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parlé? Mon fils, ajouta-t-il, je prie Dieu qu'il vous beniffe. Et il fe hâta de fortir, parce que la vue de fon frère l'attendriffoit fi fort, qu'il ne pouvoit plus retenir fes larmes. Quelques momens après il vint retrouver fes frères, et ayant commandé qu'on fervit à manger, il fe mit à table avec eux.

Après que Josèph eut mangé avec fes frères, il donna fécrèttement cet ordre à fon Intendant: Mettez du blé dans les facs de ces gens-là, et l'argent de chacun d'eux à l'entrée de leurs facs; et mettez ma coupe d'argent dans le fac du plus jeune. L'Intendant fit ce qui lui étoit ordonné. Le lendemain matin ils partirent avec leurs ânes chargés de blé. Mais à peine étoient-ils fortis de la ville, que Josèph envoya fon Intendant auprès eux, pour leur faire des reproches de ce qu'ils avoient vôlé fa coupe. Ils furent fort furpris de fe voir accufés d'une action fi noire, à laquelle ils n'avoient pas feulement penfé. Nous vous avons reporté, dirent-ils, l'argent que nous avions trouvé à l'entrée de nos facs: comment fe pourroit-il faire que nous euffions dérobé dans la maison de votre Maître de l'or ou de l'argent? Que celui qui fe trouvera coupable de ce vôl, meure; et nous demeurerons tous efclaves de votre Maître. L'Intendant les prit au Toot. On les fouilla tous en commençant par les plus âgés; et enfin la coupe fut trouvée dans le fac de Benjamin,

Ils retournèrent à la ville fort affligés, et allérent fe jetter aux piés de Josèph. Après quelques reproches, il leur déclara que celui, dans le fac de qui on avoit trouvé la coupe, demeureroit fon efclave. Alors Juda ayant demandé permiffion de parler, repréfenta à Josèph que s'ils retournoient vers leur père fans tamener avec eux ce fils qu'il aimoit tendrement, ils le fercient mourir de chagrin. C'est moi, ajouta-t-il, qui ai répondu de lui à mon père que ce foit moi, s'il vous plait, qui demeure efclave en fa place. Car je ne puis retourner fans lui, de peur d'ètre témoin de l'extrême affliction qui accablera notre père.

A ces paroles, Josèph ne put plus fe retenir. Il commanda qu'on fît fortir tout le monde. Alors, les larmes Jui tombant des yeux, il jetta un grand cri, et dit à fes frères: Je fuis Josèph. Mon père vit-il encore? Aucun

d'eux ne lui répondit, tant ils éoient faifis d'étonnement. Il leur parla avec douceur, et leur dit: Approchezvous de moi. Lorfqu'ils fe furent approchés, il dit: Je fuis Josèph votre fère, que vous avez vendu pour être amené en Egypte. Ne craignez point, et ne vous affligez point de ce que vous m'avez traité ainfi; car c'est Dieu qui m'a envoyé ici devant vous pour vous conferver la vie. Ce n'eft point par votre confeil que cela eft ar rivé, mais par la volonté de Dieu. Allez dire à mon père que Dieu m'a établi fur toute l'Egypte. Qu'il fe hâte de venir. Il demeurera auprès de moi; et je le nourrirai, lui, et toute fa famille: car il reste encore cing années de famine. Vous voyez de vos yeux que c'est moi qui vous parle. Annoncez à mon père le haut rang où je fuis élevé, et tout ce que vous avez vu dans l'Egypte. Hâtez vous de me l'amener. Après leur avoir parlé ainfi, il fe jetta au cou de Benjamin, et l'embraffa en pleurant: il embraffa de même tous fes autres frères; et après cela ils fe raffurèrent pour lui parler.

