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Alão
R34

183613

LES EXHIBITIONS

DE PEINTURE

ET

DE SCULPTURE

A LONDRES EN 1856.

I.

Un critique consciencieux, mais pressé, qui viendrait à Londres du continent avec mission d'examiner à la hâte la peinture et la sculpture anglaises de la saison, courrait le risque de ne rapporter à ses commettans que des notions fort incomplètes.

A moins, en effet, qu'il n'arrive bien informé d'avance et suffisamment introduit, peut-être se contentera-t-il de suivre la foule qui se presse à Somerset-House. Cependant, tandis que l'exhibition principale de l'Académie a les deux battans de sa porte ouverts, en des lieux de la ville différens, trois autres exhibitions importantes, mais moins populaires, convient simultanément le public à les visiter. On ne se ferait donc qu'une idée très imparfaite touchant l'œuvre annuelle de l'art en Angleterre (et, une fois pour

toutes, qu'il soit bien entendu que l'art signifie uniquement ici l'art de peindre et de sculpter), si l'on n'avait pas étudié les quatre collections.

Mais il ne sera pas inutile de dire comment et pourquoi elles sont ainsi séparées.

Nous n'avons ni la volonté ni le loisir de censurer l'Académie royale. Fondée en 1768, et composée de quarante académiciens, sans compter les associés, use-t-elle ou abuse-t-elle, depuis soixante ans, des priviléges de sa charte, toujours est-il qu'elle emplit annuellement Somerset-House des peintures et des sculptures de ses membres et de leurs élèves, au détriment des concurrens étrangers qu'il lui plait d'exclure.

Eût-elle voulu libéralement exercer son autorité, la chose n'eût pas été facile. Son local resserré ne lui permet pas d'exposer à la fois plus de mille à douze cents ouvrages.

Or, devenus dans l'art une vraie puissance, les peintres d'aquarelle estiment, en 1804, que l'Académie ne leur fait point, à ses solennités, une place suffisante. Ils marcheront seuls désormais. Unissant leurs forces, ils établissent la société qui convoque Londres, cette année, à sa trente-deuxième exhibition.

Cet exemple d'indépendance, que le succès couronne, n'est pas pour rester sans imitateurs. Divers artistes éminens se sont lassés. enfin de solliciter vainement les fauteuils et les médailles d'or de l'Académie. Une société nouvelle est fondée, qui accueillera les toiles et les marbres quels qu'ils soient, repoussés ou non de Somerset-House. Cette association des artistes britanniques se recommande aujourd'hui par sa treizième exhibition, composée de près de mille ouvrages.

Il n'y a rien qui gâte comme la fortune. Oublieux de leur commencement, les peintres d'aquarelle, associés en 1804, s'étaient insensiblement montrés plus exclusifs et jaloux des débutans que ne l'avaient été jamais les académiciens eux-mêmes. Heureusement la ressource des associations est inépuisable. Les mécontens se réunissent; ils invoquent la protection publique; leur appel est encouragé, et une nouvelle société de peintres d'aquarelle affiche présentement dans la ville sa cinquième exhibition.

Voilà donc quatre exhibitions distinctes, qui réclament l'attention et la faveur à des titres inégaux, mais dont aucune n'est à

dédaigner. Si nous additionnons les chiffres de leurs quatre livrets, nous trouvons qu'elles produisent, en 1836, deux mille six cent soixante-treize ouvrages de dessin, de sculpture et de peinture (1).

Il serait plus simple et jusqu'à un certain point plus convenable que tout cela fût rassemblé, comme au Louvre, en un seul bâtiment commun. Toutefois, je n'affirmerai point que la division n'ait pas ses avantages. Sans doute l'émulation naîtra partout du contact immédiat des œuvres; mais une concurrence décidée et presque hostile n'excite-t-elle pas mieux le progrès de l'art?

En ce qui regarde la commodité du curieux et de l'amateur, la légère peine de visiter quatre expositions différentes, est bien compensée, j'imagine, par le soulagement de n'en avoir point sur les bras une seule générale, qui vous écrase et vous fait stupide. Je reprocherais plutôt à ces exhibitions anglaises de ne point être gratuites. Le tort est pardonnable au moins à celles qui ne se supportent qu'à leurs propres frais. Mais que l'Académie royale, logée splendidement aux frais du public, le frappe encore d'un impôt à la porte, c'est un abus inexcusable. Ce shelling exigé n'est pas une forte somme; il ne pèse guère au riche désœuvré qui vient une fois ; il grève l'homme de goût pauvre, qui vient chaque jour; il exclut absolument le peuple, qui n'échangera jamais contre son dîner le droit d'entrer. Et il y a là une double faute: cette consigne fiscale au seuil du sanctuaire est illibérale; en outre, l'artiste n'est pas sans y perdre d'utiles leçons. Je veux bien que l'avis du cordonnier ne vaille rien au-dessus de la jambe; mais n'est-il pas compétent au-dessous?

Vous êtes donc avertis que nous n'avons pas moins de quatre exhibitions à voir. La besogne est rude; c'est pourquoi nous les traverserons rapidement l'une après l'autre, nous bornant à observer le caractère général et les œuvres saillantes de chacune. Nous essaierons ensuite d'apprécier la valeur de l'ensemble.

(1) Environ cinq cents de plus que l'exposition de Paris, cette année.

II.

Montons d'abord au troisième étage de Somerset-House, et faisons le tour de ses trois salons. Si nous ne voyons pas aussi impartialement que nous le souhaitons, ce sera peut-être un peu la faute du mois de mai, qui ne se presse pas d'ouvrir la petite session de soleil qu'il accorde d'ordinaire à Londres.

Au premier aspect, ce qui frappe surtout, c'est l'excessive quantité des portraits de toute taille. Sauf une ou deux exceptions, toutes les grandes toiles sont des portraits. C'est une foule éblouissante de pairs et de pairesses, de juges, de shériffs, d'aldermen, de lords-maires, d'amiraux, de généraux, de maréchaux, qui se pressent et se coudoient, traînant à l'envi les robes de satin et de velours, les manteaux de pourpre et d'écarlate. Je voudrais avoir à louer davantage dans cette cohue de hauts dignitaires, d'autant plus que le meilleur nombre s'est fait peindre par des académiciens. Mais, hélas! des sept portraits qu'expose sir Martin Shee, président actuel de l'Académie, en est-il un qui témoigne autre chose qu'un savoir-faire matériel et vulgaire? Je ne connais point M. Chantrey, mais je doute fort que cet admirable sculpteur ait littéralement l'épaisse expression de marguillier que lui attribue son collègue. Sir Martin Shee a succédé à sir Thomas Lawrence, mais ne l'a guère remplacé. Il a deux cordes à son arc : il s'adonne à la poésie didactique en même temps qu'à la peinture à l'huile, et se croit pour cela, dit-on, une moitié de Michel-Ange. Il s'en faut du tout. C'est un échec académique plus solennel que le portrait de lord Lyndhurst, par M. Phillips. Vainement cherchez-vous la physionomie rusée, méchante, colère, méphistophélique de ce pair sans conscience, qui se venge des whigs, coûte que coûte, dût-il se perdre lui et les tories de la chambre haute, aveugles instrumens entre ses mains. Au lieu de cet homme d'état rongé de mauvaises passions éloquentes, vous avez une vieille figure grimacière, avec la perruque, le sac et la robe d'un chancelier. Mais ces détails de costume, dites-vous, sont très adroitement rendus. Et qu'importe? N'était-ce pas le factieux politique qu'il fallait donner, plutôt que sa toge? J'adresserais bien des reproches analogues à M. Briggs, à

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