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contenu d'abord et enchaîné le parti contre-révolutionnaire. Toute la faute, ou plutôt tout le malheur du gouvernement de la régente a été de ne savoir ou de ne pouvoir étouffer en quelques mois la lutte que sa bonne chance avait resserrée dans un étroit espace. Au commencement, don Carlos ne jouait qu'un pur jeu de hasard. Se maintenait-il un temps donné, une seule campagne, il était évident qu'il s'établissait assez solidement pour donner avant peu les mains à ses partisans de tous les coins du pays. Voilà justement ce qui est advenu. Le cabinet de Madrid n'ayant pu profiter du premier isolement des révoltés pour les détruire, comme on devait s'y attendre, tout ce qu'il a tenté depuis n'a guère tourné qu'à leur avantage. Si la molle et doucereuse administration de M. Martinez de la Rosa les a fortifiés et encouragés, l'administration plus énergique, mais peu prudente, de M. Mendizabal ne leur a pas été moins profitable. Niera-t-on, par exemple, qu'en fermant tous les cloitres et en renvoyant chez eux cent mille moines, ce dernier ministre n'ait formé lui-même des noyaux de guerillas prêts à lever le drapeau du prétendant jusque dans les moindres districts?

Ainsi les bandes du curé Mérino parcourent aujourd'hui plus audacieusement que jamais les deux Castilles; d'aventureux lieutenans de Bruno Villareal menacent à la fois la Galice et les Asturies; le fanatisme des montagnards du royaume de Valence s'exalte de nouveau et ressaisit les armes; une imprévoyante expédition du général Evans vient d'échouer contre les fortifications restaurées de Fontarabie. Est-ce à dire cependant que le triomphe prochain de don Carlos soit assuré ou seulement probable? Loin de là. Le trône de la jeune reine n'est pas même sérieusement ébranlé. Il a au contraire, dans la nation, des soutiens déterminés aussi et supérieurs en nombre, en force et en lumières. Mais une triste vérité ressort des évènemens de plus en plus incontestable. C'est que l'iusurrection a jeté maintenant de telles racines, qu'il est devenu impossible de prévoir quand elle sera arrachée du sol, et si elle en sera jamais arrachée sans le bouleverser tout entier. Ce peuple n'est pas de ceux chez qui la discorde civile, une fois allumée, s'éteint aisément. Il est fidèle à ses haines de parti, et se les transmet réligieusement de génération en génération. Qu'on n'oublie pas qu'en certaines portions de la Catalogne et du royaume de Valence, il subsiste encore de ville à ville, de village à village, des animosités ardentes et implacables, dont l'origine remonte aux guerres intérieures de la succession. Toutefois, il n'y a pas à désespérer encore de la pacification des provinces insurgées. Elle dépendra beaucoup des prochaines cortès. Les électeurs assemblés nomment partout en ce moment leurs nouveaux procuradores. Ce que l'on sait des choix accomplis ne dit pas quel sera le sens de la majorité, et si elle soutiendra le ministère Isturitz. Toujours est-il que les deux chefs des deux opinions les plus tranchées vont se retrouver en présence. M. Martinez de la Rosa et M. Mendizabal sont réélus déjà l'un et l'autre. Pourvu que l'assemblée nouvelle n'aille pas s'épuiser en vains combats de personnalités oratoires, pourvu qu'elle ne soit pas livrée aux faiseurs de projets et aux arrangeurs de phrases! Ce que le pays lui demandera cette fois, ce ne sera pas des paroles, ce sera des actes. Ce qu'elle lui devra avant

583 tout, coûte que coûte, toute autre réforme cessante, ce sera la réformes de la guerre civile. Le commandement suprême de l'armée semble, à l'heure qu'il est, bien mal à propos et bien imprudemment mis aux mains de Cordova, le plus beau discoureur, mais le moins capable dest généraux qui, depuis 1833, sont successivement venus s'essayer sans suc➡> cès contre les bataillons carlistes. Que les cortès qui arrivent constituent par leur vote et soutiennent franchement une administration vigoureuse et indépendante. Dût-elle déplaire à la cour afin de la mieux servir, cette administration saura bien, sans doute, choisir enfin le général qu'il faut aux troupes de la reine. Ce serait trop malheureux si la cause de la liberté ne découvrait pas parmi les siens un seul homme digne et en état de la défendre, lorsqu'au défaut de Zumalacarreguy, celle de l'absolu- · tisme trouve d'emblée, dans la personne de Bruno Villareal, un second chef aussi entreprenant et aussi habile que son prédécesseur.