Cette nouvelle fe répandit auffitôt dans toute la Cour. Pharaon en témoigna la joie à Josèph, et lui dit de faire venir au plutôt toute fa famille en Egypte. Josèph fit partir les frères avec des vivres pour le voyage, et des voitures pour transporter leur père, leurs femmes, et leurs enfans. Lorfqu'ils furent arrivés dans le pays de Chanaan, ils dirent à Jacob: Votre fils Josèph eit vivant, et il a autorité dans toute l'Egypte. A ces mots, Jacob fe réveilla comme d'un profond fommeil; et il n'en youloit rien croire. Mais enfin, ayant entendu le récit de tout ce qui s'étoit paffé, et voyant les chariots et les autres chofes que fon fils lui envoyoit, il dit: Je n'ai plus rien à fouhaiter, puifque mon fils Josèph vit encore: j'irai, et je le vérrai avant que de mourir. Il partit bientôt après avec toute fa famille, et arriva en Egypte. Après qu'il eut falué le Roi, Josèph l'établit dans le pays de Geffen le plus fertile de l'Egypte, où Jacob vécut encore dix fept ans.

སྐ

CYR

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HISTOIRE DE CYRUS.

Education de Cyrus.

VYRUS étoit fils de Cambyfe Roi de Perle et de Man dane fille d'Aftyage Roi des Mèdes. Il étoit bien fait de corps, et encore plus eftimable par les qualités de l'efprit plein de douceur et d'humanité, de defir d'ap-prendre, d'ardeur pour la gloire. Il ne fut jamais efrayé d'aucun péril, ni rebuté d'aucun travail, quand il s'agiffoit d'acquérir de l'honneur. Il fut élevé félön la coutume des Perfes, qui pour lors étoit excellente.

Le bien public, l'utilité commune, étoit le principeét le but de toutes leurs loix. L'éducation des enfans étoit regardée comme le devoir le plus important, et la partie la plus effentiélle du gouvernement.. On ne s'em repofoit pas fur l'attention des pères et des mères, qu' nous gle et molle tendreffe rend fouvent incapables de

Jin: l'Etat s'en chargeoit. Ils étoient élevés en conmun d'une maniére uniforme. Tout y étoit réglé; le lieu et la durée des exercices, le tems des repas, la qualité du boire et du manger, le nombre des Maitres, les différentes fortes de châtimens. Toute leur nourri ture, auffi-bien pour les enfans que pour les jeunes gens,. étoit du pain, du creffon, et de l'eau: car on vouloit de bonne heure les accoutumer à la tempérance et à la fobriété, et d'ailleurs cette forte de nourriture fimple et frugale, fans aucun mélange de fauces ni de ragouts, leur fortifioit le corps, et leur préparoit un fond de santé, capable de foutenir les plus dures fatigues de la guèrre, jufque dans l'âge le plus avancé, comme on le remarque de Cyrus, qui dans la vieilleffe fe trouva auffi fort et auffi robufte qu'il l'avoit été dans fes premières années. Ils alloient aux écoles pour y apprendre la Juf tice, comme ailleurs, on y va pour y apprendre les Let tres et le crime qu'on y puniffoit le plus févèrement étoit l'ingratitude.

La vue des Perfes, dans tous ces fages établiffemens, étoit d'aller au devant du mal, perfuadés qu'il vaut bien mieux s'appliquer à prévenir les fautes qu'à les punir: et au lieu que dans les autres Etats on fe contente d'établir.

des

des punitions contre les méchants, ils tâchoient de faire en forte que parmi eux il n'y eût point de méchants.

On étoit dans la claffe des enfans jufqu'à feize ou dixfept ans après cela on entroit dans celle des jeunes gens. C'eft alors qu'on les tenoit de plus court, parce que cet âge en a plus de befoin. Ils étoient dix années dans cette claffe et paffoient toutes les nuits dans les corps de garde, tant pour la fûreté de la ville, que pour les accoutumer à la fatigue. Pendant le jour ils venoient recevoir les ordres de leurs gouverneurs, accompagnoient le Roi lorfqu'il alloit à la chaffe, ou fe perfectionnoient dans les exercices.

La troisième claffe étoit compofée des hommes faits; ét ils y demeuroient vingt-cinq ans. C'est de là qu'on tiroit tous les Officiers qui devoient commander dans les troupes, et remplir les différents postes de l'Etat, les Charges, les Dignités. Enfin ils paffoient dans la dernière claffe, où l'on choififfoit les plus fages et les plus expérimentés pour former le confeil public.

