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Le Duc de Richelieu Lieutenant-Général, et que fervoit en qualité d'Aide-de-camp du Roi, arriva en ce moment. Il venoit de reconnoître la colonne près de Fontenoy. Ayant ainfi couru de tous côtés fans être bleffé, il fe préfente hors d'haleine l'épée à la main et couvert de pouffière. Quelle nouvelle apportez-vous? lui dit le Maréchal? quel èft votre avis? Ma nouvelle, dit le Duc de Richelieu, èft que la bataille èft gagnée fi on le veut, et mon avis èft qu'on faffe avancer dans l'inftant quatre canons contre le front de la colonne; pendant que cette artillerie l'ébranlera, la Maifon du Roi et les autres troupes l'entoureront; il faut tomber fur elle comme des fourageurs. Le Roi le rendit le premier à cette idée.

Vingt perfonnes fe détachent. Le Duc de Péquigni, appellé depuis le Duc de Chaulnes, va faire pointer ces quatre pieces; on les place vis-à-vis la colonne Angloise. Le Duc de Richelieu court à bride abattue au nom du Roi faire marcher fa Maifon, il annonce cette nouvelle à Monfieur de Monteffon qui la commandoit. Le Prince de Soubife raffemble fes gendarmes, le Duc de Chaulnes fes chevaux légers, tout fe forme et marche; quatre efcadrons de la Gendarmerie avancent à la droite de la Maifon du Roi, les grènadiers à cheval font à la tête fous Monfieur de Grille leur Capitaine; les mouf quetaires/commandés par Monfieur de Jumillac fe préci

pitent.

Dans ce même moment important le Comte d'Eu et le Duc de Biron à la droite voyoient avec douleur les troupes d'Antoin quitter leur pofte, felon l'ordre pofitif du Maréchal de Saxe. Je prends fur moi la désobéiffance, leur dit le Duc de Biron; je fuis fûr que le Roi l'approuvera, dans un inftant où tout va changer de face; je réponds que Monfieur le Maréchal de Saxe le trouvera bon. Le Maréchal, qui arrivoit dans cet endroit, informé de la réfolution du Roi et de la bonne volonté des troupes, n'eut pas de peine à fe rendre; il changea de fentiment lorfqu'il en falloit changer, et fit rentrer le régiment de Piémont dans Antoin; il fe porta rapidement malgré fa foibleffe de la droite à la gauche vers la brigade des Irlandeis, recommandant à toutes les troupes

qu'il·

qu'il rencontroit en chemin de ne plus faire de fauffes charges et d'agir de concert.

Le Duc de Biron, le Comte d'Etrées, le Marquis de Croiffi, le Comte de Lovendhal, Lieutenant-Généraux, dirigent cette attaque nouvelle. Cinq efcadrons de Penthièvre fuivent Monfieur de Croiffi. Les régiments de Chabrillant, de Brancas, de Brionne, Aubeterre, Courten, accoururent guidés par leurs Colonels; le régiment de Normandie, les Carabiniers entrent dans les premiers rangs de la colonne, et vengent leurs camarades tués dans leur première charge. Les Irlandois les fecondent. La colonne étoit attaquée à la fois de front, et par les deux flancs.

En fept ou huit minutes tout ce corps formidable èst ouvert de tous côtés; le Général Pofomby, le frère du Comte d'Albemarle, cinq capitaines aux Gardes, un nombre prodigieux d'officiers étoient renverfés morts. Les Anglois fe raillièrent, mais ils cédèrent ;;ils quittèrent le champ de bataille fans tumulte, fans confufion, et furent vaincus avec honneur.

Le Roi de France alloit de régiment en régiment; les cris de Victoire et de Vive le Roi, les chapeaux en l'air, les étendarts et les drapeaux percés de balles, les félicitations réciproques des Officiers qui s'embraffoient, formoient un fpectacle dont tout le monde jouiffoit avec une joie tumultueufe. Le Roi étoit tranquille, témoignant fa fatisfaction et fa reconnoiffance à tous les officiersGénéraux et à tous les Commandants des corps'; il ordonna qu'on eût foin des bleffés, et qu'on traitât les ennemis comme fes propres fujets.

