Page images
PDF
EPUB

établi à Orléans. M. Achaintre, au contraire, ne tenant aucun compte des aperçus qui nous ont frappés, établit ses raisonnemens sur les rapports d'Agendicum avec Riobe et A quis-Segeste, lieux toutà-fait inconnus, et qui demeureront long-temps autant d'énigmes que chacun expliquera à sa manière. De pareils élémens ne peuvent éclaircir une question: nous sommes, par là même, entièrement dispensés de discuter les résultats qu'obtient notre adversaire, et qui, de son aveu, ne sont pas entièrement satisfaisans.

Une réflexion d'un grand poids s'applique aux deux itinéraires. Il n'y est fait nulle part mention de Senones. Ainsi, il faudrait admettre, contre toute raison, que ces itinéraires seraient muets sur la capitale d'une province qui fut autrefois un peuple puissant, lorsqu'on sait qu'un des signes distinctifs qui servent à reconnaître les cités qui ont joué un grand rôle dans la Gaule, consiste précisément dans le grand nombre de voies qui viennent y aboutir comme autant de rayons.

Et si, laissant pour un instant les preuves tirées du raisonnement, nous descendions sur le terrain, quel avantage n'aurions-nous pas à justifier ce que nous disons sur les itinéraires! On a parlé de je ne sais quel chemin perré (1), dont on trouve encore des vestiges dans une longueur de 5/4 de lieue dans la direction de Provins à Auxerre; mais on peut encore parcourir dans toute sa longueur l'ancienne voie de (1) Dissertation latine.

*

Mémoires geographiq.

1765.

Magnon, 804.

Sens à Orléans. Nous avons, nous autres, sous les yeux la belle chaussée romaine qui, aujourd'hui comme dans les premiers siècles, nous conduit à Sens, et M. Pasumot a publié la reconnaissance qu'il a faite, avec sa sagacité accoutumée, de la voie romaine, qui, d'Avalon, se rendait à Sens parAuxerre.

Nous passons de suite aux premières années du 9° siècle, pour retrouver quelque document sur le sujet que nous traitons.

A cette époque, les principales villes de la Gaule avaient depuis long-temps, comme on sait, dépouillé leurs dénominations celtiques pour prendre celles des peuples eux-mêmes. Toutefois, les anciens noms, pour n'être plus populaires, n'étaient pas pour cela effacés de la mémoire, et se retrouvaient sous la plume de quelques écrivains. Nous ne serons donc point étonnés de voir Sens porter successivement, et même simultanément, deux noms, puisqu'en cela il a eu un sort commun avec un grand nombre de villes qu'il est inutile de citer. Il faudrait, au contraire, s'étonner s'il offrait une exception à une règle aussi générale.

Un contemporain de Charlemagne, Magnon ou Magnus, qui, en 804, succéda à Ragnibert sur le siége métropolitain de Sens, a, parmi d'autres opuscules, laissé une notice de la France, dans laquelle, à l'instar de Ptolémée, il se contente de désigner chaque peuple avec sa ville capitale. Citons quelques fragmens de ce catalogue, où des désinences barbares attestent la décadence des lettres à cette époque.

Limofex-Augustoritum.

Pictavus-Limonum.

Rhutenus-Secundum.

Turonus-Cæsarodunum.

Senonus-Agendineum.

Voilà donc Magnus qui, comme Ptolémée, proclame Agendicum la capitale du Senonais, qualité, nous le répétons, que personne ne dispute à Sens. Si, dans les autres articles, ce Magnus se montre exact, comme il l'est en effet, on ne voit aucun motif de le reprocher dans celui que nous invoquons. Au contraire, s'il a commis quelque erreur, il ne faut pas la chercher à l'occasion d'une ville dont il était archevêque, et que, par conséquent, il était en position de bien connaître. M. Achaintre n'a pas répondu à cette citation; cependant cet auteur n'est pas sans autorité, et Danville et Valois ne dédaignent pas de s'en prévaloir dans plusieurs endroits de leurs ouvrages.

