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nées qu'on met fur ce petit lac, font un merveilleux effet. Cette falle immense ne fert que pour les fêtes extraordinaires.

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A

D'Avignon, le 15 Juin 1758.

VANT de venir dans cette ville, nous avons paffé à Marseille. Le Port n'a pas rempli mon attente : peut-être le mal de tête que j'eus en paffant un long faux-bourg entre deux murs, où j'étouffois de chaud et de pouffière, m'avoit donné de l'humeur. LQuai èft fort rétréci par les loges des galériens qu'on y a transportés de Toulon, de façon qu'on y paffe à peine. La nouvelle ville a de belles rues droites; mais les tortueufes de l'ancienne conviennent mieux au pays brûlé du foleil et battu des vents: Nos Ancêtres avoient moins de tort que de raifon, pour éviter nos alignements réguliers; et leur peu de croifées haut percées les garantifoient mieux du froid et du chaud. En fortant, nous découvrimes les Baftides des Marfeillois, que vous avez entendu vanter. Je ne fais comment des hommes les habitent: Leur peu d'efpace conviendroit à des Lilliputiens; leur fituation fur un fable brulant, à des falamandres; la féchereffe du terrein fans moiffon et fans abri, à des Sylphes. Peutêtre leur multitude fe prête l'une à l'autre un agréable point de vue mais il falloit quitter ces lieux pour voir à Aix une Proceffion fameufe de Vierges, d'Anges, de Diables et de Moines: Nous y arrivames la veille de ce bifarre spectacle; j'y rencontrai un grand nombre de chaifes-a-porteurs, remplies de jolies femmes bien parées.

Nous nous rendimes à Avignon le lendemain: Les murs de cette ville, fondée par les Phocéens, et vendue au Pape Clement VI. par Jeanne Reine de Naples, font fort beaux ; le rempart planté d'arbres tout autour forme une agréeable promenade, où l'on voit nombre de dames parées comme aux Tuilleries: Nulle de nos villes de Province n'en raffemble d'auffi bon air, ni tant de Tt

noms

noms connus.

La Marquife de Vauclufe y tient le foir l'affemblée : : On y foupe, on y joue, on y trouve des gens de bonne compagnie.

Le Vice-Légat eut la complaisance de me mener à fix lieues d'ici, voir Vauclufe, lieu où le Chanoine Pétrarque foupira vingt ans pour la belle Laure: Peut-être n'en étoit-il pas moins dévot. Dans les vieux temps, les Cardinaux, les Evêques, fefoient même des fonnets galants; tout paffoit, pourvu que ce fut à l'imitation de Petrarque. Les vers de cet amant inimitable, qui pleura dix ans fa belle, font par-tout: et les débris de fon château reftent encore fur un rocher voifin de cette Fontaine dont on a fait tant de flatteufes descriptions. Son onde claire forme, en flots bouillonants, une rivière dès fa fource; tourne enfuite autour d'une ville, lui donne ainfi le nom de l'ifle, arrofe les près et les arbres qui l'environnent, en fait un lieu délicieux, et la fournit d'excellentes truites et d'écréviffes: Mon bienfefant conducteur nous en ft manger.

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L

LES JARDIN S.

PAR M. L'ABBE'E DE LILLE.

BS CHANT PREMIER.

E doux printemps revient, et ranime à la fois
Les oifeaux, les zéphirs, et les fleurs, et ma voix.
Pour quel fujèt nouveau dois-je monter ma lyre?
Ah! lorfque d'un long deuil la terre enfin refpire,
Dans les champs, dans les bois, fur les monts d'alentour
Quand tout rit de bonheur, d'efpérance et d'amour,
Qu'un antre ouvre aux grands noms les faces de la gloire:
Sur un char foudroyant qu'il place la victoire;
Que la coupe d'Atrée enfanglante fes mains:
Flore a fouri; ma voix va chanter les jardins.
Je dirai comment l'art, dans de frais paysages,
Dirige l'eau, les fleurs, les gazons, les ombrages.
Toi donc, qui mariant la grace et la vigueur,
Sais du chant didactique animer la langueur,
O Muse! fi jadis, dans les vers de Lucrèce,
Des auftères leçons tu polis la rudeffe ;
Si par toi, fans flétrir le langage des dieux,
Son rival a chanté le foc laborieux;

Viens orner un fujèt plus riche, plus fertile,
Dont le charme autrefois avoit tenté Virgile.
N'empruntons point ici d'ornement étranger;
Viens, de mes propres fleurs mon front va s'ombrager;
Et, comme un rayon pur colore un beau nuage,
Des couleurs du fujèt je teindrai mon langage.

L'art innocent et doux que celébrent mes vers,
Remonte aux premièrs jours de l'antique univers.
Dès que l'homme eut foumis les champs à la culture,
D'un heureux coin de terre il foigna la parure;
Et plus près de fes yeux il rangea fous fes loix
Des arbres favoris et des fleurs de fon choix.
Du fimple Alcinous le luxe encor ruftique
Décoroit un verger. D'un art plus magnifique

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Babylone éleva des jardins dans les airs.

