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MORTIS AMOR.

Hélas! qui le croirait! ce fantôme hideux,
Ce monstre à l'œil éteint dans son orbite creux,
Au crâne sans cheveux et souillé de poussière,
Aux membres allongés et froids comme la pierre,
A la teinte jaunâtre, à cette fade odeur

Qui vous met malgré vous le trouble dans le cœur,
Tout ce je ne sais quoi qui n'est plus de la vie,
Que ne peut expliquer nulle philosophie,
Et dont l'entier silence et l'immobilité
Révèlent le néant dans sa difformité;

La mort, ce laid produit de la vieille nature,
La mort, le vaste effroi de toute créature,
La mort a rencontré sur terre un amoureux,
Un être qui l'adore, un amant vigoureux
Qui la serre en ses bras d'une étreinte profane,
L'asseoit sur ses genoux comme une courtisane,
L'entraîne avec ivresse à sa table, à son lit,
Et comme un vieux Satyre avec elle s'unit!

Hideux accouplement! aussi de préférence

A tout autre pays la Mort aime la France,

Et depuis cinquante ans, devant ses yeux ont tort
Les barbares excès des peuplades du Nord.
Que lui font les baisers de la vieille Angleterre?
Il est vrai qu'elle sait auprès d'un pot de bière
Tranquillement s'ouvrir une veine du front,
Ou se faire sauter la tête avec du plomb;
Mais la France vaut mieux et lui plaît davantage.
C'est là qu'au suicide, au duel on s'encourage,
C'est là, malgré Gilbert et son vers immortel,
Que l'on court voir encor mourir un criminel,
Là que la politique, aux sanglantes chimères,
Vient sans peur essayer ses formes éphémères,
Là que l'on a dressé l'abattoir social;

Enfin le sol chéri du meurtrier brutal,

Et le seul lieu sur terre, où peut-être sans haine
On attente en riant à toute vie humaine,
Comme si ce qu'on souffle avec légèreté
Pouvait se rallumer à notre volonté;

Et comme si les forts, les puissans de ce monde,
Tous les bras musculeux de la planète immonde,
Pouvaient dans leur vigueur refaire le tissu
Que le doigt de la mort une fois a rompu.

Ah! n'est-ce pas assez que l'avare nature
Nous redemande à tous une dette si dure,
La vie, à tous la vie? et faut-il donc encor
Nous-mêmes dans le gouffre enfouir le trésor?
Oh! n'est-ce pas assez de la pâle vieillesse,
De tous les rongemens de la vie en faiblesse,
Du venin dévorant des soucis destructeurs,
Et de la maladie aux plaintives douleurs?

N'est-on pas sûr d'entendre un jour les chants funèbres,
De faire, tôt ou tard, le saut dans les ténèbres,
D'avoir trois pieds de terre après soi sur le flanc?
Ne doit-on pas mourir? - S'il faut que notre sang

TOME VII.

23

S'épanche, il est toujours des cas; en cette vie,
Où l'on peut le verser avec quelque énergie:
Alors que l'étranger tout cuirassé de fer

Sur nos champs désolés passe comme une mer,
Foulant d'un pied sanglant l'herbe de nos campagnes
Et chargeant sur son dos les fils de nos compagnes;
Quand le bouclier d'or qui doit tous nous couvrir;
L'honneur de notre nom, est près de se tornirs
Ou bien lorsque la loi, violée et maudite,
Répand des flots de pleurs par la ville interdite.
Ah! voilà le moment, et le sang qui se perd,
A toute la cité du moins profite et sert.

Mais tel n'est pas le train ordinaire des choses,
Ce n'est point pour le juste et pour de belles causes
Que la mort violente aime à faire ses coups;

C'est pour des vils hochets, des rêves d'hommes souls,
Une vaine piqûre, une raison folâtre,

Une affaire souvent de luxe ou de théâtre,
Une froide parade, et, sans savoir pourquoi,
Le désir d'occuper les langues après soi.

Vanité, vanité! je connais ton empire,
Et je retrouve en toi toute notre satire.
O fille de l'orgueil! ô terrible fléau

D'un peuple au cœur sans fiel, mais au faible cerveau!
Toujours ton noir venin distillé sur ma race,

Du haut jusques en bas, en corrompra la masse;
Toujours, nous ramenant dans un cercle fatal,

Ton souffle changera l'œuvre du bien en mal.

Triomphe donc, ô monstre! oui, de nos pauvres femmes, Comme un bouquet de fleurs fane les pures ames,

Fais de leur douce vie un cordeau mal filé,

Au vice dégoûtant vends leur corps maculé,
Jusqu'au dernier degré de l'impure misère,
Tu soutiendras l'éclat de leurs yeux, ô Mégère !
Puis, verse au cœur de l'homme un désir insensé
De dominer le monde et d'en être encensé,

Pour briller à tout prix, lance-le dans le crime,
Mets devant lui l'état au penchant de l'abîme,
Invente des forfaits inouis et sans noms;

Qu'importe que le sang ruisselle à gros bouillons,
Que le soleil se voile et la terre frémisse,

Que la tombe, en un jour, dans son ventre engloutisse,
Femmes, enfans, vieillards, frappés d'un coup soudain,
Qu'importe tant de morts à l'horrible assassin?

Il entendra les cris de toute la nature,

Sans trembler un instant ou changer de figure;
Car sur le champ du meurtre et même à l'échafaud,
O vanité, c'est toi qui lui tiens le front haut,
Et lui donnes, grand Dieu! souvent plus de puissance
Que n'en donne au cœur pur la sainte conscience!

AUGUSTE BARBIER.

DIPLOMATES

EUROPÉENS.

III.

NESSELBODE.'

Les grandes monarchies européennes ont un incontestable avantage sur les gouvernemens libres et orageux : c'est la perpétuité de leur système et la longue vie politique de leurs hommes d'état. Depuis vingt-cinq ans, l'Autriche et la Russie sont représentées avec une unité constante par deux ministres, le prince de Metternich et le comte de Nesselrode; la mort seule a privé la Prusse des services du baron, depuis prince de Hardenberg. Cette durée des hommes d'état crée dans les cabinets des traditions salutaires; il en résulte qu'une série de mesures peuvent être conçues, qu'une même pensée peut être suivie et exécutée avec persévérance. Un jeune homme est pris au sortir de ses études; on le classe dans le troisième ou le second ordre des conseillers d'ambassade; puis il devient ministre plénipotentiaire. S'il s'élève et se distingue, il obtient un poste dans la chancellerie, et une fois in

(1) Voyez la livraison du ire octobre 1835.

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