Page images
PDF
EPUB

bras d'un ange invisible à ceux d'un époux immortel! chastes amantes de l'Espoir, fortes épouses de la Volonté! me bénissezvous, dites-moi, et priez-vous sans cesse pour celle qui se plaît avec vous plus qu'avec les vivans? Est-ce vous dont les encensoirs d'or répandent ces parfums dans la nuit? Est-ce vous qui chantez doucement dans ces mélodies de l'air? Est-ce vous qui, par une sainte magie, rendez si beau, si attrayant, si consolant, ce coin de terre, de marbre et de fleurs où nous reposons vous et moi? Par quel pouvoir l'avez-vous fait si précieux et si désirable, que toutes les fibres de mon être s'y attachent, que tout le sang de mon cœur s'y élance, que ma vie me semble trop courte pour en jouir, et que j'y veuille une petite place pour mes os, quand le souffle divin les aura délaissés?

Alors, en songeant aux troubles passés et à la sérénité du présent, je les prends à témoin de ma soumission. O mânes sanctifiés! leur dis-je, ô vierges sœurs! ô Agnese la belle! ô douce Maria def Fiore! ô docte Francesca! venez voir comme mon cœur abjure son ancien fiel, et comme il se résigne à vivre dans le temps et dans l'espace que Dieu lui assigne! Voyez ! et allez dire à celui que vous contemplez sans voile : « Lélia ne maudit plus le jour que vous lui avez ordonné de remplir; elle marche vers sa nuit avec l'esprit de sagesse que vous aimez. Elle ne se passionne plus pour aucun de ces instans qui passent; elle ne s'attache plus à en retenir quelques-uns; elle ne se hâte plus pour en abréger d'autres. La voilà dans une marche régulière et continue, comme la terre qui accomplit sa rotation sans secousses, et qui voit changer du soir au matin la constellation céleste, sans s'arrêter sous aucun signe, sans vouloir s'enlacer aux bras des belles Pleiades, sans fuir sous le dard brûlant du sagittaire, sans reculer devant le spectre échevelé de Bérénice. Elle s'est soumise, elle vit! Elle accomplit la loi; elle ne craint ni ne désire de mourir; elle ne résiste pas à l'ordre universel. Elle mêlera sa poussière à la nôtre sans regret; elle touche déjà sans frayeur nos mains glacées. Voulez-vous, ô Dieu bon, que son épreuve finisse, et qu'avec le lever du jour elle nous suive où nous allons? >>

Alors il me semble que, dans la brise qui lutte avec l'aube, il y a des voix faibles, confuses, mystérieuses, qui s'élèvent et qui retombent, qui s'efforcent de m'appeler de dessous la pierre; mais

qui ne peuvent pas encore vaincre l'obstacle de ma vie. Je m'arrête un instant, je regarde si ma dalle blanche ne se soulève pas, et si la centenaire, debout à côté de moi, ne me montre pas Maria del Fiore doucement endormie sur la première marche de notre caveau. En ce moment-là, il y a certes des bruits étranges au sein de la terre, et comme des soupirs sous mes pieds. Mais tout fuit, tout se tait, dès que l'étoile du pôle a disparu. L'ombre grêle des cyprès, que la lune dessinait sur les murs, et qui, balancée par la brise, semblait donner le mouvement et la vie aux figures de la fresque, s'efface peu à peu. La peinture redevient immobile; la voix des plantes fait place à celle des oiseaux. L'alouette s'éveille dans sa cage, et l'air est coupé par des sons pleins et d'stincts, tandis que les grands lys blancs du parterre se dessinent dans le crépuscule et se dressent immobiles de plaisir sous la rosée abondante. Dans l'attente du soleil, toutes les inquiètes oscillations s'arrêtent, tous les reflets incertains se dégagent du voile fantastique. C'est alors que réellement les spectres s évanouissent dans l'air blanchi et que les bruits inexplicables font place à des harmonies pures. Quelquefois un dernier souffle de la nuit secoue le laurier-rose, froisse convulsivement ses branches, plane en tournoyant sur sa tête fleurie, et retombe avec un faible soupir, comme si Maria del Fiore, arrachée à son parterre par la main de Francesca, se détachait avec effort de l'arbre chéri et rentrait dans le domaine des morts avec un léger mouvement de dépit et de regret. Toute illusion cesse enfin; les coupoles de métal rougissent aux premiers feux du matin. La cloche creuse dans l'air un large sillon où se précipitent tous les bruits épars et flottans; les paons descendent de la corniche et secouent long-temps leurs plumes humides sur le sable brillant des allées; la porte des dortoirs roule avec bruit sur ses gonds, et l'Ave Maria, chanté par les novices, descend sous la voûte sonore des grands escaliers. Il n'est rien de plus solennel pour moi que ce premier son de la voix humaine au commencement de la journée. Tout ici a de la grandeur et de l'effet, parce que les moindres actes de la vie domestique ont de l'ensemble et de l'unité. Ce cantique matinal après toutes les divagations, tous les enthousiasmes de mon insomnie, fait passer dans mes veines un tressaillement d'effroi et de plaisir. La règle, cette grande loi, dont mon intelligence approfondit à chaque instant l'excellence,

