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NAUCRATES à Amphitryon.

Ne vous pressez point; le voici

Pour donner devant tous les clartés qu'on désire,
Et qui, si l'on peut croire à ce qu'il vient de dire,
Sauront vous affranchir de trouble et de souci.

SCÈNE X.

MERCURE, AMPHITRYON, ARGATIPHONTIDAS, POLIDAS, NAUCRATES, PAUSICLES, CLEANTHIS, SOSIE.

MERCURE.

Oui, vous l'allez voir tous; et sachez par avance
Que c'est le grand maître des dieux,

Que, sous les traits chéris de cette ressemblance,
Alcmène a fait du ciel descendre dans ces lieux.
Et quant à moi, je suis Mercure,

Qui, ne sachant que faire, ai rossé tant soit peu
Celui dont j'ai pris la figure :

Mais de s'en consoler il a maintenant lieu;
Et les coups de bâton d'un dieu

Font honneur à qui les endure.

SOSIE.

Ma foi, monsieur le dieu, je suis votre valet :
Je me serais passé de votre courtoisie.

MERCURE.

Je lui donne à présent congé d'être Sosie.
Je suis las de porter un visage si laid;
Et je m'en vais au ciel, avec de l'ambroisie,
M'en débarbouiller tout à fait.

(Mercure s'envole au ciel.)

SOSIE.

Le ciel de m'approcher t'ôte à jamais l'envie!
Ta fureur s'est par trop acharnée après moi;

Et je ne vis de ma vie

Un dieu plus diable que toi.

SCÈNE XI.

JUPITER, AMPHITRYON, NAUCRATÈS, ARGATIPHONTIDAS, POLIDAS, PAUSICLES, CLEANTHIS, SOSIE.

JUPITER annoncé par le bruit du tonnerre, armé de son foudre, dans un nuage, sur son aigle.

Regarde, Amphitryon, quel est ton imposteur;

MOLIÈRE. T. U

Et sous tes propres traits vois Jupiter paraître.
A ces marques tu peux aisément le connaître ;
Et c'est assez, je crois, pour remettre ton cœur
Dans l'état auquel il doit être,

Et rétablir chez toi la paix et la douceur.

Mon nom, qu'incessamment toute la terre adore,
Étouffe ici les bruits qui pouvaient éclater.
Un partage avec Jupiter

N'a rien du tout qui déshonore;

Et sans doute il ne peut être que glorieux
De se voir le rival du souverain des dieux.

Je n'y vois pour ta flamme aucun lieu de murmure;
Et c'est moi, dans cette aventure,

Qui, tout dieu que je suis, dois être le jaloux.
Alcmène est toute à toi, quelque soin qu'on emploie ;
Et ce doit à tes feux être un objet bien doux

De voir que, pour lui plaire, il n'est point d'autre voie
Que de paraître son époux;

Que Jupiter, orné de sa gloire immortelle,
Par lui-même n'a pu triompher de sa foi;
Et que ce qu'il a reçu d'elle

N'a, par son cœur ardent, été donné qu'à toi.

SOSIE.

Le seigneur Jupiter sait dorer la pilule.

JUPITER.

Sors donc des noirs chagrins que ton cœur a soufferts,
Et rends le calme entier à l'ardeur qui te brûle;
Chez toi doit naître un fils qui, sous le nom d'Hercule,

Remplira de ses faits tout le vaste univers.
L'éclat d'une fortune en mille biens féconde
Fera connaître à tous que je suis ton support;

Et je mettrai tout le monde

Au point d'envier ton sort.
Tu peux hardiment te flatter
De ces espérances données.

C'est un crime que d'en douter:
Les paroles de Jupiter

Sont des arrêts des destinées.

(Il se perd dans les nues.) NAUCRATÈS.

Certes, je suis ravi de ces marques brillantes...

SOSIE.

Messieurs, voulez-vous bien suivre mon sentiment?
Ne vous embarquez nullement

Dans ces douceurs congratulantes:

C'est un mauvais embarquement;
Et d'une et d'autre part, pour un tel compliment,
Les phrases sont embarrassantes.

Le grand dieu Jupiter nous fait beaucoup d'honneur,
Et sa bonté, sans doute, est pour nous sans seconde ;
Il nous promet l'infaillible bonheur

D'une fortune en mille biens féconde,

Et chez nous il doit naître un fils d'un très-grand cœur : Tout cela va le mieux du monde.

