Page images
PDF
EPUB

Le changement d'air, la bonne nourriture, ou plutôt la révolution qu'avoit faite la joie, et le calme qui lui fuc céda, ranimèrent infenfiblement en elle les organes de la vie. Un chargin profond avoit été le principe du mal; la confolation en fut le rémède. Corée apprit que fon malheureux frère venoit de périr miférablement. Je tire le rideau fur le tableau effrayant de cette mort trop méritée. On en deroba la connoiffance à une mère fenfible, et trop foible encore pour foutenir fans expirer un nouvel accès de douleur. Elle l'apprit enfin lorfque fa fanté fut plus affermie. Toutes les plaies de fon cœur s'ouvrirent, et les larmes maternelles coulèrent de fes yeux. Mais le Ciel, en lui ôtant un fils indigne de fa tendreffe, lui en rendoit un qui l'avoit méritée par tout ce que la nature a de plus fenfible, et la vertu de plus touchant. Il lui confia les défirs de fon âme : c'étoit de pouvoir réunir dans fes-bras fa mère et fon époufe. Madame Corée faifit avec joie le projèt de paffer avec fon fils en Amérique. Une ville remplie de fes folies et de ses malheurs, étoit pour elle un féjour odieux; et l'inftant où elle s'embarqua, lui rendit une nouvelle vie. Le Cièl, qui protége la piété, leur accorda des vents favorables. Lucelle reçut la mère de fon amant, comme elle auroit reçu fa mère. L'hymèn fit de ces amants les époux les plus fortunés, et leurs jours coulent encore dans cette paix inaltérable, dans ces plaifirs purs et fereins, qui font le partage de la vertu.

LA BERGERE DES ALPES. Conte Moral.

D

ANS les montagnes de Savoyé, non loin de la route de Briançon à Modane, èft une vallée folitaire, dont l'afpect infpire aux voyageurs une douce mélancolie. Trois collines en amphithéatre où font répandues de loin en loin quelques cabanes de pafteurs, des torrents qui tombent des montagnes, des bouquets d'arbres plantés ça et là, des pâturages toujours verds, font l'ornement de ce lieu champêtre.

La Marquife de Fonrofe retournoit de France en I

talie avec son époux. L'effieu de leur voiture fe rompit; et comme le jour étoit fur fon déclin, il fallut chercher dans cette vallée un afyle où paffer la nuit. Comme il s'avançoient vers l'une des cabanes qu'ils avoient apperçues, ils virent un troupeau qui en prenoit la route, conduit par une bergère dont la démarche les étonna. Ils approchent encore, et ils entendent une voix célèfte dont les accents plaintiffs et touchants fefoient gémir les échos.

"Que le foleil couchant brille d'une douce lumière ! "C'èft ainfi (difoit elle) qu'au terme d'une carrière pé"nible, l'âme épuifée va fe rajeunir dans la fource 66 pure de l'immortalité. Mais hélas, que le terme èft "loin, et que la vie èft lente!" En difant ces mots la bergère s'éloignoit, la tête inclinée! mais la né gligence de fon attitude fembloit donner encore à fa taille et à fa démarche plus de nobleffe et de majesté.

Frappés de ce qu'ils voyoient, et plus encore de ce qu'ils venoient d'entendre, le Marquis et la Marquife de Fonrofe doublèrent le pas pour atteindre cette bergère qu'ils admiroient. Mais quelle fut leur furprise, lorsque fous la coëffure la plus fimple, fous les plus humbles vêtements, ils virent toutes les graces, toutes les beautés reunies! ma fille, lui dit la Marquife, en voyant qu'elle les évitoit, ne craignez rien nous fommes des voyageurs qu'un accident oblige à chercher dans ces cabanes un reJuge pour attendre le jourVoulez-vous bien nous fervir de guide? Je vous plains, Madame, lui dit la bergère en baiffant les yeux et en rougiffant; ces cabanes font habitées par des malheureux, et vous y ferez mal logée. Vous y logez fans doute vous-même, reprit la Marquife; et je puis bien fupporter une nuit les incommodités que vous fouffrez toujours. Je fais faite pour cela, dit la bergère avec une modeftie charmante.: Non, certaine. ment, dit Monf. de Fonrofe, qui ne put diffimuler plus longtems, l'émotion qu'elle lui caufoit ; non, vous n'ê. tes pas faite pour foufii, et la fortune èft bien injufte ! Eft-il poffible, aimable perfonne, que tant de charmes foient enfevelis dans ce défert, fous ces habits? La fortune, Monfieur, reprit Adelaïde (c'étoit le nom de la bergère,) la fortune n'èft cruelle que lorsqu'elle nous U