En Angleterre, la querelle continue aussi animée entre les deux assem➡. blées législatives, et le public continue de regarder ce spectacle parlementaire avec le même calme indifférent. Il est inoui qu'une crise politique de cette gravité s'opère au milieu d'un pareil engourdissement du pays qu'elle intéresse. Les lords, qui ne voient plus nul inconvénient à!. être courageux et imprudens, redoublent chaque jour de hardiesse et de témérité; il n'y a plus de mesure utile et libérale qui trouve grace devant eux, si inoffensive qu'elle soit et en dehors des questions de parti. Les communes leur avaient dernièrement envoyé, en seconde instance, un bill tendant à abolir l'emprisonnement pour dettes. Il n'a pas été mieux accueilli de leurs seigneuries cette année que l'année passée. Il vient d'être encore impitoyablement repoussé. Que voulez-vous? La pairie est invio... lable. A-t-elle emprunté de l'argent, il n'y a de recours ni contre ses biens ni contre ses personnes; pourquoi partagerait-elle avec le peuple ce privilége? Et puis le grand mał, quand des créanciers légitimes tiendraient toute sa vie entre quatre murs un pauvre homme qui n'est pas un lord! Le bill des corporations anglaises et galloises, arraché à grand'- · peine l'an passé de la chambre haute, nécessitait un amendement qui'en facilitat l'exécution. Cet amendement, voté par les communes, est soumis aux pairs. Mais ils se reprochent assez déjà la faiblesse qu'ils ont eue de consentir une loi si capitalement hostile à leurs intérêts; au moins ils ne perdront pas cette excellente occasion qui s'offre d'entraver la marche des municipalités nouvelles. L'amendement est rejeté. Une autre victime plus illustre a bientôt présenté la gorge à leurs seigneuries. Il s'agit due fameux bill de la dime irlandaise, qui leur arrive résigné d'avance à son sort, quoique fort d'un vote des communes qui a, pour la troisième fois, consacré son principe d'appropriation. Et en effet, à la requête de lord e Lyndhurst, la clause d'appropriation est retranchée, c'est-à-dire que le bill tout entier est anéanti. Cette fois même, comme les revenus de l'é➡glise sont touchés, afin que l'immolation soit plus solennelle, le banc des lords spirituels dirige le sacrifice. C'est l'éloquence fanatique de l'évêque! d'Exeter qui a fulminé les grands mots de spoliation et de sacrilége.

On dirait que la seconde chambre songeait à prendre sa revanche quand elle expédiait si rapidement, de son côté, deux mesures de réforme fort

importantes, mais fort compliquées de détails, sur lesquelles la pairie n'a point de contrôle, attendu qu'elles sont en partie matière de finance. Nous voulons parler des bills qui réduisent le droit de timbre des journaux et fixent le mode et le prix de leur transport par la poste. La discussion de ces lois a fait grand honneur au chancelier de l'échiquier. Elle a prouvé chez lui, non pas un talent d'orateur qu'on lui savait déjà, mais de vastes connaissances financières, une noble franchise et un véritable esprit libéral. Il a levé de lui-même le premier tous les obstacles qui auraient pu retarder l'exécution immédiate de ces deux bills. M. Grote proposait une modification qui eût établi pour chaque journal une estampille particulière. Ce mode eût fourni le moyen de constater au juste le nombre d'exemplaires que publie chaque feuille; car, le même timbre étant commun à toutes, les grandes entreprises de la presse, intéressées à grossir leur publicité, achètent du gouvernement plus de timbres en blanc qu'elles n'en peuvent consommer et en cèdent ensuite sous main une portion dans les provinces. M. Spring Rice a montré que cette addition, quoique désirable, retarderait beaucoup la mise en vigueur de l'une des deux lois. Il a promis d'ailleurs de reprendre l'amendement et d'en faire l'objet d'un bill séparé. C'est lui qui a sollicité aussi et obtenu pour l'Irlande une double réduction du droit de timbre, en considération de la pauvreté du pays et de son plus grand besoin de lumières.

