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verfation avec lui pour me defennuyer un peau; mais ce personnage ne répondoit rien à tout ce que je lui difois. Il ne me fut pas poffible d'en tirer une parole. Il entroit même et fortoit le plus fouvent fans mè regarder. Le feizieme jour, le Corregidor parut, et me dit : Tu peus t'abandonner à la joie, je viens t'annoncer une agréable nouvelle. J'ai fait conduire à Burgos la Dame qui étoit avec toi. Je l'ai interrogée avant fon départ, et fes réponses vont à ta décharge. Tu feras élargi dès aujourd'hui, pouvu que le muletier avec qui tu ès venu de Pennaflor à Cacabélos, comme tu me l'as dit, confirme ta dêposition. Il èft dans Aftorga, je l'ai envoyé chercher, je l'attens. S'il convient de l'avanture de la queftion, je te mettrai fur le champ en liberté.

Ces paroles me réjouirent. Des ce moment je me crus hors d'affaire. Je remerciai le juge de la bonne et brieve justice qu'il vouloit me rendre, et je n'avois pas encore achevé mon compliment, que le muletier, conduit par deux Archers, arriva. Je le reconnus auffi-tôt ; mais le muletier, qui fans doute avoit vendu ma valise, avec tout ce qui étoit dedans, craignant d'être obligé de reftituer l'argent qu'il en avoit touché, s'il avouoit qu'il me reconnoiffoit, dit effrontément qu'il ne favoit qui j'é. tois, et qu'il ne m'avoit jamais vu. Ah traître ! m'écriai-je, confeffe plutôt que tu as vendu mes hardes, et rends témoignage à la verité. Regarde-moi bien. Je fais un de ces jeunes gens que tu menaças de la queftion dans le bourg de Cacabélos, et à qui tu fis grande peur. Le muletier répondit d'un air froid, que je lui parlois d'une chofe dont il n'avoit aucune connoif. fance; et comme il foutint jusqu'au bout que je lui étois inconnu, mon élargiffemment fut remis à une autre fois. Il falut m'armer d'une nouvelle patience, me réfoudre à être encore au pain et à l'eau, et à voir le filentieux concierge. Quand je fongeois que je ne pouvois me tirer des griffes de la Juftice, quoique je n'euffe pas com mis le moindre crime, cette peafée me mettoit au defefpoir. Je régrèttois le fouterrain. Dans le fond, difoisje, j'y avois moins de defagrément que dans ce cachot. Je fefois bonne chere avec les vôleurs. Je m'entretenois avec eux, et je vivois dans la douce espérance de m'échapper; au lieu que, malgré mon innocence, je fe

rai peut-être trop heureux de fortir d'ici

galères.

pour aller aux

CHAPITRE XIII.

Par quel bazard Gil Blas fortit enfin de prifon, et où il

TANDIS

alla.

ANDIS que je pâffois les jours à m'égayer dans mes refléxions, mes avantures, telles que je les avois dictées dans ma dépofition, se répandirent dans la ville. Plufieurs perfonnes me voulurent voir par curiofité. - Ils venoient l'un après l'autre se présenter à une petite fenêtre, par où le jour entroit dans ma prifon; et lorfqu'ils m'avoient confidéré quelque tems, ils s'en alloient. Je fus furpris de cette nouveauté. Depuis que j'étois prifonnier, je n'avois pas vu un feul homme fe montrer à cette fenêtre, qui donnoit fur une cour où regnoient le filence et l'horreur. Je compris par-là que je fefois du bruit dans la ville, et je ne favois fi j'en dévois concevoir un bon ou un mauvais préfage.

