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M. Pickersgill, à M. Reinagle, si je prenais un à un leurs nombreux portraits. Ce n'est pas la peine. Au moins une sorte de lueur poétique éclaire les traits rêveurs de miss Beresford et de miss Wood, peintes l'une et l'autre par sir William Beechey. Le lord Montagu de M. Wilkie rayonne de coloris sinon d'expression.

Le tort de messieurs les académiciens peintres de portraits semble uniforme et systématique. Ils ont un procédé et le plus grossier de tous. Ils peignent soigneusement les habits et les corps; ils négligent l'esprit et le caractère. Ce n'est pas à des professeurs qu'il sied de conseiller l'étude des maîtres. L'Académie estime sans doute que le Titien a été indiscret, qu'il a montré trop à nu les ames; mais Van-Dyck y a mis plus de ménagement. C'était aussi un peintre fashionable, un peintre de cour, et pourtant il a laissé autre chose que des fourreaux de satin et des pourpoints de velours.

En fait de portraits, les élèves, les débutans, les étrangers, paraissent avoir décidément le pas, cette année, sur les académi

ciens.

Je m'arrête tout ému, devant une douce figure élégante et gracieuse. Comment! cette femme fut autrefois Ada, la fille tant aimée de lord Byron! c'est à elle que le poète disait :

Sleep on, my child; the slumber brief

Too soon shall melt away to grief,

Too soon the dawa of wo shall break

And bring rills bedew that cheek;

Too soon shall sadness quench those eyes,
That breast be agonised with sighs!

Aujourd'hui, c'est lady King, une grande dame! l'âge des douleurs lui est venu, et elle est restée l'enfant paisible et souriant qu'elle était au berceau. Remercions mistress Carpenter, son pinceau a été bien inspiré. Ada est heureuse. N'eût été cette toile vivante, nous n'aurions pas osé croire que les craintes paternelles s'étaient trompées.

Je n'ai que des éloges à donner au duc de Wellington en pied, de M. Simpson. Voilà bien le soldat énergique, raide, opiniâtre ; voilà bien le favori de la fortune. L'artiste a dégagé et saisi le bon côté de son modèle. Peut-être l'a-t-il beaucoup idéalisé et grandi;

je ne m'en plains pas. Et puis ce n'est point le chef timide d'une opposition impopulaire qui nous est représenté : c'est le général prédestiné et triomphant; car j'imagine que Sa Grace portait la tête d'un autre air à Waterloo qu'à la chambre des lords.

Le maréchal Beresford, du même peintre, se distingue par une vigueur d'exécution semblable et une particularité de costume, digne d'être signalée. Debout sur le champ de bataille, un canon à sa droite, ce noble lord, avec l'habit de combat du général, a la culotte, les bas de soie, et les escarpins de bal. Je ne rendrai pas M. Simpson responsable de cette étrange toilette. Apparemment, l'illustre pair, en se faisant peindre, aura été possédé d'une double vanité. Il aura voulu paraître sous l'habit le plus guerrier possible, tout en montrant sa belle jambe à son meilleur avantage. Cette fantaisie suffirait pour immortaliser le maréchal Beresford, quand même il n'aurait pas livré cette singulière bataille d'Albuhera, qui n'eut ni vainqueur ni vaincu.

Un dernier portrait, qui n'est pas à négliger, c'est celui de lord Brougham. Ici l'ex-chancelier whig n'a pas été, comme lord Lyndhurst, mal à propos affublé de son ci-devant costume officiel. Il est en noir, dans son cabinet, les jambes croisées, un livre fermé à la main. Il est au repos; il est calme, aussi calme que peut l'être lord Brougham; car toute l'ardente inquiétude de cet indomptable esprit s'agite dans la convulsion de ses traits et de son regard. Prenez garde, imprudens tories, que son absence rassure; prenez garde, whigs ingrats qui l'avez renié. Cette puissante peinture de M. Morton vous avertit que le redoutable orateur est plein de vie encore. Prenez garde, il va se lever et parler.

Il y a un certain nombre de larges toiles qu'on devrait à la rigueur ranger parmi les portraits, mais qui veulent évidemment être classées à part.