Le dernier auteur dont nous ayons à citer le témoignage dans l'ordre des temps, mais non pas le moins important, est l'auteur anonyme des Annales de saint Bertin. Les savans (1) s'accordent généralement à attribuer la partie la plus estimée de ces annales, celle qui s'étend de 830 à 860, à saint S. Bertin, Prudence, évêque de Troyes. Ce prélat, espagnol

(1) Fleury, Hist. ecclés., liv. 50, no 48.—Mercure de 1736

à 1739.

L'abbé Lebœuf. Dissertations sur l'histoire de

Paris, tome 1.

Annales

de

859.

de naissance, élevé à l'épiscopat par son seul mérite, se distinguait par une érudition supérieure à son siècle. Prudentius apprimè litteris eruditus, a dit son continuateur. Il vivait, de plus, dans le voisinage de Sens, dont il était le suffragant. A ces deux titres, on ne peut lui refuser un haut degré de confiance. Il rapporte, sous l'année 859, que le roi Charlesle-Chauve, présent au concile de Savonières, près Toul, présenta, aux pères du concile, un acte d'accusation contre Guanilon, archevêque de Sens : adversus Guanilonem Agendici Senonum metropolitanum episcopum. La capitale du Senonais, le siège de l'archevêché, Sens, enfin, est ici bien nettement la même chose qu'Agendicum. Il est curieux de voir à quelle extrémité l'impuissance d'échapper à une autorité aussi explicite réduit nos adversaires. Ils commencent par ajouter, entre les mots Agendici et Senonum, une virgule dont ils ont besoin pour trouver deux villes où il n'y en a qu'une. Ensuite, l'un (1) veut qu'il s'agisse de Guanilon d'Agendicum, c'est-à-dire né à Agendicum, archevêque de Sens. L'autre (2) prétend que c'est à Agendicum que l'acte d'accusation a été présenté, porrigit Agendici libellum, etc. Nous répondrons au second qu'en se reportant deux lignes plus haut, il aurait vu que la scène se passait à Savonnières. Rex

(1) M. Barrau, p. 127. (2) Dissertation latine.

in villa Saponarias assistens, où effectivement le concile s'est tenu. Nous répondrons au premier, qu'il lui reste à prouver cette origine de Guanilon, qu'il fait naître à Provins. Nous répondrons à tous deux que Agendicum Senonum est là pour Sens, que ce n'est pas la seule fois que ces mots ont cette signification dans cet auteur; qu'on les retrouve sous. l'année 858, où il n'est pas possible de transporter les explications contradictoires qu'on a données et que, s'il a désigné Sens par son ancien nom, c'est qu'il est dans l'habitude d'en user ainsi pour toutes les villes qu'il cite dans son histoire: Tullum Leucorum, pour Tulles, Durocortorum Rhemorum, pour Rheims, Augusta Trecorum, pour Troyes, etc., etc.. C'est une remarque que les critiques ont déjà faite.

Il nous reste à nous expliquer sur un écrivain auquel M. Achaintre renvoie ses lecteurs comme à un vaillant auxiliaire chargé de compléter la demonstration. M. Opoix qui, comme nous l'avons déjà dit, s'est honoré en consacrant à sa patrie toute sa vie et tous ses ouvrages, nous appelle sur un autre terrain. La guerre, dit-il, sera interminable tant qu'on ne combattra qu'avec des livres et des autorités toujours contestables. Qu'on veuille bien se transporter avec moi sur la ville haute de Provins on y trouvera un ensemble de travaux gigantesques de fortifications et de souterrains, tels que nos rois du moyen âge n'auraient pu en exécuter la dixième partie. Ces ouvrages sont romains; c'est César qui les a bâtis, parce que lui seul avait

« PreviousContinue »