Nous nous

Un de ceux qui s'offrirent des premiers à ma vue, fut le petit Chantre de Mondonnédo, qui auffi-bien que moi avoit craint la queftion et pris la fuite. Je le reconnus, et il ne feignit point de me méconnoitre. faluames de part et d'autre, puis nous nous engageames dans un long entretien. Je fus obligé de faire un nouveau détail de mes avantures. De fon côte, le chantre me conta ce qui s'étoit paffé dans l'hôtelerie de Cacabélos entre le muletier et la jeune femme, après qu'une terreur panique nous en eut écartés. En un mot, il m'apprit tout ce que j'en ai dit ci-devant. Enfuite, prenant congé de moi, il me promit que fans perdre de tems il alloit travailler à ma déliverance. Alors, toutes les perfonnes qui é toient venues là, comme lui par curiofité, me témoignè rent que mon malheur excitoit leur compaflion. Ils in’affurèrent même qu'ils fe joindroient au petit chantre, et qu'ils feroient tout leur poffible pour me procurer la liberté.

Ils tinrent effectivement leur promeffe. Ils parèrent en ma faveur au Corregidor, qui ne doutant plus de mon innocence, fur-tout lorfque le chantre lui eut conté cè qu'il favoit, vint trois femaines après dans ma prifon:

Gil Blas, me dit-il, je ne veux pas traîner les chofes en longueur. Va, tu es libre, tu peus fortir quand il te plaira. Mais dis-moi, poursuivit-il, fi l'on te menoit dans la forêt où èst le fouterrain, ne pourrois-tu pas le découvrir! Non Seigneur, lui répondis-je : comme je n'y fuis entré que la nuit, et que j'en fuis forti avant le jour il me feroit impoffible de reconnoître l'endroit où il eft. Làdeffus le Juge fe retira, en difant qu'il alloit ordonner au concierge de m'ouvrir les portes. En effet, un moment après, le géolier vint dans mon cachot avec un de fes guichetiers, qui portoit un paquet de toile, Ils m'ô tèrent tous deux, d'un air grave, et fans me dire un feul mot mon pourpoint et mon haut de chauffes, qui étoi ent d'un drap fin et prefque neuf; puis m'ayant revètu d'une vieille fouquenille, ils me mirent dehors par les épaules.

La confufion que j'avois de me voir fi mal équipé, modéroit la joie qu'ont ordinairement les prifonnièrs de recouvrer leur liberté. J'étois tenté de fortir de la ville à l'heure même, pour me fouftraire aux yeux du peuple, dont je ne foutenois les regards qu'avec peine. Ma reconnoiffance l'emporta pourtant fur ma honte. J'allai remercier le petit chantre à qui j'avois tant d'obligation. Il ne put s'empêcher de rire lorfqu'il m'apperçut. Comme vous voilà! me dit-il, la Justice, à ce que je vois, vous en a donné de toutes les façons. Je ne me plains pas de la Justice, lui répondis je, elle èft très équitable. Je voudrois feulement que tous fes officiers fuffent d'honnêtes gens. Ils devoient du moins me laiffer mon habit, il me femble que je ne l'avois pas mal payé. J'en conviens, reprit-il; mais on vous dira que ce font des formalités qui s'observent. Hé vous imaginez-vous, par exemple, que votre cheval ait été rendu à fon premier maître? Non pas, s'il vous plait. Il èft actuellement dans les écuries du Greffier, où il a été déposé comme une preuve du vôl. Je ne crois pas que le pauvre gentilhomme en rétire feulement la croupière. Mais changeons de difcours, continua-t il. Quel eft votre deffein, que prétendez vous faire préfentement? J'ai envie, lui dis-je, de prendre le chemin de Burgós. J'irai trou ver la Dame dont je fuis le libérateur, elle me donnera quelques pistoles, j'acheterai une fontanelle neuve, et M

me

me rendrai à Salamanque, où je tâcherai de mettre mon Latin à profit. Tout ce qui m'embaraffe, c'est que je ne fuis point encore à Burgos; il faut vivre fur la route. Je vous entends, repliqua-t-il, et je vous offre ma bourse. Elle est un peu platte à la vérité, mais vous favez qu'un chantre n'eft pas un Evèque. En même tems il la tira, et me la mit entre les mains de fi bonne grace, que je ne pus me défendre de la retenir telle qu'elle étoit. Je le remerciai comme s'il m'eut donné tout l'or du monde, et lui fis mille proteftations de fervice qui n'ont jamais eu d'effet. Après cela je le quittai et fortis de la ville fans aller voir les autres perfonnes qui avoient contribué à mon élargiffement. Je me contentai de leur donner en moi-même mille bénédictions.