Tel est premièrement le Macready de M. Maclise, dans la première scène du quatrième acte de Macbeth. Cependant cette apparition échevelée n'est pas Macready; ce n'est pas Macbeth davantage. On dirait plutôt l'un des fantômes-rois que vont évoquer les sorcières. Mais ces sorcières elles-mêmes, accroupies autour du chaudron, n'ont rien des veird sisters de Shakspeare. Ce ne sont pas les êtres monstrueux qui sembleraient des femmes,

n'étaient leurs barbes. Ainsi l'artiste n'a rendu ni l'acteur ni le poète. Qu'a-t-il donc prétendu? De quelle famille est son ouvrage?

Voici de la peinture académique, plus difficile encore à caractériser. De jolis enfans couchés sur la soie et sur l'édredon parmi des chiens de toute grandeur; de jeunes lords en promenade avec leurs gens et leur bétail. Partout, au milieu du parc ou dans le salon, partout la nature animale et la nature humaine sur un même pied d'intimité. M. Landseer ne laisse jamais aller seules ses créatures raisonnables; il faut inévitablement qu'il leur donne une escorte de quadrupèdes. Je ne contesterai jamais la fantaisie d'un artiste supérieur. Certes tous ces dogues sont d'admirables bêtes. Ils sautent, ils courent, ils lèchent, ils aboient. Vous avancez la main afin de les caresser, ou vous la retirez de peur qu'ils ne mordent. M. Landseer a bien le droit de leur attribuer le principal rôle. Je voudrais seulement qu'ils l'eussent plus décidément. Je voudrais qu'à voir les tableaux de cet excellent artiste, on ne fût pas contraint à se demander lequel des deux, de l'homme ou du chien, y est l'accessoire.

Deux autres académiciens distingués excellent pareillement à peindre la vie animale. Comme ils en renferment la représentation dans des cadres plus étroits, peut-être leurs compositions conviennent-elles mieux. Je dois citer l'Aigle blessé de M. Ward. L'oiseau royal reconnaît que ses propres plumes ont conduit à son cœur la flèche qui le perce. Il se raidit contre la mort, et jette au soleil un dernier regard. C'est là une illustration de huit beaux vers de lord Byron. Cette petite toile est elle-même une noble strophe ailée.

M. Abraham Cooper pousse ses meutes en plaine, et met le cerf aux abois. Il nous mène au chenil, au haras et à l'écurie. Il donne aussi parfois, à ses chevaux, de hardis cavaliers, et les envoie bravement l'un portant l'autre à la mêlée. Sa Bataille d'Hastings est une jolie page de chevalerie.

Il faut que je m'approche beaucoup d'une autre bataille plus moderne, si je veux distinguer l'engagement des troupes anglaises et françaises, et le général sir John Moore étendu mourant. Ce tableau de M. George Jones vaut la peine qu'on l'examine. Ses armées lilliputiennes sont charmantes. Pourtant ce bijou historique a failli m'échapper. Eût-ce été ma faute? Pourquoi, tandis que les portraits

s'étalent partout et se pavanent si démesurés, les batailles se réduisent-elles aux proportions d'un devant de cheminée?

Les portraits, quand cesseront-ils de nous poursuivre? N'est-ce pas encore un double portrait que cette soi-disant Entrevue de Pie VII et de Napoléon à Fontainebleau? De signification politique, ce nuageux ouvrage n'en a aucune. Mais comme il traduit infidèlement la grande figure de l'empereur! Napoléon a-t-il été jamais cet adolescent bouffi et vaporeux?

Est-ce un système chez M. Wilkie que de rajeunir et de gonfler ses héros. Ce gros général écrivant à Louis XVIII la veille de Waterloo, a-t-il rien en lui du duc de Wellington? Sa Grace n'était déjà plus un jeune homme il y a vingt ans; mais je m'assure qu'à vingt ans même elle n'avait pas davantage cet air bien portant et sentimental.

Dans l'insignifiante esquisse qui montre une jeune fille que le poinçon d'or enrichit douloureusement de ses premiers pendans d'oreille, je ne reconnais guère l'auteur ingénieux du Ménétrier aveugle.

