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Et l'autre de pois verds, qui fe noyoient dans l'eau.
Un fpectacle fi beau surprenant l'affemblée,
Chez tous les conviés la joye èft redoublée :
Et la troupe à l'inftant, ceffant de frédonner,
D'un ton gravement fou s'èft mise à raisonner,
Le vin au plus muet fourniffant des paroles,
Chacun a debité fes maximes frivoles,
Reglé les interêts de chaque Potentat,
Corrigé la Police, et reformé l'Etat ;

Puis delà s'embarquant dans la nouvelle guèrre
A vaincu la Hollande, ou battu l'Angleterre.
Enfin, laiffant en paix tous ces peuples divers,
De propos en propos on a parlé de vers.
Là, tous mes Sots enflés d'une nouvelle audace,
Ont jugé des auteurs en maitres du Parnaffe.
Mais notre Hôte fur tout, pour la jufteffe et l'art,
Elevoit jufqu'au Cièl Theophile et Ronsard.
Quand un des Campagnards relevant sa moustache,
Et fon feutre à grands poils ombragé d'une panache,
Impose à tous filence, et d'un ton de docteur.
Morbleu, dit il, la Serre èft un charmant auteur!
Ses vers font d'un beau ftile, et fa profe èft coulante,
La Pucelle èft encore une oeuvre bien galante;
Et je ne fais pourquoi je bâille en la lifant.
Le Pais, fans mentir, est un bouffon plaifant:
Mais je ne trouve rien de beau dans ce Voiture,
Ma foi, le jugement fert bien dans la lecture.
A mon gré, le Corneille èft joli quelquefois, i
En verité pour moi, j'aime le beau François.
Je ne fais pas pourquoi l'on vante l'Alexandre;
Ce n'èft qu'un glorieux qui ne dit rien de tendre.
Les Heros chez Quinaut parlent bien autrement,
Et jufqu'à je vous hais, tout s'y dit tendrement.
On dit qu'on l'a drapé dans certain Satire,

!

Qu'un jeune homme Ah! je fais ce que vous voulez, dire,

A répondu nôtre Hôte, un Auteur fans défaut
La raifon dit Virgile, et la rime Quinaut.

Juftement. A mon gré, la pièce èit affez plate;

Et puis blâmer Quinaut Avez-vous vu l'Astrate? C'èft ́là ce qu'on appelle un ouvrage achevé.

Sar tout l'Anneau Royal me femble bien trouvé.

Son

Son fujêt èft conduit d'un belle manière,
Et chaque acte en fa pièce èft un pièce entière,
Je ne puis plus fouffrir ce que les autres font.

Il est vrai que Quinaut est un esprit profond:
A repris certain fat, qu'à fà mine difcrete
Et fon maintien jaloux j'ai reconnu pošte ;
Mais il en est pourtant, qui le pourroient valoir.
Ma foi, ce n'èit pas vous qui nous le ferez voir,
A dit mon Campagnard avec une voix claire,
Et déjà tout bouillant de vin et de colère.
Peut-être, a dit l'Auteur pâliffant de courroux;
Mais vous, pour en parler vous y connoiffez-vous?
Mieux que vous mille fois, dit le noble en furie.
Vous? Mon Dieu, mêlez-vous de boire, je vous prie,.
A l'auteur fur le champ aigrement reparti.

Je fuis donc un Sot? moi? vous en avez menti:
Repond le Campagnard; et fans plus de langage,
Lui jette, pour défi, son affiette au visage.
L'autre efquive le coup, et l'affiette volant
S'en va frapper le mur et revient en roulant.
A cet affront, l'auteur fe levant de la table,
Lance à mon Campagnard un regard effroyable :
Et chacun vainement fe ruant entre deux,
Nos braves s'acrochant fe prennent aux cheveux ;
Auffi-tôt fous leurs pieds les tables renverfées,
Font voir un long débris de bouteilles caffées :
En vain à lever tous les Valets font fort prompts,
Et les ruiffeaux de vin coulent aux environs.

Enfin, pour arrêter cette lutte barbare;

De nouveau l'on s'efforce, on crie, on les fepare,⠀ *
Et leur première ardeur paffant en un moment,
On a parlé de paix et d'accommodement.
Mais tandis qu'à l'envi tout le monde y confpire,
J'ai gagné doucement la porté fans rien dire,
Avec un bon ferment. que fi pour l'avenit,
En pareille cohue on me peut retenir,
Je confents de bon coeur pour punir ma fólie,
Que tous les vins pour moi deviennent vins de Brie,
Qu'à Paris le gibier manque tous les hyvers,

Et qu'à peine au mois d'Aout l'on mange des pois verds.

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EPITRE VI. DE M. BOILEAU.

A M. de LAMOIGNON Avocat-General.

OUI, Lamoignon, je fuis les chagrins de la ville,

Et contre eux la campagne èft mon unique azile; Du lieu qui m'y retient veux-tu voir le tableau ? C'èft un petit village, ou plutôt un hameau, Bâti fur le penchant d'un long rang de collines, D'où l'oeil s'égare au loin dans les plaines voifines. La Seine au pié des monts que fon flot vient laver Voit du fein de fes eaux vingt ifles s'élever, Qui partageant fon cours en diverfes manières, D'une rivière feule, y forment vingt rivières. Tous fes bords font couverts de faules non plantés, Et de noyers fouvent du paffant infultés. Le village au deffus forme un amphitheatre. L'habitant ne connoît ni la chaux, ni le plâtre Et dans le roc qui cède et fe coupe aifément, Chacun fait de fa main creufer fon logement: La maifon du Seigneur feule un peu plus ornée Se prefente au dehors de murs environnées Le Soleil en naiffant la regarde d'abord : Et le mont la défend des outrages du nord.

