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belles, il étoit ignoré. J'ai vu de lui un fermon qui eft fort infipide, et qui reffemble affez aux prédications des Quakers; on n'y découvre afsûrément aucune trace de cette éloquence perfuafive avec laquelle il entraina depuis les Parlements. C'èft qu'en effet il étoit beaucoup plus propre aux affaires qu'à l'eglife. C'étoit furtout dans fon ton et dans fon air que confiftoit fon éloquence; un gefte de cette main qui avoit gagné tant de batailles, et tué tant de royalistes, perfuadoit plus que les périodes de Ciceron. Il faut avouer, que ce fut fa valeur incomparable qui le fit connoife, et qui le mena par degrés au faite de la grandeur.

Il commençà per fe jetter en volontaire qui vouloit faire fortune, dans la ville de Hull affiégée par le Roi. Il y fit de belles et d'heureuses actions, pour lefquelles il reçut une gratification d'environ fix mille francs du Parlement. Ce présent fait par le Parlement à un avanturier, fait voir que le parti rebelle dévoit prévaloir. Le Roi n'étoit pas en état de donner à fes Officièrs Genereaux ce que le Parlement donnoit à des volontaires. Avec de l'argent et du fanatifme on doit à la longue être maître de tout. On fit Cromwell Colonel. Alors fes grands talents pour la guèrre fe développèrent au point que lorfque le Parlement créa le Comte de Manchester Général de ces armées, il fit Cromwell Lieutenant Général, fans qu'il eût paffé par les autres grades. Jamais homme ne parut plus digne de commander; jamais on ne vit plus d'activité et de prudence, plus d'audace et plus de reffources que dans Cromwell. Il èft bleffé à la bataille d'York; et tandis que l'on mèt le premier appareil à fa playe, il apprend que fon Général Manchefter fe retire, et que la bataille èft perdue. Il court à Manchefter; il le trouve fuyant avec quelques Officiers; il le prend par le bras, et lui dit avec un air de confiance et de grandeur, Vous vous méprenez, mylord, ce n'èft pas de ce côté-ci que font les ennemis. Il le ramène près du champ de bataille, rallie pendant la nuit plus de douze mille hommes, leur parle au nom de DIEU, cite Moise, Gédéon et Jofué, recommence la bataille, au point du jour contre l'armée royale victorieuse, et la défait entière

ment.

Il falloit qu'un tel homme périt ou fût le maî

tre

tre. Prefque tous les Officièrs de fon armée étoient des entoufiaftes, qui portoient la Bible à l'arçon de leur felle: On ne parloit à l'armée, comme dans le Parlement, que de perdre Babilone, d'établir le culte dans Jerufalem, de brifer le coloffe. Cromwell parmi tant de fous ceffa de l'être, et penfa qu'il valoit mieux les gouverner, que d'être gouverné par eux. L'habitude

de prêcher en inspiré lui reftoit. Figurez-vous un far quir, qui s'èft mis aux reins une ceinture de fèr par pé. nitence, et qui enfuite détache fa ceinture pour en donner fur les oreilles aux autres faquirs. Voilà Cromwell. Il devient auffi intriguant qu'il étoit intrépide; il s'affocie avec tous les Colonels de l'armée, et forme ainfi dans les troupes une republique, qui force le Généraliffime à se démettre. Un autre Généraliffime èft nommé, et il le dégoute. Il gouverne l'armée, et par elle il gouverne le Parlement; il mèt ce Parlement dans la néceffité de le faire enfin Généraliffime. Tout cela èft beaucoup; mais ce qui èft effentièl, c'èft qu'il gagne toutes les batailles qu'il donne en Angleterre, en Ecoffe, en Irlande; et il les gagne, non en voyant combattre, et en fe ménageant, mais toujours en chargeant l'ennemi, ralliant fes troupes, courant partout, fouvent bleffé, tuant de fa main plufieurs Officiers royaliftes, comme un grénadier furieux et acharné.

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Au milieu de cette guèrre affreuse Cromwell fefoit l'amour; il alloit, la Bible fous le bras, faire fa cour à la femme de fon Major général Lambert. Elle aimoit le Comte de Holland, qui fervoit dans l'armée du Roi. Cromwell le prend prifonnier dans une bataille, et jouit du plaifir de faire trancher la tête à fon rival. Sa maxime étoit de verfer le fang de tout ennemi important, ou fur le champ de bataille, ou par la main des bourreaux. Il augmenta toujours fon pouvoir, en ôfant toujours en abufer; la profondeur de fes deffeins n'ôtoit rien à fon impetuofité féroce. Il entre dans la chambre du Parlement, et prenant la montre, qu'il jette à terre, et qu'il brise en morceaux; Je vous cafferai, dit-il, comme cette montre. Il y revient quelque tems après, chaffe tous les membres l'un après l'autre, en les fefant défiler devant lui. Chacun d'eux èft obligé en paffant de lui faire une profonde révérence. Un d'eux paffe le chapeau fur la tête; Crom

well

well lui prend fon chapeau, et le jette par terre: Apprenez, dit-il, à me refpecter.

Quand il eut outragé tous les Rois en fefant couper la tête à fon Roi légitime, et qu'il commença lui même à régner, il envoya fon portrait à une tête couronnée, c'é, toit à la Reine de Suède Chriftine. Marvel, fameux poëte Anglois, qui fefoit fort bien des vers Latins, accompagna ce portrait de fix vers, où il fait parler Cromwell lui-meme. Cromwell corrigea les deux derniers,

que voici :

At tibi fubmittet frontem reverentior umbra,
Non funt hi vultus regibus ufque truces.