Le Maréchal de Saxe, au milieu de ce triomphe, fe fit porter vers le Roi; il retrouva un refte de force pour embraffer fes lui dire ces propres paroles, genoux, et pour Sire, j'ai affez vécu, je ne fouhaitois de vivre aujourd'hui que pour voir votre Majeflé victorieufe. Vous voyez ajouta-t-il enfuite, à quoi tiennent les batailles. Le Roi le releva, et l'embraffa tendrement

Il dit au Duc de Richelieu, Je n'oublierai jamais le fervice important que vous m'avez rendu; il parla de même au Duc de Biron. Le Maréchal de Saxe dit au Roi, Sire, il faut que j'avoue que je me reproche une faute. J'aurois dû mettre une redoute de plus entre les

bois de Barri et de Fontenoy; mais je n'ai pas cru qu'il y eût des Généraux affez hardis pour hazarder de paffer en cet endroit.

Les Alliés avoient perdu neuf mille hommes, parmi lefquels il y avoit environ deux mille prifonniers. Ils n'ent firent prefque aucun fur les François.

Par le conte exactement rendu au Major-Général de l'Infanterie Françoife, il ne fe trouva que feize cent quatrevingt-un foldats ou fergens d'Infanterie tués fur la place, et trois mille deux cent quatre-vingt-deux bleffés. Parmi les Officiers cinquante trois feulement étoient morts fur le champ de bataille, trois cent vingt-trois étoient en danger de mort par leurs bleffures. La Cavalerie perdit environ dix huit cens hommes.

Jamais depuis qu'on fait la guèrre on n'avoit pourvu avec plus de foin à foulager les maux attachés à ce fléau.

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y avoit des hôpitaux préparés dans toutes les villes voifines, et furtout à Lille; les églises mêmes étoient employées à cet ufage digne d'elles; non feulement aucun fécours, mais encore aucune commodité ne manqua, ni aux François, ni à leurs prifonniers bleffés. Le zèle même des citoyens alla trop loin on ne ceffoit d'apporter de tous côtés aux malades des alimens délicats et les médecins des hôpitaux furent obligés de mettre un frein à cet excès dangereux de bonne volonte. Enfin les hôpitaux étoient fi bien fervis, que prefque tous les Officiers aimoient mieux y être traités que chez des particuliers; et c'èft ce qu'on n'avoit point vu

encore.

On èft entré dans les détails fur cette feule bataille de Fontenoy. Son importance, le danger du Roi et du Dauphin, l'exigeoient. Cette action décida du fort de la guèrre, prépara la conquête des Pays-Bas, et fervit de contrepoids à tous les événemens malheureux. Ce qui rend encore cette bataille à jamais mémorable, c'èft qu'elle fut gagnée lorsque le Général affoibli et prefque expirant ne pouvoit plus agir. Le Maréchal de Saxe avoit fait la difpofition, et les Officiers François remportèrent la victoire.

VOY.

L

VOYAGE DE L'AMIRAL ANSON
AUTOUR DU GLOBE.

A France ni l'Espagne ne peuvent être en guèrre avec l'Angleterre, que cette fecouffe donnée à l'Europe ne fe faffe fentir aux extrémités du monde. Si l'induftrie et l'audace de nos nations modernes ont un avantage fur le reste de la terre, et fur tout l'antiquité, c'èft par nos expéditions maritimes. On n'èft pas affez étonné peut-être de voir fortir des ports de quelques petites provinces inconnues autrefois aux anciennes nations civilifées, des flottes dont un feul vaiffeau eût détruit tous les navires des anciens Grecs et des Romains. D'un côté ces flottes vont au-delà du Gange fe livrer des combats à la vue des plus puiffants empires, fpectateurs tranquilles d'un art et d'une fureur qui n'ont point encore paffé jufqu'à eux. De l'autre elles vont au-delà de l'Amerique fe difputer des efclaves dans un nouveau monde. Rarement le fuccès èft-il proportionné à ces entreprifes, non feulement parce qu'on ne peut prévoir tous les obftacles, mais parce qu'on n'employe prefque jamais d'affez grands moyens.