L'Intérieur d'une chaumière irlandaise suffit cependant à soutenir cette année le renom de M. Wilkie. C'est une page énergique d'histoire contemporaine. Un jeune paysan, poussé par le besoin au vol et au meurtre, est rentré dans sa hutte les mains teintes de sang. Sans doute, afin de s'étourdir, il aura vidé la fiole de whiskey pendue au mur, car il s'est jeté à terre et caresse insoucieusement son enfant nu. Mais sa femme et sa sœur ne partagent point cette effrayante tranquillité. Les soldats viennent; on les entend; elles écoutent, penchées à la porte, pâles et transies. Cette scène est fortement dramatique. Elle raconte et résume pathétiquement les intolérables misères de tout un grand peuple opprimé.

On n'a pas le courage de relever particulièrement les fautes de cette œuvre touchante, mais elles suggèrent quelques remarques générales sur le talent de M. Wilkie. Quiconque ne le connaîtrait que par ses peintures d'autrefois n'aurait de lui nulle idée correcte. Il n'est plus, en effet, le même qui écrivait si soigneusement de petits drames de la vie rustique et ouvrière; il n'est plus celui que l'admiration de ses compatriotes couronnait du double génie d'Hogarth et de Teniers : il est bien davantage, au dire des admirateurs. A dater de son retour d'Espagne, c'est un homme renouvelé. Il a pris le large vol; il est entré en pleine poésie. De fait, la trans

formation lui a-t-elle aussi glorieusement réuss' qu'à Rembrandt, que nous voyons substituer à son premier faire, si fini, cette seconde manière, négligente des détails, qui ne demande ses sublimes effets qu'à la distribution idéale de l'ombre et de la clarté? Nous sommes loin de le croire. L'artiste a gagné quelque chose en variété; il a perdu beaucoup en finesse et en perfection. Il n'est pas jusqu'à son séduisant coloris, sa principale originalité, qui ne se soit terni et enveloppé d'un voile grisâtre, d'un brouillard à peine pénétrable. Pour ce qu'il a rapporté du dehors, vraiment M. Wilkie eût mieux fait de ne jamais sortir de son pays.

M. Eastlake semble avoir profité plus franchement de ses excursions sous le ciel méridional. Sa nature italienne n'a presque plus rien d'anglais. On ne saurait dire, par exemple, que cet artiste soit doué de fécondité. Il se borne à exposer une réduction de sa toile principale de l'an passé. Nous ne nous plaignons pas de revoir un sujet qui nous avait plu; mais pourquoi la copie reproduit-elle toutes les taches de l'original? Ces pélerins qui se prosternent à l'aspect de la ville éternelle sont toujours plus exténués que dévots et contrits. Ils sont moins ravis d'approcher de la source céleste où s'abreuvent les ames, que de la terrestre fontaine qui désaltère les corps.

Il serait impardonnable de ne pas recommander les compositions mythologiques de M. Etty. L'art actuel ne veut pas tant de mal qu'on dit à cette douce poésie de la fable. Les esprits grossiers ont prostitué long-temps et avili ses graces: honorons les esprits délicats qui tentent présentement de la réhabiliter. M. Etty est du petit nombre de ceux qui mèneront à bon port cette restauration. Il a rendu à Vénus la magie de sa ceinture, et à l'aveugle-dieu l'infaillibilité de ses flèches. Ajoutons que ce rénovateur n'a pas eu le mauvais goût de ressusciter les Psychés colossales du siècle dernier; c'est l'ame antique, ailée, transparente, et pourtant, palpable qu'il a ranimée. Et puis il a eu la discrétion d'encadrer étroitement ses élégantes scènes de paganisme. On les dirait autant d'idylles d'André Chénier.

Voici bien des années que le vieux M. Westall ne se lasse point de renouveler les éditions de ses folles à genoux sur la grève, regardant les flots soulevés, et de ses petites filles, debout, pieds nus, au seuil d'une chaumière. Il rapporte aujourd'hui les mêmes éternels échantillons. Je l'avoue, enjolivées par un burin coquet, ces

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