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qu'à la commodité de fes habitants. Ses palais, fes jardins, "offroient des modèles en tout genre de ce beau fimplê, mais fublime, qui annonce le gout éclairé du maître. Les revenus de Stanillas étoient modiques; cependant, lorfqu'on vouloit apprécier ce que ce bon Prince fefoit, on le croyoit le plus riche potentat de l'Europe. Il fuffira de donner un exemple de cette économie fage et raifonnée qui lui fefoit faire de fi grandes choses. Ce Prince a donné aux magiftrats de la ville de Bar dix mille écus, qui doivent être employés à acheter du bled lorfqu'il eft à bas prix, pour le revendre aux pauvres à un prix médiocre, quand il eft monté à un certain point de cherté. Par cet arrangement la fomme augmente tous les jours, et bientôt on pourra la répartir fur d'autres endroits de la province.

PIERRE ALEXIOWITZ, Czar de Mofcovie,
Surnommé le Grand.

L

'EMPEREUR PIERRE I. étoit d'une taille haute :: il avoit une démarche fière, l'air noble, vif, fpiri tuel; le regard rude, et un certain tic défagréable, qui altéroit fouvent les traits de fon vifage. 11 parloit avec feu, s'exprimoit avec facilité; et fouvent il haranguoit fes troupes, fon confeil, le clergé Souverain et orateur, ces deux qualités lui donnoient un afcendant auquel il étoit difficile de refifter. Simple dans fes moeurs et dans fa cour, il méprifoit l'éclat et le fate. C'étoit le Prince Menzikof, fon favori, qu'il chargeoit de le repréfenter par une magnificence extraordinaire. Jamais il n'y eut d'homme plus actif, plus laborieux, plus entreprenant; plus infatigable. 11 comptoir, non les jours, mais fes moments, et il n'avoit à regretter la perte d'aucun. La peine et le danger ne l'effrayoient point. Les moyens les plus extraordinaires, les plus prompts, et les plus efficaces, étoient toujours ceux qu'il prétéroit pour faire réaffir les projets. Ainfi, pour introduire la difcipline dans fes troupes, foit fur terre, foit fur mer, il commença par exercer lui-même les plus bas emplois. Lorsqu'il etablit des gens pour porter du fecours dans les incendies que l'on fait être fort fréquentes en Mofcovie, il prit le premier une de ces commiffions périlleufes; et dans plus

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d'une occafion, on le vit, non fans effroi, monter avec la hache au haut des maifons embrafées qui s'écrouloient. Sa préfence fembloit-elle neceffaire ou de quelque utilité dans une partie de fon Empire, auffitôt-il partoit fans délai, fans fuite, et voloit avec une rapidité inconcevable de l'extrémité de l'Europe au coeur de l'Afie. Son voy. age le plus fréquent étoit de franchir l'intervalle de Pé terfbourg à Moscow, qui èst de deux cens lieues communes de France, comme un autre Prince paffe de fon palais à une maifon de plaifance. Ses peuples le croyoient toujours prêt d'arriver parmi eux. Son activité le multiplioit en quelque forte, et le rendoit préfent dans toute la vafte étendue de fes Etats. Ce Prince avoit, par un accident qui lui étoit arrivé dans fa jeuneffe, une antipathie extrême pour l'eau: Il fut combattre cette frayeur, et s'en dépouiller au point qu'il fit fes plus grands plaifirs de la marine. Pierre Alexiowitz ne triompha pas auffi heureufement des vices de fon naturel et de fon éducati on. Ce Prince étoit extrême dans fa haine, dans fa vengeance, dans fes plaifirs. prit avec les jeunes débauchés, que la Princeffe Sophie avoit mis autour de lui, un gout immodéré pour le vin et les liqueurs fortes. Cet excès de la boiffon ruina fon tempérament, lui mit le feu dans le fang, et le rendit fujet à des tranfports de fureur, dans lefquels il ne fe connoiffoit point. Le Fort étoit le feul de fes favoris qui avoit alors le pouvoir ou le cou rage de le dompter, de l'arrêter, et de lui reprocher avec force fes violences. La voix de l'Impératrice Cathérine étoit encore un charme très puissant pour retablir le calme dans fes fens agités, pour le rapeller aux fentiments d'humanité, aux principes de vertu, à lui même. Il s'ap paifoit en rougiflant de ces emportements involontaires, et s'écrivit avec confufion et avec douleur: Helas! jlaurai pu réformer ma nation, et je ne pourrai me réformer moi même Pierre le Grand étoit devenu le plus favant de fon Empire; il parloit plufieurs langues, et s'étoient renda habile dans les mathématiques, la phyfique, et la géographie. Il avoit appris jufqu'à la chirurgie, qu'l exerça plus d'une fois avec fuccès. Les projets les plus vaftes ne l'étonnoient point; et il les fuivoit avec une ardeur, avec une conftance, qui leur ôtoient tout ce qu'ils paroiffcient avoir d'abord de chimérique. C'è la har,