L'expédition de l'Amiral Anfon èft une preuve de ce que peut un homme intelligent et ferme, malgré la foi. bleffe des préparatifs et la grandeur des dangers.

Tout le monde fait que, quand l'Angleterre déclara la guerre à l'Espagne en 1739, le ministère de Londres envoya l'Amiral Vernon vers le Mexique, qu'il y détruifit Porto-Bello, et qu'il manqua Carthagène. On de ftinoit dans le même tems George Anfon à faire une irruption dans le Pérou, par la mèr du Sud, afin de ruiner fi on pouvoit, ou du moins d'affoiblir par les deux extrémités le vafte empire que l'Espagne a conquis dans cette partie du monde. On fit Anfon Commodore, c'èft-à-dire Chef d'efcadre; on lui donna cinq vaiffeaux, une espèce de petite fregate de huit canons, portant environs cent hommes, et deux navires chargés de provifions et de inarchandises: ces deux navires étoient destinés à faire le commerce à la faveur de cette entreprise; car c'èst le propre des Anglois de mêler le négoce à la guèrre. L'efcadre

L'efcadre portoit quatorze cens hommes d'equipage, parmi lefquels il y avoit de vieux invalides, et deux cens jeunes gens de recrue; c'étoit trop peu de forces, et on les fit encore partir trop tard. Cet armement ne fut en haute mèr, qu'à la fin de Septembre 1740. Il prend fa route par l'Ile de Madère, qui appartient au Portugal. Il s'avance aux Ifles du Cape-Verd, et range les côtes du Brefil. On fe repôfa dans une petite ifle nommée Sainte Catherine, couverte en tout tems de verdure et de fruits, à vingt-fept degrés de latitude auftrale; et après avoir enfuite côtoyé le pays froid et inculte des Patagons, fur lequel on a débité tant de fables, le Commodore entra fur la fin de Février 1741 dans le détroit de le Maire, ce qui fait plus de cent degrés de latitude, franchis en moins de cinq mois. La petite chaloupe de huit canons, nommée the Trial, (l'Epreuve,) fut le premier navire de cette espèce, qui ôfa doubler le cap Horn. Elle s'empara depuis dans la mer du Sud, d'un bâtiment Efpagnol de fix cens tonneaux, dont l'équipage ne pouvoit comprendre, comment il avoit été pris par une barque venue d'Angleterre dans l'Ocean Pacifique.

Cependant en doublant le Cap-Horn, après avoir paffé le détroit de le Maire, des tempêtes extraordinaires battent les vaiffeaux d'Anfon, et les difperfent. Un fcorbut d'une nature affreufe fait périr la moitié de l'équipage; le feul vaiffeau du Commodore aborde dans l'Iledéferte de Fernandez, dans la mer du Sud, en remontant vers le tropique du Capricorne.

Un lecteur raifonnable, qui voit avec quelque horreur ces foins prodigieux que prennent les hommes pour se rendre malheureux eux et leurs femblables, apprendra peut-être avec fatisfaction, que George Anfon trouvant dans cette lile déferte le climat le plus doux, et le terrain le plus fertile, y fema des légumes et des fruits, dont il avoit apporté les femences, et les noyaux, et qui bientôt couvrirent l'ifle entière. Des Espagnols qui y relàchèrent quelques années après, ayant été faits depuis prifonniers par les Anglois, jugèrent qu'il n'y avoit qu'Anfon qui eût pu réparer, par cette attention génèreufe; le mal que fait la guèrre; et ils le remercièrent comine leur bienfaiteur. X

On trouva fur la côte beaucoup de lions de mer, dont

les

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