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force, assez de courage, assez de lumière, assez de sagesse et assez de vertu, pour résister aux tentations du péché et pour demeurer toujours fermes dans leur innocence, sans jamais tomber dans le péché; et pour cela il n'auroit tenu et ne tenoit qu'à Dieu, de le vouloir ainsi, et en ce cas-là jamais les hommes n'auroient tombé dans le péché, et par conséquent, suivant la doctrine de nos Christicoles, il n'y auroit jamais eu aucun mal, ni par conséquent jamais aucune créature malheureuse, ce qui auroit été le plus grand bonheur du monde. Mais Dieu, suivant la même doctrine de nos Christicoles, ne l'aïant pas voulu ainsi, comment peuvent-ils accorder cela avec une si grande bonté et un si grand amour, que celui qu'ils disent qu'il a pour les hommes? Cela ne se peut accorder. Comment encore accorder, dans un même Dieu, une si grande bonté et une si grande miséricorde en vers les pécheurs et un si grand amour, avec une si grande rigueur et une si grande sévérité, avec laquelle il puniroit leurs moindres fautes? Comment accorder, dans un même Dieu, une si grande bonté et un si grand amour pour les hommes pécheurs, avec une si grande colère, avec une si grande fureur et avec une si grande indignation, qu'il auroit pour ces pécheurs, et même avec une si cruelle vengeance, que celle qu'il exerceroit contr'eux? Des extrémités si contraires et si oposées ne peuvent se trouver ensemble dans un même sujet, puisqu'elles se détruisent nécessairement l'une l'autre. Il est donc ridicule et absurde de vouloir les attribuer à un même Dieu.

2o. Est-il croïable qu'un Dieu infiniment bon, et

qui auroit tant de douceur et de bonté pour les hommes, auroit voulu reprouver, perdre et condamner tout le genre humain, non seulement à toutes les peines et à toutes les misères de cette vie, mais aussi à brûler éternellement dans les flames effroïables d'un enfer, pour une si légère faute, que celle qu'Adam auroit commise, en mangeant dans un jardin quelques fruits qui lui auroient été défendus? Et pour une faute, qui ne méritoit pas un coup d'étrivière. Il est indigne d'avoir seulement une telle pensée d'un Dieu, qui se roit souverainement bon et souverainement sage.

3o. Si une telle faute devoit tellement irriter et offenser sa divine Majesté, que de vouloir pour un si petit sujet réprouver, perdre et rendre malheureux tous les hommes, est-il croïable qu'un Dieu infiniment bon, infiniment sage et tout-puissant n'auroit pas voulu empêcher ou détourner cette faute, plutôt que de vouloir la laisser commettre, pour avoir des suites et des conséquences si funestes et si fâcheuses pour tout un monde? Il auroit pû facilement par sa Sagesse, par sa Providence et par sa Toute-puissance empêcher cette prétendue faute, s'il avoit voulu, et sans même qu'il lui en eut coùté aucune peine, ni aucun travail; et ne l'aïant point empêché, c'est donc qu'il n'auroit pas voulu l'empêcher ou qu'il n'y auroit pas pensé: ni l'un ni l'autre ne se peut dire d'un Dieu qui seroit tout-puissant, infiniment bon et infiniment sage; car il seroit entièrement contre la nature d'une souveraine bonté et d'une souveraine sagesse de ne pas vouloir empêcher ou détourner la source et la cause d'un si grand mal, ou plutôt la

source et la cause de tant de si grands et si détestables maux!

4o. Est-il croïable, qu'un Dieu infiniment bon, infiniment sage, auroit voulu s'offenser si griévement pour une si légère faute et même pour une faute, qu'il auroit bien voulu permettre et qu'il n'auroit pas voulu empêcher? Est-il croïable, qu'après l'avoir voulu permettre et qu'après n'avoir pas voulu l'empêcher, il auroit voulu l'expier et la punir sur lui-même, ou sur la propre personne de son prétendu divin Fils éternel et consubstantiel avec lui, comme disent nos Christicoles? Est-il croïable que ce prétendu divin Fils éternel et consubstantiel à son Père, auroit voulu se faire homme lui-même et souffrir une mort cruelle et honteuse, pour réparer une injure et une offense, qui n'étoit qu'imaginaire et métaphorique? Je dis imaginaire et métaphorique, parceque tous les crimes et les péchés des hommes ne sont par raport à Dieu, comme j'ai dit, que des injures et des offenses imaginaires? Est-il croïable, qu'un Dieu Père éternel auroit voulu livrer son propre Fils entre les mains des hommes mêmes, pour le faire honteusement * et cruellement mourir, comme un malfaiteur, avec des voleurs, afin de réparer et d'effacer par sa mort l'injure et l'offense, qui lui auroit été faite par un homme, qui auroit seulement mangé une pomme ou une prune contre son commandement? Est-il croïable, qu'un Dieu auroit regardé cette mort cruelle et honteuse de son