Croirait-on qu'au moment même où l'administration whig agissait si libéralement et faisait de si bonne grace, aux radicaux, ces concessions qu'ils avaient réclamées, ils aient été sur le point de se séparer d'elle et de lui retirer leur appui ? C'est au sujet du bill de réforme de l'église établie qu'a éclaté ce dissentiment de quelques jours entre les deux grandes sections des réformistes, qui a failli donner gain de cause aux tories. Cette réforme de l'église, proposée et arrangée par l'église elle-même, n'était, à la vérité, qu'une moquerie de réforme. On ne pouvait prendre au sérieux une mesure qui, sans laisser un shelling de plus dans la poche du contribuable, se bornait à faire passer quelques milliers de livres sterling des coffres de l'archevêque de Canterbury dans ceux de tel ou tel évêque moins grassement salarié. Comment la finesse de M. Buller et le bon sens de M. Hume n'avaient-ils pas compris que ce bill ouvrait au moins une porte du temple par laquelle on y pourrait rentrer plus tard, afin d'en réformer réellement le luxe scandaleux et les énormes abus? O'Connell a été plus habile et mieux inspiré. Il a bien senti que le succès de sa cause en Irlande et celui des réformes en Angleterre dépendaient, pour long-temps encore, d'une union étroite et absolue des libéraux de toute nuance; aussi, dans cette petite querelle de famille, s'est-il activement employé à ramener la paix, et a-t-il soutenu le ministère de toute sa vigueur, comme il faisait peu de jours avant en plein air, sur la place publique de Rochester, comme il fait depuis un an partout envers et contre tous. Du reste cet incident n'a pas eu de suite sérieuse, puisqu'à l'heure de voter la réforme de l'église établie, toute l'opposition des radicaux s'est réduite à la protestation d'une trentaine de leurs membres les plus inflexibles.

F. BULOZ.

SIX ANS.

C'était un précepte de l'école pythagoricienne de ne jamais se livrer au sommeil avant d'avoir soumis à un examen attentif les actions de la journée. Le maître avait pensé que ces retours de l'homme sur lui-même étaient une méthode excellente de réforme et de sagesse, et devaient imprimer à la volonté plus de constance et d'énergie. La vie publique n'a pas moins besoin de souvenirs que la conduite particulière : il est salutaire de considérer d'époque en époque l'espace parcouru, de marquer les écueils tournés par l'habileté, ou signalés par des naufrages. Mais si ces retours de la réflexion sur les affaires sociales sont utiles, ils ne manquent pas de difficultés; car il n'est accordé à personne de se tenir à l'écart sur la rive et de se séparer du spectacle que nous nous donnons les uns aux autres pour mieux le juger : tous nous sommes engagés dans la traversée commune, tous nous sommes en pleine mer; nous voguons ensemble, parfois un peu en désordre, mais partageant les mêmes hasards et la même impulsion. Canning, dans le port de Plymouth, comparait l'Angleterre à un des vaisseaux que dans la rade il voyait immobiles et calmes, mais qui, au moindre appel, pouvaient s'animer, se remplir de matelots, de 15 AOUT 1856.

TOME VII.

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soldats, et réveiller leurs foudres endormies. A contempler la société, ne dirait-on pas une flotte immense, d'un appareil infini mais divers, peuplant la mer de distance en distance, et soumis aux aventures variées d'une navigation commune? Il est difficile de porter son regard juste et loin, du milieu même du flot qu'on laboure.

Quand, il y a six ans, la révolution s'accomplit, ce grand évè nement donna satisfaction aux sentimens et aux pensées de la majorité nationale. Depuis long-temps la France avait désespéré de pouvoir accorder ses destinées et sa fortune avec la vieille légitimité; elle était opprimée sous les prétentions et la tyrannie du passé, et l'avènement d'un gouvernement nouveau, relevant du principe de la souveraineté nationale, fut salué avec allégresse. L'usurpation était éclatante; trois rois furent détrônés d'un seul coup, le vieillard, le fils et le petit-fils: la France était préoccupée du désir d'ériger sur les débris de l'ancienne dynastie une royauté qui put satisfaire à ses instincts et à ses droits, tant alors on croyait à la conciliation nécessaire et possible des progrès démocratiques avec les formes d'une monarchie régénérée! Nous écrivons ici fidèlement l'histoire.

Sitôt après l'institution du nouveau gouvernement, l'ébranlement imprimé aux imaginations et aux ames se manifesta par deux développemens impétueux, le saint-simonisme et le républicanisme; on avait beaucoup fait, on voulait plus faire encore: disposition naturelle aux sociétés comme aux individus ; il serait puéril de s'étonner qu'après une commotion populaire la jeunesse et le peuple aient embrassé l'espérance de progrès nouveaux. La pensée n'était pas coupable, mais l'exécution fut mauvaise.

Le saint-simonisme et le républicanisme se partagèrent le thème social; l'un s'empara du fond, l'autre de la forme. Il était utile, après une révolution dont l'explosion fut nécessaire, mais subite, d'ériger une école de science sociale dont les jeunes et nombreux soutiens cussent préparé par leurs travaux des réformes dans les lois et la constitution: si le saint-simonisme se fût tenu satisfait d'un rôle philosophique, chaque jour eût augmenté sa puissance; mais on sait que ses prétentions au sacerdoce et à la révélation n'ont, abouti qu'à reléguer ses débris sur les bords du Nil, au berceau même de cette théocratie si maladroitement évoquée.

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