne et franche paysannerie, que de prendre une femme qui se tient au-dessus de moi, s'offense de porter mon nom, et pense qu'avec tout mon bien je n'ai pas acheté la qualité de son mari. George Dandin! George Dandin! vous avez fait une sottise, la plus grande du monde. Ma maison m'est effroyable maintenant, et je n'y rentre point sans y trouver quelque chagrin.

SCÈNE II.

GEORGE DANDIN, LUBIN.

GEORGE DANDIN à part, voyant sortir Lubin de chez lui.

Que diantre ce drôle-là vient-il faire chez moi?

LUBIN à part, apercevant George Dandin.

Voilà un homme qui me regarde.

GEORGE DANDIN à part.

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J'ai peur qu'il n'aille dire qu'il m'a vu sortir de là-dedans.

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Non je n'y suis venu que pour voir la fête de demain.

GEORGE DANDIN.

Hé! dites-moi un peu, s'il vous plaît: vous venez de làdedans?

LUBIN.

Chut!

GEORGE DANDIN.

Comment?

LUBIN.

Paix !

GEORGE DANDIN.

Quoi donc ?

LUBIN,

Motus! Il ne faut pas dire que vous m'ayez vu sortir

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C'est que je viens de parler à la maîtresse du logis, de la part d'un certain monsieur qui lui fait les doux yeux ; et il ne faut pas qu'on sache cela. Entendez-vous ?

Oui.

GEORGE DANDIN,

LUBIN.

Voilà la raison. On m'a enchargé de prendre garde que personne ne me vit; et je vous prie, au moins, de ne pas dire que vous m'ayez vu.

Je n'ai garde.

GEORGE DANDIN.

LUBIN.

Je suis bien aise de faire les choses secrètement, comme on m'a recommandé.

GEORGE DANDIN.

C'est bien fait.

LUBIN.

Le mari, à ce qu'ils disent, est un jaloux qui ne veut pas qu'on fasse l'amour à sa femme; et il ferait le diable à quatre, si cela venait à ses oreilles. Vous comprenez bien?

Fort bien.

CEORGE DANDIN.

LUBIN.

Il ne faut pas qu'il sache rien de tout ceci.

GEORGE DANDIN.

Sans doute.

LUBIN.

On le veut tromper tout doucement. Vous entendez bien?

Le mieux du monde.

GEORGE DANDIN.

LUBIN.

Si vous alliez dire que vous m'avez vu sortir de chez lui, vous gâteriez toute l'affaire. Vous comprenez bien ?

GEORGE DANDIN.

Assurément. Hé! comment nommez-vous celui qui vous a envoyé là-dedans?

LUBIN.

C'est le seigneur de notre pays, monsieur le vicomte de chose... Foin! je ne me souviens jamais comment diantre ils baragouinent ce nom-là. Monsieur Cli... Clitandre.

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C'est pour cela que depuis peu ce damoiseau poli s'est venu loger contre moi J'avais bon nez, sans doute; et son voisinage déjà m'avait donné quelque soupçon.

LUBIN.

Tétigué! c'est le plus honnête homme que vous ayez jamais vu. Il m'a donné trois pièces d'or pour aller dire seulement à la femme qu'il est amoureux d'elle, et qu'il souhaite fort l'honneur de pouvoir lui parler. Voyez s'il y a là une grande fatigue, pour me payer si bien; et ce qu'est, au prix de cela, une journée de travail, où je ne gagne que dix sous!

GEORGE DANDIN.

Eh bien! avez-vous fait votre message?

LUBIN.

Oui. J'ai trouvé là-dedans une certaine Claudine, qui, tout du premier coup, a compris ce que je voulais, et qui m'a fait parler à sa maîtresse.

GEORGE DANDIN à part.

Ah! coquine de servante!

LUBIN.

Morguienne! cette Claudine-là est tout à fait jolie : elle a

gagné mon amitié, et il ne tiendra qu'à elle que nous ne soyons mariés ensemble.

GEORGE DANDIN.

Mais quelle réponse a faite la maîtresse à ce monsieur le courtisan ?

LUBIN.

Elle m'a dit de lui dire... attendez, je ne sais si je me souviendrai bien de tout cela qu'elle lui est tout à fait obligée de l'affection qu'il a pour elle, et qu'à cause de son mari, qui est fantasque, il garde d'en rien faire paraître, et qu'il faudra songer à chercher quelque invention pour se pouvoir entretenir tous deux.

GEORGE DANDIN à part.

Ah! pendarde de femme!

LUBIN.

Tétiguienne! cela sera drôle; car le mari ne se doutera point de la manigance : voilà ce qui est de bon, et il aura un pied de nez avec sa jalousie. Est-ce pas ?

Cela est vrai.

GEORGE DANDIN.

LUBIN.

Adieu. Bouche cousue, au moins! Gardez bien le secret, afin que le mari ne le sache pas.

Oui, oui.

GEORGE DANDIN.

LUBIN.

Pour moi, je veux faire semblant de rien. Je suis un fin matois, et l'on ne dirait pas que j'y touche.

SCÈNE III.

GEORGE DANDIN.

Eh bien! George Dandin, vous voyez de quel air votre femme vous traite! Voilà ce que c'est d'avoir voulu épouser une demoiselle! L'on vous accommode de toutes pièces, sans que vous puissiez vous venger; et la gentilhommerie vous tient les bras liés. L'égalité de condition laisse du moins à l'honneur d'un mari liberté de ressentiment; et si c'était une paysanne, vous auriez maintenant toutes vos coudées franches à vous en faire la justice à bons coups de bâton. Mais vous avez voulu tâter de la noblesse, et il vous ennuyait d'être maître chez vous. Ah! j'enrage de tout mon cœur, et je me donnerais volontiers des soufflets. Quoi!

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