Par-là tous les Citoyens pouvoient afpirer aux premières Charges de l'Etat: mais aucun n'y pouvoit arriver qu'après avoir paffé par ces différentes claffes, et s'en être rendu capable par tous ces exercices.

Cyrus fut élevé de la forte jufqu'a l'âge de douze ans, et furpaffa toujours fes égaux, foit par la facilité à apprendre, foit par le courage, ou par l'addreffe à executer tout ce qu'il entreprenoit. Alors fa mère Mandane le mena en Médie chez Aftyage fon grand-père, à qui tout le bien qu'il entendoit dire de ce jeune Prince avoit donné une grande envie de le voir. Il trouva dans cette Cour des mœurs bien différentes de celles de fon pays. Le fafte, le luxe, la magnificence y régnoient partout. II n'en fut point ébloui, et fans rien critiquer ni condamner, il fut fe maintenir dans les principes qu'il avoit reçus dès fon enfance. 11 charmoit fon grand-père par des faillies pleines d'esprit et de vivacité, et gagnoit tous les fes manières nobles et engageantes. J'en raporterai un feul trait qui pourra faire juger du reste.

cœurs par

Aftyage, voulant faire perdre à fon petit-fils l'envie de retourner en fon pays, fit préparer un repas fomptueux, dans lequel tout fut prodigué, foit pour la quantité, foit pour la qualité et la délicateffe des mèts. Cyrus regar

doit avec des yeux affex indifférents tout ce faftueux ap. pareil. Et comme Aftyage en paroiffoit furpris: Les Perfes, dit-il, au lieu de tant de détours et de circuits pour appaifer la faim, prènnent un chemin bien plus court pour arriver au même but: un peu de pain et de creffon les y conduifent. Son grand-père lui ayant permis de difpofer à fon gré de tous les mèts qu'on avoit fervis, il les diftribua fur le champ aux Officiers du Roi qui fe. trouvèrent préfents: a l'un, parce qu'ils lui apprenoit à monter à cheval; à l'autre, parce qu'il fervoit bien Astyage; à un autre, parce qu'il prenoit grand foin de fa mère. Sacas, Echanfon d'Aftyage, fut le feul à qui il ne donna rien. Cet Officier, outre fa charge d'Echanfon, avoit celle d'introduire chez le Roi ceux qui devoient être, admis à fon audience: comme il ne lui étoit pas poffible d'accorder cette faveur à Cyrus auffi fouvent qu'il la demandoit, il eut le malheur de déplaire à ce jeune Prince, qui lui marqua dans cette occafion fon reffentiment. Aftyage témoignant quelque peine qu'on eut fait cet affront à un Officier pour qui il avoit une confideration particulière, et qui la méritoit par l'adreffe merveilleufe avec laquelle il lui fervoit à boire: Ne faut-il que cela, mon Papa, reprit Cyrus, pour mériter vos bonnes graces ? je les aurai bientôt gagnées: car je me fais fort de vous fervir mieux que lui. Auffitôt on équipe le petit Cyrus en Echanfon. I s'avance gravement d'un air férieux, la ferviètte fur l'e. paule, et tenant la coupe délicatement des trois doigts. Il la préfenta au Roi avec une dextérité et une grace qui charmèrent Aftyage et Mandane. Quand cela fut fait, il fe jetta au cou de fon grand-père, et en le baifant il s'écria plein de joie: O Sacas, pauvre Sacas, te voilá perdu? j'aurai ta charge. Aftyage lui temoigna beaucoupe d'amitié. Je fuis très-content, mon fils, lui dit-il : on ne peut pas mieux fervir. Vous avez cependant oublié une cérémonie qui eft effentièlle: c'eft de faire l'ef fai. En effet l'Echanfon avoit coutume de verfer de la liqueur dans fa main gauche, et d'en gouter avant que de préfenter la coupe au Prince. Ce n'eft point du tout par oubli, reprit Cyrus, que j'en ai ufé ainfi. Et pourquoi donc, dit Aftyage? C'est que j'ai appréhendé que cette liqueur ne fût du poifon. Du poifon? et comment cela? Oui, mon Papa. Car il n'y a pas longtems que

dans

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