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Juin 1717, de vouloir bien lui faire l'honneur d'être un de fes membres; l'Abbé Bignon reçut de Pétersburgh, le 7 Novembre de la même année, une lettre du premier médecin de fa Majesté Czarienne, contenant qu'elle étoit très-fatisfaite de ce que l'illuftre corps de l'Académie vouloit la mettre au nombre de ceux qui la compofoient. M. de Fontenelle, comme fecrétaire de la compagnie, fut chargé de répondre à cette lettre.

Un des établiffements que le Czar admira le plus, fut l'Hotel Royal des Invalides. Après qu'il eut tout examiné avec cet oeil obfervateur auquel rien n'échappoit, M. le Maréchal de Villars le conduifit dans le réfectoire, au moment que les foldats fe mettoient à table. Ce Prince gouta de leur foupe, et prenant un verre du vin ; A la fanté, dit-il, de mes s camarades.

Le Czar, de retour dans les Etats, y fit fleurir les friences et les arts; et ce qui èlt peut-être plus difficile, il parvint à réformer les anciens ufages des Mofcovites. Ses divertiffements mêmes furent confacrés à faire gouter le nouveau genre de vie qu'il introduifoit parmi fes fujet. C'èit dans cette vue qu'un foir il fit inviter tous les boyards, et les dames, aux noces d'un de fes bouffons: 11 exigea que tout le monde y parut vêtu à l'ancienne mede. On fervit un repas tel qu'on le fefoit au seizième siècle. Une ancienne fuperftition ne permettoit pas qu'on allumât du feu le jour d'un mariage, pendant le froid le plus rigoureux: Cette coutume fut févèrement obfervée le jour de la fête. Les Ruffes ne buvoient, point de vin autrefois, mais de l'hydromel, et de l'eau-devie; il ne permit pas ce jour-là d'autre boiffon. On fe plaignit en vain: il répondoit en raillant: "Vos ancê"tres en ufoient ainfi ; les ufages anciens font toujours "les meilleurs." Cette plaifanterie contribua beaucoup à corriger ceux qui préfèrent toujours le temps paffé au préfent, ou du moins à décréditer leurs murmures.

Les grands projets de réforme du Czar avoient été fouvent arrétés par les guèrres cruelles que lui fefoit Charles XII. Roi de Suède. Ce fut pour s'adonner tout entier à l'exécution de fes projets, qu'après les campagnes de 1708 il hafarda quelques propofitions de paix qui furent por. tées par un gentilhomme Polonois à l'armée de Suède.

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Mais Charles XII. accoutumé à n'accorder la paix à fes ennemis que dans leur capitale, répondit: Je traiterai avec le Czar à Mofcow. Quand on rapporta au Czar cette réponse hautaine: "Mon frère Charles, dit-il, pretend "toujours faire l'Alexandre; mais je me flatte qu'il ne "trouvera pas en moi un Darius."

Les foins infatigables de Pierre, et les défaites même des Mofcovites, leur apprirent enfin le métier de la guèrre. Ils remportèrent une victoire complette fur Charles XII. à Pultawa, le 8 Juillet 1709. Il y eut beaucoup d'offi. ciers prifonniers parmi les Suèdois; entre autres Renchild, général de l'armée de Suède. On les amena au camp du Czar, qui les invita à manger avec lui, le jour même de fa victoire. Comme le Czar paroiffoit furpris que les Suédois fe fuffent hafardés dans un pays fi reculé, et euffent affiégé Pultawa avec un petit nombre de troupes : "Nous n'avons pas toujours été confultés; répondit le général ; mais, comme fidelles ferviteurs, nous avons "obéi aux ordres de notre maître, fans jamais y contre"dire." Le Czar le tourna à cette réponse vers quelques-uns de fes courtisans, autrefois foupçonnés d'avoir trempé dans des confpirations contre lui: ་་ Ah! "dit-il, voilà comme il faut fervir fon fouverain." Allors, prenant un verre de vin: "A la fanté, dit-il, de mes maî "tres dans l'art de la guèrre." Renchild lui demanda qui étoient ceux qu'il honofoit d'un fi beau titre ?— Vous, Meffieurs les Généraux Suédois. "Votre Majefté

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èft donc bien ingrate, reprit Renchild, d'avoir tant "maltraité fes maîtres" Le Czar, après le repas, fit rendre les épées à tous les officiers généraux, et les traita avec bonté.