dieffe de fon génie, c'èft sa paffion pour les chofes extraordinaires qui lui firent entreprendre et exécuter, en peu d'années, la métamorphofe étonnante et fubite d'un peuple groffer et barbare, en un peuple éclairé et policé. Tout fa gloire fut utile à fa patrie. L'hiftoire n'offrira vraisemblablement que cet exemple unique d'un Empereur qui defcende du trône pour aller chez des nations étrangères, travailler comme un fimple merce naire dans les atteliers, dans les chantiers, dans les manufactures, fe confondant et voulant être méconnu parmi les artifans, afin d'apprendre les éléments des fciences et des arts, et de les introduire dans fes Etats. Il y a eu des rois conquérants, il y en a eu des législateurs et de grands politiques; mais Pierre le Grand èft le feul qui, à ces titres glorieux, ait pu joindre les qualités non moins héroïques, de réformateur de fon pays, de précepteur des connoiffances utiles, de fondateur des fciences et des arts, d'instituteur des moeurs de fes peuples.

Le Czar Pierre, qui, par fon propre génie, s'étoit élevé au deffus des préjugés, des moeurs, et des loix de fon pays, comprit que, pour introduire plus promptement dans fes Etats la réforme générale qu'il méditoit, il fal loit l'enfeigner par fon exemple. 11 fe foumit done le premier aux épreuves d'une difcipline militaire. Il avoit chargé Le Fort, illuftre guerrier, de lever cinquante mil'e hommes de troupes, et de les exercer comme il jugeoit à propros. Le Czar fe mit lui-même dans la compagnie. de Le Fort, qu'il appelloit fon capitaine. Son premier. grade fut celui de tambour; et après avoir battu quelque -temps la caiffe, et couché avec les camarades à la fuite du régiment, il fut nommé fergent. Il paffa fucceffivement aux autres grades, fuivant qu'il l'avoit mérité, et ik n'étoit pas facile de l'abufer à cet égard,

Les autres réformes qu'il méditoit, demandoient des épreuves et des lumières. 11 prit en conféquence l'étrange résolution d'aller les puifer chez les nations voifines, et de s'éloigner quelques années de fes Etats, pourapprendre à les mieux gouverner. ll voyagea en Alles, magne, vêtu à l'Allemande, et fous l'habit d'un fimple gentilhomme. Il méprifoit le fafte; mais il n'étoit que trop fenfible aux plaisirs de la table, fi fort à la mode autrefois en Allemagne. Dans un de ces repas, échauffé par les fumées du vin et des liqueurs, il s'oublia affez

pour

pour tirer l'épée contre fon favori Le Fort; mais ce qui fait l'éloge de ce Prince, c'est qu'il témoigna un vif re gret de cet emportement. Ce fut à cette occafion qu'il fe plaignit avec amertume de n'avoir pu triompher de lui-même.

Pendant fon féjour en Hollande, il étudia la géogra phie, la phyfique, l'histoire naturelle, et furtout la marine. 11 prit un habit de pilote, et alla dans cet équipage au village de Sardam, où l'on construifoit beaucoup de vaiffeaux. Il fe fit infcrire dans le nombre des charpentiers. On l'appelloit communément maître Pierre, Peterbas. Les ouvriers furent d'abord interdits, de voir un Souverain parmi eux; mais comme ce Souverain n'avoit rien qui le diftinguât des autres hommes, ils fe familiarisèrent bientôt avec lui.