* Et cela après avoir dit, ou fait dire lui-même dans sa Loi, que maudit de Dieu est celui qui est pendu en croix, maledictus a Deo est qui pendet in ligno! Deut. 21: 23.

*

divin Fils, comme une digne satisfaction et comme une digne réparation de l'injure, qui lui auroit été faite par un tel prétendu péché? Rien de plus vain, de plus sot, de plus extravagant et de plus ridicule que tout cela: c'est comme si on disoit, qu'un Dieu infiniment sage auroit voulu, par un excès de bonté et de miséricorde, réparer ou effacer une injure et une offense imaginaire et métaphorique par la plus grande, par la plus griève et par la plus injurieuse de toutes les offenses qui s'auroit pû faire. C'est comme si on disoit, qu'un Dieu infiniment sage se seroit grièvement offensé contre les hommes et qu'il se seroit très-rigoureusement irrité contr'eux pour un rien et pour une bagatelle, et qu'il se seroit miséricordieusement apaisé et réconcilié avec eux, par le plus grand de tous les crimes et par un horrible déicide, que les mêmes hommes auroient commis en la personne de son divin Fils, en l'attachant et le faisant honteusement et cruellement mourir sur une croix.

Falloit-il qu'un Dieu tout-puissant se fit fouetter et se fit pendre lui-même, pour faire grâce et miséricorde à des hommes pécheurs? Et falloit-il, pour les retirer de la puissance d'un ennemi imaginaire, qu'il lui en coûtat la vie? Quelle folie d'avoir seulement cette pensée! C'est néanmoins sur ce prétendu beau et adorable mistère d'un Dieu homme, d'un Dieu fouetté, d'un Dieu pendu et d'un Dieu ignominieusement mort en croix, que toute la Religion Chrétienne

* Deus qui pro nobis filium tuum crucis patibulum subire voluisti, ut inimici à nobis expelleres potestatem. Orais. du tems de Pâques.

est fondée. Y a t'-il rien de plus ridicule, de plus absurde et de plus extravagant que tout cela? Quoi! un Dieu infiniment bon et infiniment sage, qui se seroit pour une pomme si griévement offensé contre les hommes, que de vouloir les réprouver tous, les perdre tous et les rendre tous malheureux à tout jamais, pour une faute, qui ne mériteroit pas, comme j'ai dit, un coup d'étrivière; et il se seroit ensuite apaisé et réconcilié avec eux par un horrible déicide, qu'ils auroient commis en crucifiant et en faisant honteusement et cruellement mourir son divin Fils? Etonnez-vous, Ciel et la terre, d'une si étrange doctrine * obstupescite coeli super hoc! Cette seule offense, que les hommes auroient jamais commise en cela, auroit dû les perdre à tout jamais, et elle les auroit heureusement sauvé tous! Quelle folie! Quelle folie encore un coup, de dire et de penser seulement telle chose! Il faut être prodigieusement frappé d'aveuglement et d'entêtement, pour ne pas vouloir reconnoitre et condamner des erreurs si grossières, si visibles, si ridicules et si absurdes que sont celles-là. On peut certainement dire qu'il n'y en a jamais eu de pareilles dans le Paganisme. Et c'est néanmoins ce que la Religion Chrétienne enseigne et c'est ce qu'elle oblige absolument de croire et par ainsi elle contient manifestement des erreurs dans sa doctrine.

* Jerem. 2: 12.

Tanta jam stultitia opressit miserum mundum ut nunc sic absurdae res credantur a Christianis quales nunquam antea ad creden dum poterat quisquam suadere paganis. S. Agoar Evêque de Lyon. Apol. Tom. I. N. 87.

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