Le Czar, par fa bravoure et fa magnanimité, avoit mé rité la victoire de Pultawa. Son chapeau y fut percé d'une balle de moufquet. Dans le combat du 7 Octobre 1708 contre les Suédois, la confufion s'étoit mife dans l'armée des mofcovites. Dès que l'Empereur vit que fes troupes commençoient à reculer, il courut à l'arrièregarde, ou étoient les Cofaques et les Calmoucs: Je vous ordonne, leur dit-il de tirer fur quiconque fuira, et de me tuer moi-même. fi je fuis affez lâche pour me retirer. De-là il retourna à l'avant garde, et rallia ses troupes lui même.

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En 1704, il avoit pris d'affaut la ville de Narva. Comme fes troupes, malgré les ordres qu'il avoit donnés, mettoient tout à feu et à sang, il se jette au milieu des plus mutins, arrache des femmes de leurs mains, et ayant tué deux de ces emportés, il entre à l'hotel-de-ville où les citoyens fe refugioient en foule; là pofant fon épée fanglante fur la table: "Ce n'eft pas du fang des habitants, dit-il, que cette épée èft teinte; mais du fang de mes "foldats, que j'ai verfé pour vous fauver la vie."

Au mois de Juillet 1711, ce Prince, à la tête de fes troupes, et manquant de provifions, fe trouvoit renfermé fur les bords du Pruth par une armée de cent cinquante mille Turcs. Les ennemis lui imposèrent, entre autres conditions, qu'on leur livrât Cantemir, Vaivode de Maldavie, qui s'étoit réfugié auprès du Czar. Ce Prince, malgré l'extrémité où il étoit réduit, écrivit de fa propre main à fon plénipotentiaire : "J'abandonnerai plutôt "aux Turcs tout le terrein qui s'étend jufqu'à Curík; il "me restera l'efpérance de la recouvrer: Mais la perte "de ma foi èft irréparable; je ne peux la violer. Nous "n'avons de propre que l'honneur; y renoncer, c'èit "ceffer d'être monarque."

On a reproché à ce Prince une inflexibilité dans le caractere, qui le rendit quelquefois cruel. Mais, peut être, cette févérité étoit-elle néceffaire pour cimenter les fondements de fon Empire naiffant. Il fit condamner foo propre fils à mort, pour avoir violé fes ordres. L'Impé ratrice Cathérine, qui avoit tant de droit fur fon coeur, et par ces fervices, et par fon attachement, ne put obtenir la grâce d'une de fes dames d'atour, accufée, auprès du Czar, d'avoir accepté des préfents, malgré les défenfes faites à toutes perfonnes en place d'en recevoir. Comme Catherine le follicitoit vivement, Pierre, dans fa colère, caffa une glace de Venife, et dit à fa femme: "Tu vois

qu'il ne faut qu'un coup de ma main pour faire rentrer "Cette glace dans la pouffière dont elle èft fortie." Cathérine le regarda avec une douleur attendriffante, et lui dit: "Hé bien, vous avez caffé ce qui fefoit l'ornement "de votre palais; croyez-vous qu'il en devienne plus "beau?" Ces paroles appaisèrent l'Empereur; mais toute la grâce que fa femme put obtenir de lui, fut que

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fa danie d'atour" ne recevroit que cinq coups de knout, au lieu de onze.

On a lieu d'être étonné qu'un Prince législateur, et auffi abfolu que le Czar, n'ait point fait de teftament. Peut-être ne fe croyoit-il pas fi proche de fa fin, lorsqu'il mourut entre les bras de fon époufe, après une agonie de feize heures. L'Impératrice Catherine lui fuccéda.

CATHERINE ALEXOWNA, Epoufe de Pierre le
Grand.

CATE

ATHERINE ALEXOWNA, naquit près de Derpart, petite ville en Livonie, de parents fort pauvres. Elle perdit fon père de bonne heure; et le travail de fes mains fuffifoit à peine à son existence, et à celle d'une mère accablée d'infirmités.

de la na

Sa mère lui

Elle étoit belle et bien faite; elle avoit reçu ture un efprit auffi vif que jufte et folide. apprit a lire, et un vieux Curé Luthérien l'inftruifit dans les principes et dans les devoirs de la religion.

