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de sa vieille fidélité à Murat. Le nouveau roi a rappelé près de lui ce général, et l'a fait capitaine de ses gardes. Le trait suivant est plus caractéristique. M. de Bourmont était venu à Naples avec plusieurs notabilités carlistes, et, malgré tous ses efforts, n'avait pu obtenir d'être reçu ni présenté à la cour. Cependant l'ex-ministre de Charles X fut invité à une fête que donnait M. de Lebseltern, le ministre d'Autriche, et où le roi parut un moment. Comme sa majesté traversait les salles, M. de Bourmont s'avança sur son passage, espérant sans doute étre mieux accueilli là et honoré d'un entretien. Mais à sa vue, le prime se détourna tout d'un coup, disant à ceux qui l'entouraient : - «Comment certains hommes osent-ils se montrer encore en Europe après Waterloo?» Voici un autre trait qui honore doublement le cœur et l politique du jeune souverain. On lui avait dénoncé un complot dans lequel étaient impliqués plusieurs officiers et soldats de deux régimens. Quel que soit le danger auquel il s'expose, sa résolution est bientôt prise Les deux régimens accusés sont réunis à la hâte et mis sous les armes Il se place seul à leur tête; il les conduit en plaine; il les fatigue de m nœuvres, quatre heures durant, puis il les ramène à la ville harasses, et n'en pouvant plus. Alors il fait arrêter deux capitaines des plus compromis. Leur procès n'est pas long. Complètement convaincus, ils sont condamnés à mort. L'exécution devait être immédiate, et avoir lieu, selma l'usage, dans la cour des Présides que dominent les fenêtres du palais royal Déjà les coupables sont à genoux, les yeux bandés. Quarante balles vi percer à la fois leurs poitrines. Le roi paraît à son balcon; mais ce n'est pas afin de se repaître d'une scène de sang. A l'aspect du supplice préparé, il agite tout ému son mouchoir. C'est la grace pleine et entière des cutdamnés qu'il vient d'accorder. Certainement, le royaume des Deux-Sitiles a droit de beaucoup espérer d'un monarque de cet âge qui a de parels instincts de générosité et de clémence, et se montre dans ses voyages s rempli de simplicité, si empressé de connaître par lui-même et de bien étudier les institutions et les choses utiles des divers pays qu'il par court. L'établissement d'une garde nationale et quelques autres mestres libérales ont témoigné déjà de son bon vouloir. Ce peu qu'il a fai permet d'espérer qu'il fera davantage pour l'avancement et la liberté de son pays, quand il va lui revenir instruit par sa propre expérience, et conseillé par l'état prospère des nations libres qu'il aura vues O profile, dit-on, de la présence du roi de Naples à Paris, pour arrange la double ambassade vacante entre les deux cours. Parmi les nombreux candidats que présenterait Naples, deux surtout seraient au premierrang L'un, M. Filangieri, fils de l'illustre publiciste, officier d'une haute dis tinction, élevé en France, et qui a même honorablement servi dans nos armées; l'antre, M. Acton, fils de l'ancien ministre. M. Acton, en sendturalisant Italien, a su conserver tout l'esprit du parfait gentleman glais. Son libéralisme est éprouvé, sa fortune immense. Il a épousé la fille du duc de Dalberg, et tient ici à tout ce qu'il y a de plus élevé.

En Angleterre, les communes ont en récemment encore une grande journée, celle où se sont discutés les amendemens introduits par les forts