Le petit chantre avoit eu raifon de ne me pas vanter fa bourfe, j'y trouvai fort peu d'argent. Par bonheur, j'étois accoutumé depuis deux mois à une vie très frugale. et il me reftoit encore quelques réaux, lorfque j'arrivai au bourg de Ponte de Mula, qui n'èft pas eloigné de Burgos. Je m'y arrêtai pour demander des nouvelles de Donna Mencia. J'entrai dans une hôtellerie, dont l'hôteffe étoit une petite femme fort feche, vive, et hagarde. Je m'apperçus d'abord, à la mauvaise mine. qu'elle me fit, que ma fouquenille n'étoit guères de fon goût ce que je lui pardonnai volontiers. Je m'affis à une table, je mangeai du pain et du fromage, et bus quelques coups d'un vin deteftable qu'on m'apporta. Pendant ce repas, qui s'accordoit affez avec mon habillement, je voulus entrer en converfation avec l'hôteffe. Je la priai de me dire fi elle connoiffoit le Marquis de la Guardia, fi fon château étoit éloigné du bourg, et furtout, fi elle favoit ce que la Marquife fa femme pouvoit être devenue. Vous demandez bien des chofes, me répondit-elle d'un air dédaigneux. Elle m'apprit pourtant quoique de fort mauvaise grace, que le château de Don Ambrofio n'étoit qu'à une petite lieue de Ponte de Mula.

Après que j'eus achevé de boire et de manger, comme il étoit nuit, je témoignai que je fouhaitois de mie repofer, et je demandai une chambre. A vous une chambre! me dit l'hôrefle en me lançant un regard plein de mépris et de fierté; je n'ai point de chambre pour les

gens

gens qui font leur fouper d'un morceau de fromage. Tous mes lits font retenus. J'attens des Cavaliers d'importance qui doivent venir loger ici ce foir. Tout ce que je puis faire pour votre fervice, c'èft de vous mettre. dans ma grange, Ce ne fera pas, je penfe, la première fois que vous aurez couché fur la paille. Elle ne croyoit pas fi bien dire qu'elle difoit. Je ne repliquai point à fon difcours, et pris fagement le parti de gagner le pailler, où je m'endormis bientôt, comme un homme qui depuis longtems étoit fait à la fatigue.

CHAPITRE XIV.

De la réception que Donna Mencia lui fit à Burgos, E ne fus pas pareffeux à me lever le lendemain matin, J'allai compter avec l'hôteffe, qui étoit déjà fur pié, et qui me parut un peu moins fière et de meilleure humeur que le foir précédent. Ce que j'attribuai à la prefence de trois honnêtes Archers de la Sainte Hermandad, qui s'entretenoient avec elle d'une façon très familiére. Ils avoient couché dans l'hôtellerie, et c'étoit fans-doute pour ces Cavaliers d'importance que tous les lits avoient été retenus.

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Je demandai dans le bourg le chemin du château où je voulois me rendre. Je m'addreffai par hazard à un homme du caractère de mon hôte de Pennaflor. Il ne fe contenta pas de répondre à la queflion que je lui fefois. Il m'apprit que Don Ambrofio étoit mort depuis trois semaines, et que la Marquife fa femme avoit pris le parti de fe retirer dans un couvent de Burgos qu'il me nomma. Je marchai auffitôt vers cette ville, au-lieu de fuivre la route du château, comme j'en avois deffein auparavant, et je volai d'abord au Monaftere où demeuroit Donna Mencia. Je priai la Tourière de dire à cette Dame, qu'un jeune-homme nouvellement forti des prifons d'Aftorga fouhaitoit de lui parler. La Tourière alla fur le champ faire ce que je defirois. Elle revint et me fit entrer dans un parloir, où je ne fus pas longtems fans voir paroître en grand deuil à la grille la veuve de Don. Ambrofio.

Soyez le bien-venu, me dit cette Dame. Il y a quatre jours que j'ai écrit à une perfonne d'Aftorga. Je lui

M 2

mandois

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