Page images
PDF
EPUB

principes à la philosophie et que dans celle-ci il ne se trouve guère de chose dont on ne dispute et qui ne soit douteuse, «<sitôt que l'âge me permit de sortir << de la sujétion de mes précepteurs, je quittai entiè«<rement l'étude des lettres. Et me résolvant de ne « plus chercher d'autre science que celle qui se pour<< rait trouver en moi-même, ou bien dans le grand << livre du monde, j'employai le reste de ma jeunesse « à faire partout telle réflexion sur les choses qui se présentaient que j'en pusse tirer quelque profit. << Car il me semblait que je pourrais rencontrer beau« coup plus de vérité dans les raisonnements que <«< chacun fait touchant les affaires qui lui importent « et dont l'événement le doit punir bientôt après « s'il a mal jugé, que dans ceux que fait un savant <«< dans son cabinet touchant des spéculations qui ne

[ocr errors]
[ocr errors]

produisent aucun effet et qui ne lui sont d'autre <«< conséquence, sinon que peut-être il en tirera « d'autant plus de vanité qu'elles seront plus éloignées du sens commun; à cause qu'il aura dû em

[ocr errors]

ployer d'autant plus d'esprit et d'artifice à tâcher « de les rendre plus vraisemblables. Et j'avais tou

[ocr errors]

jours un extrême désir d'apprendre à distinguer le << vrai d'avec le faux, pour voir clair en mes actions « et marcher avec assurance en cette vie. »

<< Mais, comme un homme qui marche seul dans « les ténèbres, je me résolus d'aller si lentement et « d'user de tant de circonspection en toutes choses, <«< que, si je n'avançais que fort peu, je me garderais << bien au moins de tomber. »

Descartes raconte ensuite qu'il avait un peu étudié la philosophie, la logique, les mathématiques, l'analyse des géomètres et l'algèbre, trois sciences qui semblaient devoir contribuer à ses desseins. Cependant, en les examinant, il reconnut (et sa méthode n'a pas été suffisamment employée pour que, de nos jours, il n'en soit encore ainsi) que la logique, ses syllogismes et la plupart de ses autres instructions servent plutôt à expliquer à autrui les choses qu'on sait, ou même à parler sans jugement des choses qu'on ignore, qu'à les apprendre. Et bien qu'elle contienne, en effet, beaucoup de préceptes très vrais et très bons, il y en a toutefois tant d'autres mêlés parmi eux, qui sont ou nuisibles ou superflus, qu'il est presque aussi malaisé de les en séparer que de tirer une Diane ou une Minerve d'un bloc de marbre qui n'est pas encore ébauché. Puis, pour l'analyse des anciens et l'algèbre des modernes, outre qu'elles ne s'occupent que de matières fort abstraites et qui ne semblent d'aucun usage, la première est toujours si

astreinte à la considération des figures qu'elle ne peut exercer l'entendement sans fatiguer beaucoup l'imagination, et l'on s'est tellement assujetti, dans la dernière, à certaines règles et à certains signes qu'on en a fait un art confus et obscur qui embarrasse l'esprit, au lieu d'une science qui le cultive (1). Descartes prit donc la résolution de chercher une autre méthode, qui, comprenant les avantages de ces trois, fût exempte de leurs défauts. Au lieu du grand nombre de préceptes dont la logique est composée, il crut qu'il aurait assez des quatre suivants, pourvu qu'il prit une ferme et constante résolution de ne pas manquer une seule fois à les observer :

« Le premier était de ne recevoir jamais aucune << chose pour vraie que je ne la connusse évidem« ment être telle, c'est-à-dire d'éviter soigneusement «< la précipitation et la prévention, et de ne comprendre rien de plus en mes jugements que ce qui « se présenterait si clairement et si distinctement à « mon esprit que je n'eusse aucune occasion de le << mettre en doute.

[ocr errors]

<< Le second, de diviser chacune des difficultés que «< j'examinerais en autant de parcelles qu'il se pour<< rait et qu'il serait requis pour les mieux résoudre. » (1) On ne les a pas modifiées depuis cette époque.

« Le troisième, de conduire par ordre mes pen<«<sées, en commençant par les objets les plus simples «<et les plus aisés à connaître, pour monter peu à « peu comme par degrés jusques à la connaissance «< des plus composés, et supposant même de l'ordre << entre ceux qui ne se précèdent pas naturellement «<les uns les autres.

« Et le dernier, de faire partout des dénombre<<<ments si entiers et des revues si générales, que je « fusse assuré de ne rien omettre. >>

Telle est la méthode que Descartes a employée et qui l'a conduit à des résultats si remarquables pour son époque concernant une foule de faits et de théories physiques et spirituels.

La première nécessité de cette méthode est de chercher une connaissance fondamentale qui soit vraie, certaine, immédiate et universelle, et qui soit pour chacun le point de départ de sa science. Inspironsnous ici des idées du philosophe allemand KRAUSE, le Descartes germanique.

Toute connaissance, vraie ou fausse, suppose deux termes : le sujet qui connaît, et l'objet qui est connu. La connaissance vraie suppose, en outre, que le sujet connaît l'objet tel qu'il est en réalité. La connaissance vraie et certaine suppose que le sujet connaît l'objet

tel qu'il est en réalité et qu'il a conscience de la vérité. La vérité contient donc deux termes qui s'accordent parfaitement; mais pouvons-nous vérifier cet accord, pouvons-nous en avoir conscience? Pour résoudre la question, il suffit de démontrer qu'il existe un objet pour lequel cet accord et la conscience de cet accord sont certains; car, dès lors, nous sommes organisés pour acquérir la certitude. Et puisque le doute surgit de l'énoncé même du problème de la vérité, puisqu'il réside dans la distinction du sujet et de l'objet de la connaissance et dans la possibilité de leur désaccord, le point de départ de la science doit se trouver au-dessus de l'opposition qui existe entre le sujet connaissant et l'objet connu.

Descartes, FichTE, KRAUSE Se Sont occupés tour à tour de la question. Voici le raisonnement de DES

CARTES:

« J'avais dès longtemps remarqué que, pour les << mœurs, il est besoin quelquefois de suivre des opi<< nions qu'on sait être fort incertaines, tout de même << que si elles étaient indubitables: mais, comme je « désirais m'occuper seulement de la recherche de la « vérité, je pensai qu'il fallait que je fisse tout le con<< traire et que je rejetasse comme absolument faux << tout ce en quoi je pourrais imaginer le moindre

« PreviousContinue »