dans le bill des dimes irlandaises. Chaque parti avait convoqué et réuni tout ce que l'époque avancée de la saison lui laissait de forces disponibles; plus de cinq cents combattans se trouvaient sur le champ de bataille; aussi l'affaire a été chaude et la victoire vivement disputée. Lord John Russel a ouvert l'engagement. Comme il fallait s'y attendre, il a tout d'abord brûlé ses vaisseaux et coupé court aux moyens d'accommodement. C'était la meilleure voie dans une question qui remettait en jou l'existence du cabinet. Il n'eut tenu qu'à lui pourtant, en excipant des priviléges de la chambre, de s'assurer un avantage moins douteux. Eût-il simplement soutenu qu'en rayant la clause d'appropriation, les lords avaient altéré une loi de finance et violé ainsi les prérogatives de l'assemblée, en vertu du vieil usage parlementaire, le speaker eût jeté le bill mutilé sur le bureau des huissiers, d'où ces derniers l'eussent poussé à terre et hors de la salle. Le ministre a dédaigné, avec raison, ce trop facile triomphe. Il a voulu ne devoir le sien qu'au fond et non à la forme. Du reste, le débat, qui recommençait pour la dixième fois peut-être entre les mêmes adversaires, n'a pas offert beaucoup d'incidens ni d'argumens nouveaux. Le discours captieux et vide de sir Robert Peel n'a guère eu d'autre mérite que d'inspirer la brillante réplique de M. Sheil, « Prenez garde, avait dit le ci-devant premier lord de la trésorerie, vous prétendez ne réformer que les superfluités de l'église, et ce sont ses piliers même que vous ébranlez. — Rassurez-vous, s'est écrié l'éloquent orateur irlandais, reprenant l'image ébauchée et la finissant en maître; rassurezVous nous n'ébranlons pas les piliers de votre église, nous la débarrassons seulement de ce dôme pesant chargé d'or qui menace d'écraser en s'écroulant l'édifice tout entier avec ses prêtres et ses autels. » Lord Stanley, qui répondait au représentant de Tipperary, s'est vainement efforcé d'affaiblir l'effet de cette chaleureuse sortie; vainement il a tenté d'entrainer les consciences de ces whigs bons protestans que remuait autrefois sa puissante parole; la majorité ministérielle s'est retrouvée ce qu'elle n'a pas cessé d'être sur cette question irlandaise, faible, peu imposante, mais compacte et immuable dans sa faiblesse.

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Les autres mêlées parlementaires de la quinzaine n'ont pas eu le même éclat. C'est ainsi qu'aux communes, sur la motion de lord John Russel, ont été rejetés presque sans débat les amendemens des lords au bill qui complétait la loi des corporations anglaises et galloises de l'an dernier. Bien que l'affaire eut son importance, et continuat nettement la collision avec la pairie, à peine si l'assemblée était en nombre suffisant, c'est-à-dire qu'il n'y avait guère sur les banes plus des quarante membres rigoureusement exigés pour former une chambre. Comparativement et contre leurs habitudes de jadis, les lords montrent plus de zèle législatif. Trois d'entre eux pourraient composer une chambre des pairs tout-àfait légale, et ils sont encore bien une centaine à leur poste. Il est vrai qu'ils prennent un divertissement extrême. Rien ne les amuse comme de faire le mal, et d'empêcher le bien; et ils se donnent à souhait de ce double plaisir. Durant les deux dernières semaines, il n'y a presque pas eu de jour qui ne les ait vus employés à mutiler ou à détruire quelque me

sare utile, longuement et consciencieusement élaborée par les communes. Le bill des mariages catholiques, et je ne sais combien d'autres, aussi essentiels et réclamés, ont successivement succombé sous leurs coups. Restait le bill de réduction du timbre, qui, à son titre de la loi de finance, paraissait devoir s'échapper sain et sauf de leurs mains. Mais ne voilà-t-il pas que la sagacité de lord Lyndhurst s'est avisée d'y découvrir une clause intolérable, en ce qu'elle s'immisce tyranniquement, à son avis, dans la propriété des journaux. Etrange métamorphose! les lords se sont faits soudainement les champions de la justice et de la liberté. Ils deviennent plus radicaux que les radicaux eux-mêmes. La clause soi disant vexatoire est écartée du bill, bien qu'elle n'eût d'autre tort, au fond, que d'être à peu près inutile. Ce dernier acte de la pairie témoigne plus de perfidie et de hardiesse qu'aucun de ses actes précédens. Il est clair que sous le prétexte spécieux de protéger l'intérêt des journaux, elle n'avait qu'un but, celui de rendre impossible pour cette année l'exécution d'une réforme universellement populaire. Que devait-il en effet arriver, selon toute probabilité? Cette fois, le privilége des communes était inconstestablement entamé. Si le bill, qui n'était que pure matière de finance, leur était rapporté, elles seraient nécessairement contraintes de le repousser d'emblée. La session expirait. Il serait bien difficile au cabinet d'obtenir d'elles une nouvelle loi qui pût être renvoyée aux lords, dégagée des articles sur lesquels ils avaient fondé leur opposition. Ils auraient ainsi triomphe et rempli leur objet. Heureusement l'activité et la décision du chancelier de l'échiquier ont déjoué ces calculs machiavé liques de leurs seigneuries. Le bill du timbre, qu'elles avaient altéré, a été, en effet, supprimé le 11 par les communes; mais il leur en a été présenté immédiatement un nouveau, qui a subi, séance tenante, sa première lecture. Les lords seront pris au mot. La loi leur sera soumise telle qu'ils l'ont voulue, et, bon gré malgré, il leur faudra bien la voter avant la clôture du parlement. Du reste, puisque sa témérité rencontre si peu de résistance, le torisme a peut-être raison de profiter de sa veine pour tenir en échec ses adversaires, et réparer un peu son rempart lézardé. guerre C'est chez les Anglais une maxime politique que dans la partis tout moyen d'attaque et de défense est légitime. En ce moment de tiédeur publique, les whigs jouent également bien leur jeu lorsqu'ils se bornent à louvoyer, à maintenir, l'arme au bras, leur position. Ce sont les radicaux seuls qui ont tort, et marquent peu d'intelligence en gour mandant, comme ils font aujourd'hui, le peuple lui-même de sa torpeur. L'esprit démocratique a, de temps en temps, besoin de se reposer et de dormir. Soyez-en sùrs, il saura bien s'éveiller tout seul quand il le faudra, et prendre en un instant toutes ses revanches.