Ces ouvriers lui avoient appris leur routine dans la construction des vaiffeaux: il paffa en Angleterre pour en étudier l'art. Le Roi Guillaume, flatté de recevoir dans fes Etats cet illuftre voyageur, lui fit un préfent digne de tous deux; c'étoit un yacht de vingt-cinq pièces de canon, le meilleur voilier de la mer. Tous les gens de l'équipage voulurent bien auffi fe laiffer donner; et Pierre amena avec lui, fur ce vaiffeau, une colonie de marins et d'artifans de toute espèce.

Ce fut en 1717 que le Czar vint en France. On lui rendit, dans tous les lieux de fon paffage, les honneurs dus à fon rang. Mais ce cerémonial le génoit. Il ne voulut point s'arrêter à Beauvais, où l'Evêque de cette ville avoit fait préparer un grand fellin: Et comme on lui repréfentoit que, s'il paffoit outre, il feroit mauvais chère: J'ai été foldat, repondit ce Prince; et pour ou que je trouve du pain et de là bière, je fuis content.

Le Czar fut d'abord reçu au Louvre avec toute fa fuite La magnificence avec laquelle on avoit décoré les appartements, fembloit gêner la fimplicité; il préféra d'aller fe loger à l'autre bout de la ville, à l'hôtel de Lef diguières, où il fut traité et défrayé comme au Louvre. Le Roi, encore enfant (il étoit âgé de fept ans), et cons duit par M. de Villeroi, fon gouverneur, vint lui rendre vifite. Deux jours après, le Czar reçut les refpects du corps de ville, et alla le foir voir le Roi. La maison du Roi étoit fous les armes. On mena ce jeune Prince jufqu'au caroffe du Czar. Pierre, étonné et inquiet de lav

foule

foule qui fe preffoit autour de ce Monarque enfant, lé prit et le porta quelque temps dans fes bras.

Le Czar, toujours habillé fimplement, devoit trouver bien ridicule le gout changeant de la nation dans fes modes. Il remarqua un jeune Seigneur de la cour qui avoit chaque jour un habit d'un nouveau gout. Ce Prince, fe tournant vers ceux qui l'accompagnoient: Il me ̧ femble, dit-il, que ce gentilhomme François n'est pas content de fon tailleur.

Pierre alla vifiter, en homme qui vouloit s'inftruire, les monuments et les manufactures dignes de fon attention. Lorsqu'il fut voir la monnoie royale des médailles, on en frappa plufieurs devant lui. Une de ces médailles étant tombée à ses pieds, le Czar s'empreffa de la ramaffer; et il y vit fon portrait en bufte, et fur le revers une renom. mée pofant le pied fur le globe, et ces mots de Virgile, Vires acquirit eundo; allufion ingénieufe aux voyages et à la gloire de Pierre le Grand. On préfenta de ces mêdail. les d'or à lui, et à tous ceux qui l'accompagnoient. Il ne put s'empêcher de dire, en les recevant: Il n'y a que les François capables d'une pareille galanterie

Lorsqu'il alla diner à Petit Bourg, chez M. le Duc d'Antin, Surintendant des bâtiments, la première chose qu'il vit, fut fon portrait peint en grand, avec le même habit qu'il portoit,

Dans les manufactures, et chez les artistes, tout ce qui fembloit mériter fon approbation lui étoit offert de la part du Roi.

En voyant le tombeau du Cardinal de Richelieu, et la ftatue de ce Miniftre, monument digne de celui qu'il reprefente, le Czar lailla paroître un de ces tranfports, et dit une de ces chofes qui ne peuvent échapper qu'à ceux qui font nés pour ètre de grands hommes. Il monta fur `le tombeau. embraffa la ftatue; Grand miniftre, dit-il que n'es-tu né de mon temps! je te donnerois la moitié de mon Empire, pour m'apprendre à gouverner l'autre. Un homme qui avoit moins d'entousiasme que le Czar, s'étant fait expliquer ces paroles prononcées en langue Ruffe, répondit: S'il avoit donné cette moitié, il n'auroit pas long-temps "gardé l'autre."

L'Académie des Sciences de Paris ayant fupplié le Czar, qui étoit venu à une de fes affemblées du mois de

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