ête

*

ôte ce qu'elle nous a donné, Mon état a fes douceurs pour qui n'en connoit point d'autres, et l'habitude vous fait des befoins que n'éprouvent pas les pafteurs. Cela peut être, dit le Marquis, pour ceux que le Ciel a fait naître dans cette condition obfcure; mais vous, fille étonnante, vous que j'admire, vous qui m'enchantez, vous n'êtes pas née ce que vous êtes; cet air, cette démarche, cette voix, ce langage, tout vous trabit. Deux mots que vous venez de dire, annoncent un efprit cultivé, une âme noble. Achevez, apprenez-nous quel malheur a pa vous réduire à cet étrange abaiffement. Pour un homme dans l'infortune, répondit Adelaïde, il y a mille moy ens d'en fortir: pour une femme, vous le favez, il n'y a de refource honnête que dans la fervitude; et dans le choix des maîtres on fait bien, je crois, de préférer les bonnes gens. Vous allez voir les miens; vous ferez charmés de l'innocence de leur vie, de la candeur, de la fimplicité, de l'honnêteté de leurs mœurs.

Comme elle parloit ainfi, on arrive à la cabane. Elle étoit féparée par une cloifon de l'étable où l'inconue fit entrer les moutons, en les comptant avec l'attention la plus férieufe, et fans daigner s'occuper davantage des étrangers qui la contemploient. Un vieillard et sa fem. me, tels qu'on nous peint Philemon et Baucis, vinrent au-devant de leurs hôtes avec cette honnêteté villageoife qui nous rapelle l'âge d'or. Nous n'avons à vous offrir, dit la bonne femme que de la paille fraîche pour lit, du laitage, du fruit et du pain de feigle pour nourriture; mais le peu que le Ciel nous donne, nous le partagerons avec vous de bon cœur. Les voyageurs, en entrant dans la cabane, furent furpris de l'air d'arrangement que tout y refpiroit. La table étoit d'une feule planche de noyer le mieux poli; on fe miroit dans l'émail des vales de terre destinés au laitage.Tout préfentoit l'image d'une pauvreté riante, et des premiers befoins de la nature agréablement fatisfaits. C'eft notre chère fille, dit la bonne femme, qui prend foin du ménage. Le matio avant que fon troupeau s'éloigne dans la compagne, et tandis qu'il commence à paître autour de la maifon l'herbe couverte de roféc, elle lave, nettoie, arrange tout avec une addreffe qui nous enchante. Quoi! dit la Marquife, cette bergère èft votre fille? Ah, Ma

dame!