Quand Rome au monde entier eut envoyé des fère,
Les vainqueurs, dans des parcs örnés par la victoire
Alloient calmer leur foudre et repofer leur gloire.
La Sageffe autrefois habitoit les jardins,

Et d'un air plus riant inftruifoit les humains:
Et quand les Dieux offroient un Elyfée aux fages,
Etoit-ce des palais? c'ètoit de verds bocages;
C'étoit des piès fleuris, féjour des doux loisirs,
Où d'une longue paix ils goutoient les plaisirs.
Ouvrons donc, il èfl temps, ma carrière nouvelle;
PHILIPPE m'encourage, et mon fujet m'appelle.

Four embellir les champs fimples dans leurs attraits,
Gardez-vous d'infulter la nature à grands frais,
Ce noble emploi demande un aítifte qui penfe,
Prodigue de génie, et non pas de dépense.
Moins pompeux qu'élégant, moins décoré que beau,
Un jardin, à mes yeux, eft un vafle tableau.

Soyez peintre. Les champs, leurs nuances fans nombre, Les jets de la lumière, et les maffès de l'ombre,

Les heures, les faifons, variant tour-à tour

Le cercle de l'année et le cercle du

jour,
Et des près émaillés les riches broderies,
Et des rians côteaux les vertes draperies,
I es arbres, les recheis, et les eaux, et les fleurs,
Ce font là vos pinceaux, vos toiles, vos couleurs,
La nature et à vous; et votre main féconde
Difpofe, pour créer, des éléments du monde.

Mais avant de planter, avant que du terrein
Votre Lêche imprudente ait entamé le sein,
Pour donner aux jardins une forme plus pure,
Obfervez, connoillez, imitez la nature.
N'avez vous pas fouvent aux lieux infiéquentés,
Rencoutré tout à coup ces afpects enchantés
Qui fufpendent vos pas, dont l'image chérie
Vous jette en une douce et longue réverie ?
Saififfez, s'il fe peut, leurs traits les plus frappans,.
Et des champs apprenez l'art de parer les champs.
Voyez auffi les lieux qu'un gout favant décore.
Dans ces tableaux choifis vous choifirez encore.
Dans fa pompe élégante admirez Chantilli,
De héros en héros, d'âge en âge embelli.

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Bloeil, tout à la fois magnifique et champêtre,
Chanteloup, fièr encor de l'exil de fon maître,
Vous plairont tour-à-tour. Tel que ce frais bouton,
Timide avant-coureur de la belle faifon,
L'aimable Tivoli, d'une forme nouvelle
Fit le premièr en France entrevoir le modèle,
Les Grâces en riant deffinèrent Montreuil.
Maupertuis, le Défert, Rincy, Limours, Auteuil,
Que dans vos frais fentiers doucement on s'égare!
L'ombre du grand Henri chérit encor Navarre.
Semblable à fon augufte et jeune déité,
Trianon joint la grace avec la Majesté.
Pour elle il s'embellit et s'embellit
par elle.
Et toi, d'un Prince aimable, ô l'afyle fidèle !
Dont le nom trop modeste èst indigne de toi,
Lieu charmant! offre lui tout ce que je lui doi,
Une fortuné loifir, une douce retraite.
Bienfaiteur de mes vers, ainfi que du poète,
C'èft lui qui, dans ce choix d'écrivains enchanteurs,
Dans ce jardin paré de poetiques fleurs,

Daigne accueillir ma mufe. Ainfi du fein de l'herbe
La violette croit auprès du lys fuperbe.
Compagnon inconnu de ces hommes fameux,
Ah! fi ma foible voix pouvoit chanter comme eux,
Je peindrois tes jardins, le dieu qui les habite,
Les arts et l'amitié qu'il y mène à sa suite.

Beau lieu fais fon bonheur. Et moi, fi quelque jour, Grace à lui, j'embellis un champêtre féjour,

De mon illuftre appui j'y placerai l'image.

De mes premières fleurs je veux qu'elle ait l'hommage; Pour elle je cultive et j'enlace en feftons

Le myrte et le laurier, tous deux chèrs aux Bourbons. Et fi l'ombre, la paix, la liberté m'inspire,

A l'auteur de ces dons je dévouerai ma lyre.

J'ai dit les lieux charmants que l'art peut imiter;
Mais il èft des écueils que l'art doit éviter.
L'efprit imitateur trop fouvent nous abuse
Ne prétez point au fol des beautés qu'il refufe ;
Avant tout connoiffez votre fite; et du lieu
Adorez le génie, et confultez le dieu.
Ses loix impunément ne font pas offenfées :
Cependant moins hardi qu'étrange en fés penfées,
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