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d'un tel public. Vous n'étiez venus, Messieurs, que pour chercher des distractions, et, par votre présence, vous avez produit un grand bien; vous avez créé l'émulation, ressort puissant dont la portée est immense. Quel est celui qui ne tiendra à honneur de voir son zèle et ses succès proclamés en présence de ses concitoyens ? Chaque année nous mettions au concours des questions d'un intérêt réel puisées dans nos besoins ou nos convenances locales, et ces questions demeuraient sans réponse. Depuis quelque temps cette indifférence cède par degré, des prétendans sont descendus dans la carrière, qui, lors même qu'ils n'obtiennent pas le prix, se signalent par de louables efforts. Enfin, le descendant de François I", le père de la patrie, lorsqu'il est venu naguères combler nos vœux par sa présence, a distingué, au milieu des nombreux hommages qui lui étaient adressés, ceux d'une modeste Société, plus jalouse de mériter la reconnaissance publique que d'occuper les voix de la Renommée. Il a bien voulu lui promettre son appui et lui a adressé de ces mots qui sont à la fois un encouragement et une récompense. Acceptons de pareils augures, saluons-les comme l'aurore de jours meilleurs où il nous sera permis de remplir

dans toute son étendue le vaste cadre que nous ont tracé nos fondateurs. Jamais époque ne fut d'ailleurs mieux choisie pour fonder des illustrations départementales. Le temps n'est plus où la Capitale s'arrogeait le monopole des sciences, des arts et de

la littérature, où l'on attendait ses arrêts pour savoir ce qu'il fallait louer ou blâmer, où l'on flétrissait de l'épithète de provincial tout ce qui était conçu en dehors de cette enceinte privilégiée. Que dis-je ? quand nous voyons à quelles étranges productions on prodigue dans ces mêmes lieux la vogue ét l'enthousiasme, on pourrait croire que le Dieu du goût qui, si long-temps y a rendu ses oracles, s'est choisi un autre séjour où il attend les réparations éclatantes qui lui sont dues pour tant d'outrages. Paris reste encore la Capitale du monde civilisé par les ressources immenses qu'il offre à l'instruction, par une réunion unique de grandes notabilités en tous genres qu'il attire et retient toujours par l'attrait des honneurs, de la fortune et d'une vie sociale perfectionnée; mais enfin, le reste de la France est compté pour quelque chose. Dans plusieurs de nos Départemens se sont formés des dentres indépendans où de grands succès ont été obtenus, où les sciences exactes, la jurisprudence, l'histoire naturelle, ont consacré des noms qui ne redoutent aucune rivalité. C'est là que, dans le calme de la retraite, une foule d'hommes laborieux a voué sa vie à toutes les branches des connaissances humaines. Ils ne se divisent point en sectes, ils ne spéculent point sur le produit de leurs veilles, ils n'ont point réduit la critique à n'être plus qu'un échange convenu de louanges sans valeur entre eux et leurs amis. L'agriculteur n'y donne des leçons qu'après avoir, longues années, pratiqué ce qu'îk

enseigne; ceux qui interrogent la nature ne lui demandent que la vérité et non des preuves à l'appui d'un système. Les uns s'occupent de chercher dans la poussière des vieilles archives quelque document historique que la main du temps allait effacer; les autres, sous le marteau de nos nouveaux Vandales, se hâtent de fixer sur la toile quelque débris du moyen âge qui, pour la poésie et l'imagination, sera toujours l'âge héroïque de notre nation. Ainsi chaque jour voit recueillir une masse prodigieuse de faits et d'observations dont les sciences et les arts s'enrichiront ainsi de toutes parts; des foyers d'instruction, s'étendant de proche en proche, finiront par porter la lumière sur tous les points d'un vaste empire.

Qu'il serait heureux pour notre pays de pouvoir fournir quelque trait à un tel tableau ! Parmi ces dictons injurieux que nos anciennes provinces, autrefois nations séparées et rivales, se renvoyaient l'une à l'autre, il en est un qui refuse à celle que nous habitons les dons du génie et de l'esprit : depuis long-temps la raison publique en a fait justice. Comment refuser le génie au sol qui a produit Racine et La Fontaine ? Un ancien Bibliothécaire de cette ville a vengé la Champagne d'une manière glorieuse en déroulant la longue série d'hommes distingués qu'elle a vu naître dans tous les temps et dans tous les genres, depuis le premier troubadour qui célébrait la reine Blanche jusqu'à notre caustique et spirituel Grosley. Si la modestie de l'orateur

n'eût égalé son érudition, il eût pu se produire luimême comme une nouvelle preuve de la thèse qu'il soutenait. Je ne sais, mais il me semble, que tant de soins n'étaient pas nécessaires et ne servaient même pas nos véritables intérêts. Loin que notre délicatesse s'effarouche de ce reproche d'infériorité, il faudrait, si par hasard il était òublié, le faire revivre, pour qu'il nous stimule sans cesse, pour que sans cesse nous nous efforcions de le démentir d'une manière éclatante, non plus en recherchant dans le passé des noms sur la réputation desquels nous avons assez vécu, mais en inscrivant de nouveaux noms et de nouveaux services sur les tables de l'immortalité.

La Société, dont j'ai l'honneur d'être l'interprète, ne restera pas en arrière pour seconder cet élan généreux; étrangère à tout esprit de corps, elle ne concentre point son intérêt sur elle-même ; elle est heureuse et fière de tout le bien qui se fait, lors même qu'elle n'a aucune part à en revendiquer. Toujours elle a mis au premier rang de ses devoirs la mission de provoquer le développement de toutes les facultés de l'intelligence là où sa voix peut se faire entendre. Elle dira donc à nos jeunes peintres Défiez-vous des succès faciles. Gardezvous de consacrer à des travaux obscurs des pinceaux que réclament les grandes pages de la peinture historique. Pour arriver à la fortune, prenez le chemin le plus long : c'est celui des études pénibles, mais c'est celui de la gloire. Elle dira à nos jeunes

sculpteurs L'image des bienfaiteurs de l'humanité ne devrait jamais périr; c'est à vous qu'il appartient de la transmettre à travers les siècles fixée sur le marbre et l'airain; rendez-vous dignes d'une si belle tâche, les modèles ne vous manqueront pas, et déjà l'un de vous (1), chargé de reproduire à nos yeux des traits augustes et chéris, reçoit une distinction que les grands maîtres n'obtenaient que dans la maturité de leurs talens. Elle dira à nos jeunes écrivains : Ne prenez pas le bruit pour la renommée, la licence pour l'indépendance de la pensée ; un désir prématuré de produire pour le signe de l'inspiration. Des innombrables écrits dont la France est aujourd'hui comme accablée, bien peu doivent échapper à l'oubli; ce sera, n'en doutez pas, ceux qui, pour plaire, n'emploieront que les moyens avoués par le goût et la raison; ce sont surtout ceux qui, étrangers aux passions haîneuses et irritantes, ne s'adresseront aux hommes que pour les éclairer, pour les conci, lier, pour les diriger avec indulgence et bonne foi dans la recherche de la vérité. Enfin elle dira à tous ceux qui se sentent nés pour illustrer la carrière qu'ils ont embrassée : Fécondez, par un travail opiniâtre, les dons heureux que vous a départis la nature. Aujourd'hui le talent est une puissance. L'estime publique, la fortune, les honneurs les

(1) M. Simard, de Troyes.

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