Le fens hardi des fix vers peut fe rendre ainfi :

Les armes à la main j'ai défendu les loix ;
D'un peuple audacieux j'ai vengé la quèrelle.
Regardez fans frémir cette image fidelle;
Mon front n'est pas toujours l'épouvante des Rois,

Cette Reine fut la première à le reconnore dès qu'il fut protecteur des trois royaumes. Prefque tous les Souverains de l'Europe envoyèrent des Ambaffadeurs à leur frère Cromwell, à ce domeftique d'un évèque, qui venoit de faire périr par les mains du bourreau un Souverain leur parent. Ils briguèrent à l'envi fon alliance. Le cardinal Mazarin, pour lui plaire, chaffa de France les deux fils de Charles I. les deux petits fils de Henri IV. les deux coufins germains de Louis XIV. La France conquit Dunkerque pour lui, et on lui en remit les clefs. Après fa mort Louis XIV. et toute fa cour portèrent le deuil, excepté Mademoifelle, qui eut le courage de venir au cercle en habit de couleur, et foutint feule l'honneur de fa race.

Jamais Roi ne fut plus abfolu que lui. Il difoit, qu'il avoit mieux aimé gouverner fous le nom de Protecteur que fous celui de Roi, parce que les Anglois favoient jufqu'où s'etend la prérogative d'un Roi d'Angleterre, et ne favoient pas jufqu'où celle d'un Protecteur pouvoit aller. C'étoit connoître les hommes, que l'opinion gouverne, et dont l'opinion dépend d'un nom. Il avoit con

gu

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çu un profond mépris pour la religion, qui avoit fervi à fa fortune. Il y a une anecdote certaine confervée dans la maifon de St Jean, qui prouve affez le peu de cas que Cromwell fefoit de cet inftrument, qui avoit opéré de fi grands effets dans fes mains. Il buvoit un jour avec Ireton, Fletwood, et St Jean, bifayeul du célébre Milord Bolingbrooke; on voulut déboucher une bouteille, et le tirebouchon tomba fous la table; ils le cherchoient tous, et ne le trouvoient pas. Cependant une députation des églises Presbytériennes attendoit dans l'antichambre, et un buiffier vint les annoncer. Qu'on leur dife que je fuis retiré, dit Cromwell, et que je cherche le Seigneur. C'étoit l'expreffion dont fe fervoient les fanatiques, quand ils fefoient leurs prières. Lorfqu'il eut ainfi congédié la bande de miniftres, il dit à fes confidents ces propres paroles; Ces faquins-là croyent que nous cherchons le Seigneur, et nous ne cherchons que le tirebouchon.

Il n'y a guères d'example en Europe d'aucun homme, qui venu de fi bas, fe foit élevé fi haut. Mais que lui faloit-il abfolument avec tous fes grands talents? La fortune. Il l'eut cette fortune; mais fut-il heureux ? 11 vécut pauvre et inquièt jufqu'à quarante trois ans ; il fe baigna depuis dans le fang, paffa fa vie dans le trouble, et mourut avant le tems à cinquante fept ans. Que l'on compare à cette vie celle d'un Newton, qui a vecu quatre-vingt-quatre années, toujours tranquille, toujours honoré, toujours la lumière de tous les êtres penfants, voyant augmenter chaque jour fa renommée, fa réputation, fa fortune, fans avoir jamais ni foins ni remords; et qu'on juge lequel a été le mieux partagé.

O curas hominum, ô quantum èlt in rebus inane !

DIS

DISCOURS DE M. DE VOLTAIRE,

A SA RECEPTION A L'ACADEMIE FRANCOISE. Prononcé le lundi 9 Mai 1746.

MESSIEURS,

OTRE fondateur mit dans votre établissement toute

Vla nobleffe et la grandeur de fon âme : Il voulut que

vous fuffiez tonjours libres et égaux. En effet, il dut élever au deffus de la dépendance, des hommes qui étoient au-deffus de l'intérêt, et qui auffi généreux que lui, fefoient aux lettres l'honneur qu'elles méritent, de les cultiver pour elles mèmes. Il étoit peut-être à craindre qu'un jour des travaux fi honorables ne fe rallentiffent. Ce fut pour les confervèr dans leur vigueur, que vous vous fites une règle de n'admettre aucun académicien qui ne réfidât dans Paris. Vous vous êtes écartés fagement de cette loi, quand vous avez reçu de ces génies rares que leurs dignités appelloient ailleurs, mais que leurs ouvrages touchants ou fublimes rendoient toûjours préfents parmi vous: Car ce feroit violer l'efprit d'une loi, que de n'en pas tranfgreffer la lettre en faveur des grands hommes. Si feu Mr le prêfident Bouhier, après s'être flatté de vous confacrer les jours, fut obligé de les paffer loin de vous, l'académie et lui fe confolèrent, parce qu'il n'en cultiva pas moins vos fciences dans la ville de Dijon, qui a produit tant d'hommes de lettres, et où le mérite de l'efprit femble être un des caractères des citoyens.

Il fefoit refouvenir la France de ces tems où les plus auftères magiftrats, confommés comme lui dans l'étude des loix, fe délaffoient des fatigues de leur état dans les travaux de la literature. Que ceux qui méprifent ces travaux aimables, que ceux qui mettent je ne fais quelle miferable grandeur à fe renfermer dans le cercle étroit de leurs emplois, font à plain tre! Ignorent-ils que Cicéron, après avoir rempli la première place du monde, plaidoit

encore

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