dame! Plût au Ciel, s'écrià la bonne vieille! C'èft mon cœur qui la nomme ainfi, car j'ai pour elle l'amour d'une mère: mais je ne fuis pas affez heureufe pour l'avoir portée dans mon fein; nous ne fommes pas dignes de l'avoir fait naître.Qui èft-elle done? d'où vient elle? et Guel malheur l'a réduite à la condition des bergers? Tout cela nous et inconnu. 11 y a quatre ans quelle vint en babit de payfanne s'offrir pour garder nos troupeaux: nous l'aurions prife pour rien, tant fa bonne mine et la douceur de la parole nous gagnoient le cœur à l'un et à l'autre. Nous nous deutames qu'elle n'étoit pas une villageoife; mais nos queftions Paigeoient, et nous crumes devoir nous en abilenir. Ce refpect n'a fait qu'augmenter à mesure que nous avons mieux connu fon âme; mais plus nous voulons nous abaiffer de. vant elle, plus elle s'humilie devant nous. Jamais fille n'a eu pour fon père et fa mère des attentions plus foutenues, ni des empreffements plus tendres. Elle ne peut nous obéir, car nous n'avons garde de lui commander; mais il femble qu'elle nous devine, et tout ce que nous pouvons fouhaiter eft fait avant que nous nous appercevions qu'elle penfe. C'èft un Ange defcendu parmi nous pour confoler notre vieilleffe. Et que fait-elle actuellement dans l'étable, demanda la Marquife?Elle donne au troupeau une litière fraîche ; elle trait le lait des brebis edes chèvres.. Il femble que ce laitage, preffé de fa main, en devienne plus délicat ; moi qui vais le vend à la ville, je ne puis fuffire au débit: on le trouve délicieux. Cette chère enfant s'occupe en gardant fon troupeau, à des ouvrages de paille et d'ozier, que tout le monde admire.Je voudrois que vous vifiez avec quelle addreffe elle entrelace le jonc fléxible. Tout devient précieux fous fes doigts. Vous voyez, Madame, pourfuivit la bonne vieille, vous voyez -ici l'image d'une vie aifée et tranquille: c'èft elle qui nous la procure. Cette fille céleste n'èft occupée qu'à nous rendre heureux. Eft-elle heureufe elle même, de-manda Monf. de Fonrofe? Elle tâche de nous le perfuader, reprit le vieillard; mais j'ai fait fouvent appercevoir à ma femme qu'en revenant du pâturage elle avoit les yeux mouillés de larmes, et l'air du monde le plus affligé. Dès qu'elle nous voit, elle affecte de fourire; mais nous voy➡

[blocks in formation]

KA

ons bien qu'elle a quelque peine, qui la confume: nous 'ôfons la lui demander A, Madame! dit la vieille femme, quelle pitié me fait enfant lorfqu'elle s'obftine à mener paître fes troupeaux malgré la pluie et la gelée! Cent fois je me fuis mife à genoux pour obtenir qu'elle me laitat prendre fa place: ma prière a été inutile. Elle s'en va au le du foleil, et revient le foir tranfie de froid: Jugez me dielle avec tendreffe, fi je vous laifferai quitter votre foyer, et vous expofer à votre âge aux rigustirs de la faifon. A peine y puis-je réfifter moi-même. Cependant ell apporte fous fon bras le bois dont nous nous chauffons; et quand je me plains de la fatigue qu'elle fe donne laiffez, laiffez, dit-elle, ma bonne mère, c'èft par l'exercice, que je me garantis du froid: le travail eft fait pour mon âge. Enfin, Madame, elle èft bonne autant quelle et belle, et mon mari et moi nous en parlons jamais que les larmes aux yeux. Et fi on vous l'enlevoit? demana la Marquife. Nous perdrions, interrompit le vieillard, tout ce que nous avons de plus chèr au monde; mais fi elle devoit être heureufe, nous mourrions contents avec cette confolation Lélas! oui, reprit la vieille en verfant des pleurs, que Je Ciel lui accorde une fortune digne d'elle, s'il èft poffible! Mon espérance étoit que cette main fi chère me fermeroit les yeux, mais je l'aime plus que ma vie. Son arrivée les interrompit.

[ocr errors]

Elle parut avec un féau de lait d'une main; de l'autre un panier de frais et après les avoir falués avec une grace charmte, elle fe mit avacquer au foin du ménage, comme fi perfonne ne s'occupoit d'elle. Vous. vous donnezien de la peine, ma chère enfant, lui dit la Marquife. tâche, Madame, répondit-elle, de rem. plir l'intention de mes maîtres qui défirent vous rece voir de leur mieux. Vous ferez, pourfuivit-elle en déployant fur la table un linge grôler, mais d'une extrême blancheur, vous ferez un repas frugal et champêtre. Ce pain n'est pas le plus beau du monde, mais il a beaucoup de faveur; les œufs font frais, le laitage èft hon, et les fruits que je viens de cueillir font tels que la faifon les donne, La diligence, l'attention, les graces nobles et décentes avec les quelles cette bergère mer veilleuse leur rendoit tous les devoirs de l'hofpitalité, le

re

« PreviousContinue »