Mais enfin, coupons aux discours,

Et que chacun chez soi doucement se retire.
Sur telles affaires toujours

Le meilleur est de ne rien dire.

FIN D'AMPUITRYON,

COMÉDIE (1667).

PERSONNAGES.

HARPAGON, père de Cléante et d'Élise, et amoureux

de Mariane.

CLÉANTE, fils d'Harpagon, amant de Mariane.
ÉLISE, fille d'Harpagon, amante de Valère.
VALÈRE, fils d'Anselme et amant d'Élise.

MARIANE, amante de Cléante, et aimée d'Harpagon.

ANSELME, père de Valère et de Mariane.

FROSINE, femme d'intrigue.

MAITRE SIMON, courtier.

MAITRE JACQUES, cuisinier et cocher d'Harpagon.

LA FLÈCHE, valet de Cléante.

DAME CLAUDE, servante d'Harpagon.

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ACTEURS.

MOLIÈRE.
LA GRANGE.
Mile MOLIÈRE
DU CROISY.
Mile DE BRIE.

Magd. BÉJART.

HUBERT.
BÉJART cadet.

La scène est à Paris, dans la maison d'Harpagon.

ACTE PREMIER.

SCENE PREMIÈRE.

VALÈRE, ÉLISE.

VALÈRE.

Hé quoi! charmante Elise, vous devenez mélancolique, après les obligeantes assurances que vous avez eu la bonté de me donner de votre foi! Je vous vois soupirer, hélas! au milieu de ma joie! Est-ce du regret, dites-moi, de m'avoir fait heureux? et vous repentez-vous de cet engagement où mes feux ont pu vous contraindre ?

ÉLISE.

Non, Valère, je ne puis pas me repentir de tout ce que je fais pour vous. Je m'y sens entraîner par une trop douce puissance, et je n'ai pas même la force de souhaiter que les choses ne fussent pas. Mais, à vous dire vrai, le succès me donne de l'inquiétude; et je crains fort de vous aimer un peu plus que je ne devrais.

VALÈRE.

Eh! que pouvez-vous craindre, Élise, dans les bontés que vous avez pour moi?

ÉLISE.

les

Hélas! cent choses à la fois : l'emportement d'un père, reproches d'une famille, les censures du monde ; mais plus que tout, Valère, le changement de votre cœur, et cette froideur criminelle dont ceux de votre sexe payent le plus souvent les témoignages trop ardents d'un innocent amour. VALÈRE.

Ah! ne me faites pas ce tort, de juger de moi par les autres ! Soupçonnez-moi de tout, Elise, plutôt que de manquer à ce que je vous dois. Je vous aime trop pour cela ; et mon amour pour vous durera autant que ma vie.

ÉLISE.

Ah! Valère, chacun tient les mêmes discours! Tous les hommes sont semblables par les paroles; et ce n'est que les actions qui les découvrent différents.

VALÈRE.

Puisque les seules actions font connaître ce que nous sommes, attendez donc, au moins, à juger de mon cœur par elles, et ne me cherchez point de crimes dans les injustes craintes d'une fâcheuse prévoyance. Ne m'assassinez point, je vous prie, par les sensibles coups d'un soupçon outrageux; et donnez-moi le temps de vous convaincre, par mille et mille preuves, de l'honnêteté de mes feux.

ÉLISE.

Hélas! qu'avec facilité on se laisse persuader par les personnes que l'on aime! Oui, Valère, je tiens votre cœur incapable de m'abuser. Je crois que vous m'aimez d'un véritable amour, et que vous me serez fidèle: je n'en veux point du tout douter, et je retranche mon chagrin aux appréhensions du blâme qu'on pourra me donner.

VALÈRE.

Mais pourquoi cette inquiétude?
ÉLISE.

Je n'aurais rien à craindre, si tout le monde vous voyait des yeux dont je vous vois; et je trouve en votre personne de quoi avoir raison aux choses que je fais pour vous. Mon cœur, pour sa défense, a tout votre mérite, appuyé du secours d'une reconnaissance où le ciel m'engage envers vous. Je me représente, à toute heure, ce péril étonnant qui commença de nous offrir aux regards l'un de l'autre ; cette générosité surprenante qui vous fit risquer votre vie, pour déro

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