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propres inclinations et leur propre Divinité; mais nos Deïchristicoles, en reconnoissant de nom un seul Dieu, ils en admettent effectivement trois, auxquels cependant ils n'attribuent qu'une même nature, qu'une même puissance et qu'une même Divinité; ce qui est certainement beaucoup plus absurde, que ce que disoient les Païens de la pluralité des Dieux.

Si ces mêmes Païens ont cru, qu'il y avoit des Déesses comme des Dieux, et que ces Dieux et ces Déesses se marioient ensemble, et qu'ils engendroient des enfans, ils ne pensoient en cela rien que de naturel, car ils ne s'imaginoient pas encore que les Dieux fussent sans corps et sans sentimens. Et croïant qu'ils avoient des corps et du sentiment, aussi bien que les hommes, il ne faut pas s'étonner, s'ils croïoient qu'il y eut des Dieux mâles et des Déesses femelles: car s'il y en avoit effectivement quelques uns, pourquoi n'y en auroit-il point de l'un et de l'autre sexe? On ne voit point qu'il y ait plus de raison de nier, ou de reconnoitre plutôt l'un que l'autre, et suposant, comme faisoient les Païens, qu'il y avoit des Dieux et des Déesses, pourquoi ne se marieroient-ils pas? Et pourquoi ne prendroient-ils pas leurs plaisirs ensemble, ces Dieux et ces Déesses, en engendrant des enfans, et cela en la manière que font les hommes? Il n'y auroit certainement rien de ridicule, ni d'absurde dans cette doctrine et dans cette croïance des Païens, si le fondement de leur doctrine et de leur croïance étoit vrai, c'est-à-dire, s'il étoit vrai qu'il y eut effectivement des Dieux.

XXXII.

Mais dans la doctrine et dans la croïance de nos Deïchristicoles il y a quelque chose de plus ridicule et de plus absurde, car, outre ce qu'ils disent d'un Dieu qui en fait trois, ou de trois qui ne font qu'un, ce qui est déjà, comme j'ai remarqué, une absurdité assez grande, ils disent que ce Dieu triple et unique n'a ni corps, ni forme, ni figure aucune. Ils disent que la prémière personne de ce. Dieu triple et unique, qu'ils apellent le Père, a engendré toute seule, par sa propre pensée et par sa propre connoissance, une seconde personne; qu'ils apellent le Fils, et qui est tout semblable à son Père, étant comme lui, sans corps, sans forme et sans figure aucune, qui est ce qui fait que la prémière personne se nomme le père plutôt que la mère, et qui est ce qui fait que la seconde se nomme plutôt le fils que la fille? Car si la prémière est véritablement père, plutôt que mère et si la seconde est véritablement fils, plutôt que fille, il faut nécessairement, qu'il y ait quelque chose dans l'un et dans l'autre de ces deux personnes, qui fasse que l'une soit père, plutôt que mère, et que l'autre soit plutôt fils, que fille. Or qu'est-ce qui feroit cela, si ce n'est qu'elles seroient tous deux mâles et non fémelles? Mais comment seront-elles plutôt mâles que fémelles, puisqu'elles n'ont ni l'une, ni l'autre, ni corps, ni forme, ni figure aucune? Cela n'est pas imaginable, cela se détruit de soi-même; mais n'importe, ils disent et il leur plait de dire toujours

à bon compte que ces deux personnes, qui sont ainsi sans corps, sans forme et sans figure aucune, et qui par conséquent ne peuvent être d'aucun sexe, c'està-dire ni mâles, ni fémelles, sont néanmoins père et fils, et qu'ils ont produit par leur mutuel amour une troisième personne, qu'ils apellent le St. Esprit, laquelle personne n'a, non plus que les deux autres, ni corps, ni forme, ni figure aucune. Et ainsi, suivant l'admirable et sainte doctrine et croïance de nos subtils et savants Deïchristicoles, il n'y a qu'un seul triple et unique Dieu, qui est sans corps et sans forme, sans figure et sans couleur aucune et dans ce seul triple et unique Dieu, il y a cependant trois personnes divines, lesquelles sont toutes trois sans corps, sans forme et sans figure aucune. On ne peut pas dire qu'elles soient d'aucun sexe, c'est-à-dire, qu'elles soient mâles, ni fémelles, et quoiqu'elles ne soient ni mâles, ni fémelles, elles n'ont pas laissé néanmoins que de s'engendrer et de se produire les unes les autres, ce qui s'est fait, disent nos Christicoles, non charnellement, mais spirituellement et d'une manière toute spirituelle et mistérieuse et ineffable, c'est-à-dire, d'une manière que nos Christicoles eux-mêmes ne sauroient exprimer, ni concevoir.