C'èft là, chèr Lamoignon, que mon efprit tranquille
Met à profit les jours que la Parque me file.
Ici dans un vallen bornant tous mes defirs,
J'achete à peu de frais de folides plainrs.
Tantôt un livre en main errant dans les prairies
J'occupe ma raifon d'utiles reveries.

Tantôt cherchant la fin d'un vers que je conftruis,
Je trouve au coin d'un bois le mot qui m'avoit fui.
Quelquefois aux appas d'un hameçon perfide,
J'amorce en badinant le poiffon trop avide;
Ou d'un plomb qui fuit l'oeil, et part avec l'éclair,
Je vais faire la guèrre aux habitants de l'air.
Une table au retour propre et non magnifique
Nous prefente un repas agréable et rustique.

La

Là, fans s'affujettir aux dogmes de Brouffain,
Tout ce qu'on boit èst bon, tout ce qu'on mange èst sain,
La maifon le fournit, la Fermière l'ordonne,
Et mieux que Bergerat l'appetit l'affaifonne.
O fortuné fejour! O champs aimés des Cieux !
Que pour jamais foulant vos prés delicieux,
Ne puis je ici fixer ma course vagabonde,
Et connu de vous feuls, oublier tout le monde !
Mais à peine du fein de vos vallons cheris,
Arraché malgré moi, je rentre dans Paris,

Qu'en tous lieux, les chagrins m'attendant au paffage,
Un coufin abufant d'un fâcheux parentage,
Veut qu'encore tout poudreux, et fans me débotter
Chez vingt Juges pour lui j'aille folliciter.

Il faut voir de ce pas les plus confiderables.
L'un demeure au Marais, et l'autre aux Incurables.
Je reçois vingt avis qui me glacent d'éffroi.

Hier, dit-on, de vous on parla chez le Roi,
Et d'attentat horrible on traita la Satire.
Et le Roi, que dit-il? Le Roi fe prit à rire,
Contre vos derniers vers on est fort en courroux
Pradon a mis au jour un livre contre vous,"
Et chez le chapelier du coin de notre place
Au tour d'un caudebec j'en ai lu la preface.
L'autre jour fur un mot la cour vous condamna.
Le bruit court qu'avant hier on vous affaffină.
Un écrit fcandaleux fous votre nom fe donne.
D'un Pafquin qu'on a fait au Louvre on vous foupçonne,
Mais Vous. On me l'a dit dans le Palais Royal.
Douze ans font écoulés, depuis le jour fatal,
Qu'un libraire imprimant les effais de ma plume,
Donna pour mon malheur un trop heureux volume.
Toujours depuis ce tems en proye aux fots difcours,
Contre eux la verité m'èít d'un foible fécours.
Vient-il de la Province une Satire fade,
D'un plaifant du païs infipide boutade?
Pour la faire courir on dit qu'elle èft de moi:
Et le fot campagnard le croît de bonne foi.
J'ai beau prendre à temoin et la cour et la ville.
Non à d'autres, dit-il, on connoit votre ftile.
Combien de tems ces vers vous ont-ils bien couté ?
Ils ne font point de moi, Monfieur, en verité :

Peut

Peut-on m'attribuer ces fottifes étranges?

Ah! Monfieur, vos mépris vous fervent de louanges.
Ainfi de cent chagrins dans Paris accablé ;
Juge, fi toujours trifle interrompu, troublé,
Lamoignon, j'ai le tems de courtifer les Mufes.
Le monde cependant fe rit de mes excuses,
Croit que pour m'inspirer fur chaque évenement
Apollon doit venir au premier mandement.

Un bruit court que le Roi va tout reduire en poudre,
Et dans Valenciennes èft entré comme un foudre ;
Que Cambray des François l'épouvantable écueil,
A vu tomber enfin fes murs et fon orgueil :
Que devant Saint-Omer Naffau par fa défaite,
De Philippe vainqueur rend la gloire complete.
Dieu fait, comme les vers chez-vous s'en vont couler,
Dit d'abord un ami qui veut me cageoler,

Et dans ce tems guèrrier, et fecond en Achilles,
Croit que l'on fait des vers, comme l'on prend des villes.
Mais moi dont le genie èft mort en ce moment,
Je ne fais que répondre à ce vain compliment,
Et juftement confus de mon peu d'abondance,
Je me fais un chagrin du bonheur de la France.
Qu'heureux èft le mortel, qui du monde ignoré,
Vit content de foi-même en un coin retiré !
Que l'amour de ce rien qu'on nomme renommée,
N'a jamais enyvré d'une vaine fumée,
Qui de fa liberté forme tout fon plaifir,
Et ne rend qu'à lui feul compte de fon loifir !
Il n'a point à fouffrir d'affronts ni d'injuftices,
Et du peuple inconftant il brave les caprices.
Mais nous autres faifeurs de livres et d'écrits,
Sur les bords du Permeffe aux louanges nourris,
Nous ne faurions brifer nos fèrs et nos entraves
Du lecteur dédaigneux honorables efclaves,
Du rang où nôtre efprit une fois s'èst fait voir,
Sans un facheux éclat, nous ne faurions déchoir,
Le public enrichi du tribut de nos veilles,
Croit qu'on doit ajouter merveilles fur merveilles,
Au comble parvenus il veut que nous croiffions!
Il veut en viéilliffant que nous rajeuniffions.
Cependant tout décroit, et moi même à qui l'âge,

D'au

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