des

F. BULOZ.

ROMANCIERS

DE

LA FRANCE.

MME DE LA FAYETTE.

Du temps de Mme de Sévigné, à côté d'elle et dans son intimité la plus chère, il y eut une femme dont l'histoire se trouve presque confondue avec celle de son aimable amie. C'était celle que

Rea désignait pour la femme de France qui avait le plus d'esprit et qui écrivait le mieux. Cette personne n'écrivit pourtant qu'assez peu, à son loisir, par amusement, et avec une sorte de négligence qui n'avait rien du métier; elle haïssait surtout d'écrire des lettres, de sorte qu'on n'en a d'elle qu'un très petit nombre, et de courtes; c'est dans celles de Mme de Sévigné plutôt que dans les siennes qu'on la peut connaître. Mais elle eut en son temps un rôle à part, sérieux et délicat, solide et charmant, un rôle en effet considérable, et dans son genre au niveau des premiers. A un fonds de tendresse d'ame et d'imagination romanesque elle joignait une exactitude naturelle, et, comme le disait sa spirituelle amie, une divine raison qui ne lui fit jamais faute; elle l'eut dans ses écrits comme dans sa vie, et c'est un des modèles à étudier TOME VII. 1er SEPTEMBRE 1856. 33

dans ce siècle où ils présentent tous un si juste mélange. On a récemment cherché, en réhabilitant l'hôtel de Rambouillet, à en montrer l'héritière accomplie et triomphante dans la personne de Mme de Maintenon; un mot de Segrais trancherait plutôt en faveur de Mme de La Fayette pour cette filiation directe où tout le précieux avait disparu après un portrait assez étendu de Me de Rambouillet, il ajoute incontinent : « Mme de La Fayette avait beau<«<coup appris d'elle, mais Mme de La Fayette avait l'esprit plus « solide, etc., etc. » Cette héritière perfectionnée de Me de Rambouillet, cette amie de Mme de Sévigné toujours, de Mãe de Maintenon long-temps, a son rang et sa date assurée en notre littérature, en ce qu'elle a réformé le roman, et qu'une part de cette dirine raison qui était en elle, elle l'appliqua à ménager et à fixer un genre tendre où les excès avaient été grands, et auquel elle n'eut qu'à toucher pour lui faire trouver grace auprès du goût sérieux qui semblait disposé à l'abolir. Dans ce genre secondaire où la délicatesse et un certain intérêt suffisent, mais où nul génie (s'il s'en rencontre) n'est de trop; que l'Art poétique ne mentionne pas, que Prévost, Le Sage et Jean-Jacques consacreront; et qui, du temps de Mme de La Fayette, confinait du moins dans ses parties élevées aux parties attendrissantes de la Bérénice ou même de l'Iphigénie, Mme de La Fayette a fait exactement ce qu'en des genres plus estimés et plus graves ses contemporains illustres s'étaient à l'envi proposé. L'Astrée, en implantant, à vrai dire, le roman en France, avait bientôt servi de souche à ces interminables rejetons, Curus, Cléopâtre, Polexandre et Clélie. Boileau y coupa court par ses arde leries, non moins qu'à cette lignée de poèmes épiques, le Moise sauvé, le Saint Louis, la Pucelle; Mme de La Fayette, sans paraitre railler, et comme venant à la suite et sous le couvert de ces de vanciers que Segrais et Huet distinguaient mal d'elle et enveloppaient des mêmes louanges, leur porta coup plus que personne par la Princesse de Clèves. Et ce qu'elle fit, bien certainement elle s'en rendit compte et elle le voulait faire. Elle avait coutume de dire qu'une période retranchée d'un ouvrage valait un louis d'or, et un mot vingt sous : cette parole a toute valeur dans sa bouche, si l'on songe aux romans à dix volumes dont il fallait avant tout sortir. Proportion, sobriété, décence, moyens simples et de cœur substi tués aux grandes catastrophes et aux grandes phrases, tels sont les

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