Jugez si cette doctrine et si cette croïance n'est pas incomparablement plus ridicule et plus absurde, que toutes celles des anciens Païens? Elle est certainement incomparablement plus ridicule et plus absurde car ces anciens Païens croïoient, suivant le cours ordinaire de la nature, dans ses générations, que les Dieux pouroient en engendrer plusieurs et

plusieurs enfans, et que leurs enfans pouroient en engendrer plusieurs et plusieurs autres et continuer toujours ainsi de générations, en générations, dans tous les siècles. Et, suivant leur principe, il n'y avoit encore rien de ridicule, ni d'absurde, dans leur pensée et dans leur croïance. Mais par quelle raison, nos Christicoles veulent-ils borner la puissance générative de leur. Dieu, le Père, à la génération d'un seul fils? Est-ce qu'il n'auroit pu, ou qu'il n'auroit pas voulu engendrer davantage? Ou seroit-ce peut-être, qu'il ne lui auroit pas été convenable, d'avoir plusieurs fils et plusieurs filles? Ce ne doit pas être pour cette dernière raison, qu'il n'auroit voulu avoir qu'un seul fils, car la multitude des enfans, lorsqu'ils sont tous bien nés, qu'ils sont tous beaux, sages et honnêtes, fait l'honneur et la gloire d'un père, qui les a engendrés; et il ne faut point douter, que le Dieu Père n'auroit engendré toujours que de beaux enfans, qui auroient tous été aussi sages et aussi parfaits, qu'il auroit voulu, et par conséquent, auroient fait l'honneur et la gloire de leur père. D'ailleurs ce divin Père n'avoit pas lieu de craindre, comme des hommes, de voir jamais aucun de ses enfans dans l'indigence et dans la misère, puisqu'étant le souverain Maître et Seigneur du ciel et de la terre, il auroit pu leur donner à tous des apanages convenables à leur divine naissance, et il auroit pu même leur donner à chacun d'eux un monde entier à gouverner et à y faire tout ce qu'ils auroient voulu, et se réserver ce monde-ci pour lui, s'il l'avoit trouvé bon. Ainsi il ne paroit pas, que ce puisse avoir été pour une telle, ou autre sem

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blable raison, qu'il n'auroit voulu engendrer qu'un seul fils.

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Dire qu'il n'auroit pû en engendrer aucun autre, tendu que sa puissance générative auroit été entièrement épuisée par la génération de ce premier fils, ce seroit dire une chose ridicule et absurde, parce qu'il seroit ridicule et absurde de vouloir borner si court une puissance, que l'on dit être infinie. Or, nos Christicoles disent que la puissance de ce divin Père est infinie, et si elle est infinie, elle ne sauroit donc jamais être épuisée par la génération de ce prémier fils, et ainsi ils n'auroient pas raison de dire, que sa puissance générative seroit épuisée par la génération d'un seul Fils. Quoi! Cette puissance d'engendrer se trouve t'-elle épuisée dans les hommes, par la génération d'un seul enfant? Point du tout, bien loin de cela elle ne l'est pas même toujours par la génération de 12, ni de 15, puisqu'il y en a plusieurs, qui en ont eu un plus grand nombre. Ægypte, par exemple, prémier Roi du Roïaume de ce nom, eut 50 fils, qu'il maria à 50 filles, que son frère Dardanus avoit. On dit qu'Amurat, troisième Roi des Turcs, eut 102 enfans. On dit que Hiérôme, Roi des Arabes, en eut 600! On dit aussi que Scieure, Roi des Tartares, laissa 80 enfans mâles. Il y a aparence, que le Roi Salomon en avoit eu encore un bien plus grand nombre, que tous ceux-ci, puisqu'il n'avoit pas moins que 700 femmes, qui étoient comme autant de Reines, et qu'il avoit encore 500 concubines, en sorte que s'il avoit seulement eu un enfant de chacune, il n'en auroit pas eu moins qu'un millier. Cette

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