Catherine avoit quinze ans, lorfque fá mère mourut, elle alla demeurer avec le Curé Luthérien qui l'avoit élevée, et rendit aux filles de cet eccléfiaftique l'education qu'elle avoit reçue de leur père. Elle prit avec les élèves des leçons de danfe et de mufique, et elle continua de fe perfeétionner dans ces deux arts jufqu'à la mort de fon bienfaiteur: Ce malheur la reduifit à la plus affreufe indigence: Et la guèrre qui s'alluma entre la Ruffie et la Suède, força Catherine à quitter la patrie, et à aller chercher un afile à Marienbourg.

Il lui fallut traverfer à pied un pays ravagé par deux armées ennemies. Après avoir échappé à plufieurs dangers, elle fut attaquée par deux foldats Suedois, qui fans doute fe feroient portés à lui faire violence, fi un bas-officier ne fut venu à fon fécours. Elle rendoit grâces à fon libérateur: Quelle fut fa furprife lorfqu'elle reconnut dans lui le fils du Pafteur Luthérien qui avoit élevé fon enfance ! Le jeune officier fournit à Catherine tous les fécours né. ceffaires pour achever fon voyage, et lui donna une lettre de recommandation auprès de M. Gluck, ami intime de fon père, et fon intime ami à Marienbourg. Eile eut bientôt le bonheur de fe recommander elle-même par fon

S s

efprit,

efprit, par ses grâces, et par sa beauté. Quoiqu'elle n'ent encore que dix-fept ans, M. Gluck lui confia l'éducation de fes deux filles. Dans cet emploi, elle fut fi bien mériter l'eftime du père de fes élèves, que M. Gluck, qui étoit yeuf, crut pouvoir lui offrir fa main. Catharine la refufa; et, dans le même temps, elle offrit la fienne à fon libéra teur, quoiqu'il eut perdu un bras, et qu'il fût couvert de bleffûres.

Il étoit, fans doute, impoffible de preffentir la future grandeur de Catherine; mais en fuppofant qu'on la prévît, on eut pu dès-lors affurer que la fortune feroit toujours au deffous d'une telle âme. Le jeune officier étoit alors en garnison dans la ville. Sa furprife fut égale à fa reconnoiffance: Il accepta avec tranfport la main de Catherine. Les deux époux avoient reçu la bénédiction nuptiale Le jour même, Marienbourg èft affiégé par les Ruffes; le jeune officier eft appellé pour repouffer un affaut; il èft tué avant d'avoir recueilli le fruit de la géné. rofité et de la reconnoiffance de fon époufe.

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Cependant le fiège fe continuoit avec acharnement. Marienbourg fut emporté d'affaut. La garnifon, les habitants, les femmes, les enfants, tout fut paffé au fil de l'épée. Enfin, le maffacre ayant ceffé, on trouva Catherine cachée dans un four.

Elle avoit bravé l'indigence; elle conferva fa férénité dans l'esclavage. Ce courage d'efprit, et fon rare mérite, la firent bientôt connoître. On en parla au Genéral Ruffe, le Prince Menzikoff, dont la deftinée étoit auffi bifarre que celle de Catherine. Il demanda à la voir; il fut epris de fa beauté: 11 l'acheta du foldat à qui elle appartenoit, et la mit entre les mains de fa propre foeur; enfin, il eut pour elle tous les égards dus à fon fexe et à fon infortune.

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Peu de temps après, Pierre le Grand rendit vifite au Prince Menzikoff. Catherine fervoit à table avec beau→ coup de grâce et de modellie.. Le Czar en fut frappé. 11 revint le lendemain; il demanda la belle efclave; il lui fit plufieurs queftions, et il trouva que les charmes de fon efprit furpaffoient ceux de fa figures Pierre, qui favoit créer les hommes, favoit auffi les juger. Il crut que Catherine étoit digne de le feconder dans fes grands deffeins. L'inclination fe joignità fes vues politiques, et il

refolut

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