mais dont mon imagination poétise quelquefois un peu trop la rigidité, reprend aussitôt sur moi son empire oublié durant les heures romanesques de la nuit. Alors, quittant la dalle de Francesca, où je suis restée immobile et attentive durant tout ce travail du renouvellement de la lumière et du réveil de la nature, je m'ébranle comme l'antique statue qui s'animait et qui trouvait dans son sein une voix au premier rayon du soleil. Comme elle, j'entonne l'hymne de joie et je marche au-devant de mon troupeau en chantant avec force et transport, tandis que les vierges descendent en deux files régulières le vaste escalier qui conduit à l'église. J'ai toujours remarqué en elles un mouvement de terreur lorsqu'elles me voient sortir de la galerie des sépultures pour me mettre à leur tête les bras entr'ouverts et le regard levé vers le ciel. A l'heure où leurs esprits sont encore appesantis par le sommeil et où le sentiment du devoir lutte en elles contre la faiblesse de la nature, elles sont étonnées de me trouver si pleine de force et de vie, et malgré tous mes efforts pour les dissuader, elles ont toujours pensé que j'avais des entretiens avec les morts du préau sous les lauriers-roses. Je les vois pâlir lorsque croisant leurs blanches mains sur la pourpre de leurs écharpes, elles s'inclinent en pliant le genou devant moi, et frissonnent involontairement lorsque, après s'être relevées, elles sont forcées l'une après l'autre d'effleurer mon voile pour tourner l'angle du mur.

GEORGE SAND.

VOYAGES

D'UN SOLITAIRE.

ITALIE.

I.

Oui, Albert, je suis parti sans prendre congé de toi, ni de personne, selon ma louable coutume. Pardonne-moi; je me mourais sur la lisière de nos bois. Tu ne connais pas les affres de mélancolie que recèlent ces puissantes forêts, quand les ombres d'automne s'amassent sur les étangs. Les oiseaux voyageurs étaient arrivés des montagnes. Chaque matin ils passaient par bandes devant ma porte; je me figurais par avance les contrées qu'ils allaient visiter, les lacs, les vallées, les mers. Une inexprimable angoisse me saisissait : j'avais besoin, comme eux, de secouer la rosée de mes songes, et d'un coup d'aile vigoureux pour fuir mon propre souvenir. A force d'errer dans les salles du vieux château de Montmort, j'ai retrouvé des ombres funestes qu'il faut quitter.

Tu ne sais pas ce que c'est que de n'entendre jamais d'autre écho que celui de sa pensée vagabonde. Ma jeunesse se consumait là dans un stérile amour de la création tout entière. J'étais noyé dans un océan sans forme et sans rivages. Si je n'eusse pris la résolution d'en sortir, c'était fait de moi; car ce pays, tout sévère qu'il est, a bien des charmes. Il yous retient par d'invisibles lianes, comme ces fleurs des eaux qui

n'ont point de racines, et qu'aucun orage ne peut arracher. Dans ce vide qui m'entourait, mes idées prenaient en moi un développement sans bornes, et tout me manquait pour les exprimer. Il y avait des jours où j'aurais juré que j'étais né pour écrire. J'aurais pu dire à mon tour: Et moi aussi je suis poète ! J'entendais d'es bruits que personne n'entendait; je voyais des formes que personne ne voyait. Quand je faisais un pas le matin sur la rosée de la grande avenue, il me semblait que la terre et l'eau se lamentaient. Pendant des journées entières, sur le bord des prés, je suivais des fantômes qui n'ont point de corps; et il y avait des idées sans noms, sans images possibles dans aucun monde, qui ne me quittaient pas. Mon ame était un véritable pandemonium où s'agitaient des larves qui n'ont jamais eu vie. Peut-être eussé-je été musicien, si j'eusse pu saisir cette harmonie sans souffle et ces soupirs sans voix qui passaient, comme des brises, dans mon cœur. Quand le vent soufflait dans les bouleaux, je rėvais d'ineffables mélodies au fond des bois; mais ces chants célestes ne dépassaient pas mes lèvres, et je ne sais aucun son qui en puisse donner l'idée. D'autres jours, en m'éveillant, il y avait des heures où je me retraçais malgré moi des images que j'aurais voulu peindre et conserver toujours devant mes yeux. C'étaient des vallées, des paysages, des climats inconnus sur cette terre. Pour les retenir, je ne trouvais non plus ni couleurs, ni lignes, ni dessin. Je bâtissais aussi des architectures prodigieuses qui n'ont nulle part de modèle, des tours idéales dans lesquelles je montais et descendais sans m'arrêter jamais. Il y avait des balcons d'où l'ou plongeait sur des horizons infinis, des balustrades où s'appuyaient des femmes et des figures d'une autre vie. Alors j'eusse pu croire être né architecte, si au moment de fixer tous ces rêves par des lignes, ils ne se fussent effacés comme le reste. De ces tours que je bâtissais dans mes songes, de ces images à demi peintes, de ces mélodies sans voix, il ne me restait rien qu'un vague enchantement; mais aujourd'hui mes fantômes m'importunent, mon propre chaos m'obsède; un aveugle instinct me pousse vers la lumière; il n'y a que le soleil d'Italie qui puisse dissiper mes odieuses ténèbres.

En passant à Nantua, je suis monté sur les rochers qui bordent le lac. Le jour était très pur. Du milieu des herbes fauchées s'exhalaient de petites vapeurs capricieuses, telles que les songes des plantes. Les hautes Alpes 'étendaient au loin sur le ciel leurs cercles de neige. Ab! les meilleurs souvenirs de ma jeunesse errent sur ces montagnes, comme des chamois poursuivis par le chasseur.

J'ai revu le lac de Genève. Les images de Rousseau, de Saint-Preux, de Mme de Staël, de Coriune, de Byron, de Manfred, se bercent sur ces flots påles. Quand les ombres des montagnes descendent le soir au fond

« PreviousContinue »