Polign. Je vous remercie de votre amitié, de vos offres généreuses, qui désormais me sont inutiles. Mon sort est fixé, et je ne pourrais maintenant, sans me perdre aux yeux dr monde, sans manquer à l'honneur, rompre des engagements qui du reste comblent tous mes vœux. SCÈNE VII. Les Précédents; madame Dorbeval, Hermance; Dorbeval, tenant Hermance par la main. Dorbeval. Eh bien! où donc est le marié ? On le demande de tous les côtés, et c'est moi qui lui amène sa femme. Hermance. Eh, mon Dieu, oui! voilà tout le monde qui vient vous chercher. Poligni, (prenant un air riant.) Tout le monde! Ah! c'est fort aimable! c'est charmant! je suis ravi, enchanté ! Dorbeval. Oh! ce n'est rien encore. Une de ces dames vient de se mettre au piano, et nous allons avoir un bal impromptu. Poligni, (affectant une grande joie.) Nous danserons! c'est délicieux ! tous les plaisirs à la fois! (Prenant la main d'Hermance.) Ma chère Hermance, venez, que je vous présente à mes amis. D'abord, à Olivier, mon camarade de collége. Hermance. Oh! je connais déjà monsieur; nous avons passé cet été quelques jours ensemble à Auteuil. Poligni. A... Auteuil ! Hermance. Nous y avons joué la comédie. Poligni, (s'efforçant de rire.) Fanchette? c'est charmant! c'est très-gai! Dorbeval, (à madame de Brienne.) Mais à mon tour, madame, permettez-moi de vous féliciter. On vient de m'apprendre votre fortune. Huit cent mille francs! Vous avez dû être ravie d'un pareil changement? Madame de Brienne, (regardant Poligni.) Oui, je me réjouis du changement que j'éprouve, et auquel je n'osais croire. Dorbeval, (à Polign.) Mais, à propos, j'ai de bonnes nouvelles à t'apprendre; notre spéculation va à merveille! Dès demain, en réalisant, ta charge est payée, et, fin de mois, ta fortune est faite. Tu deviens un capitaliste, un riche propriétaire, et tu seras dans ton ménage aussi heureux que moi: maison de ville et de campagne, des chevaux, des équipages, de l'or, des amis; tu auras tout réuni. Madame Dorbeval, (à part.) Excepté le bonheur ! COMÉDIE EN CINQ ACTES, DE PIRON. (ALEXIS PIRON naquit à Dijon en 1689. Il a écrit des opéras, des tragédies et un assez grand nombre de poésies légères qu'on ne lit guère maintenant; mais son chef-d'œuvre, la Métromanie, est une comédie remplie d'incidents heureux et de fort beaux vers, qu'on ne se lassera ja mais de lire. Il mourut à Paris en 1773.] La Scène est chez M. de Francaleu, dans les jardins d'une maison de plaisanos aux portes de Paris. Mondor. Cette maison des champs me paraît un bon gite. Je voudrais bien ne pas en décamper si vite, Surtout m'y retrouvan: avec tes yeux fripons, Lisette. Tu l'appelles? Mon. Damis., Le connais-tu ? Mon., (revenant.) On m'a pourtant bien dit: chez monsieur Francaleu. De qui n'a rapport qu'aux personnes, mais ici avec tes yeux fripona, veut dire avec toi friponne. Lis. C'est ici. Mon. Vous jouez chez vous la comédie ? Mon. Et qui sort du couvent depuis peu? Mon. Vivement recherchée ? Oui. D'aujourd'hui. Et très-digne de l'être. Mon. Et vous avez grand monde ? Mon. Illuminations, bal, concert? Mon. Un beau feu d'artifice ? Lis. Mon. À ne pas nous connaitre. Tout cela. Il est vrai. M'y voilà.' Damis doit être ici; chaque mot me le prouve. Sa face, à chaque instant, s'élargit ou s'alonge. Qu'il est dans quelque allée à bayer aux corneilles,' Lis. Je m'oriente. On a l'homme que tu souhaites. 1 C'est cela même. Robin, homme de robe. Terme populaire. 'Regarder en l'air niaisement. Haha, ouverture au mur d'un parc, avec un fossé en dehors. Cela était pratiqué pour chasser le gibier. Mon. Quoi donc ? Lis. Le personnage en tout ressemble au tien; Sinon que ce n'est pas Damis que l'on le nomme.' Mon. Contente-moi, n'importe, et montre-moi cet homme. Lis. Cherche: il est à rêver là-bas dans ces bosquets. Mais vas-y seul: on vient; et je crains les caquets. SCÈNE II. Las. Dorante ici! Dorante! Dorante. Ah, Lisette! ah, ma belle! Que je t'embrasse! Eh bien, dis-moi donc la nouvelle ! Dor. Pourquoi ? Lis. Si monsieur vous trouvait? Songez donc où vous êtes. Y pensez-vous, d'oser venir, comme vous faites, Chez un homme avec qui votre père en procès... Dor. Bon! m'a-t-il jamais vu ni de loin ni de près! Je vois le parc ouvert: j'entre. Lis. Vous le dirai-je ? Eussiez-vous cent fois plus d'audace et de manége, Lucile même à nous daignât-elle s'unir, Je ne sais trop comment vous pourrez l'obtenir. Dor. Oh! je le sais bien, moi. Mon père m'idolâtre : Il n'a que moi d'enfant: je suis opiniâtre : Je le veux; qu'il le veuille: autrement (j'ai des mœurs) Qu'il y renonce. Dor. Jamais. 1 On doit éviter cette lettre euphonique avant un autre L Las. Mais si... Finis de grâce; et laisse-là tes mais. Lis. Croyez-vous donc, monsieur, vous seul avoir un père 1 Le nôtre y voudra-t-il consentir? Dor. Lis. Moi, je l'espère peu. Je l'espère. Sois en paix là-dessus. Lis. Le vieillard est entier. Lis. Lucile est un parti... Lis. Elle a cent mille écus. Le jeune homme encor plus. Je suis bon pour Lucile. J'en aurai deux cent mille. Lis. Mais vous aimera-t-elle ? Ah! laisse là ta peur! Quand je t'en vois douter, tu me perces le cœur. Lis. Je vous l'ai dit cent fois ; c'est une nonchalante Une idole du nord, une froide femelle, Qui voudrait qu'on parlât, que l'on pensât pour elle; N'avoir que l'embarras d'être et de respirer. Et vous voulez qu'elle aime? Elle, avoir une intrigue! Y songez-vous, monsieur ? Fi donc; cela fatigue. Si votre amour vous laisse un moment de répit. Et c'est ma foi bien pis chez nous que chez les hommes. Dor. Enfin, depuis un mois, sachons où nous en sommes. Lis. Elle aime éperdument ces vers passionnés Que votre ami compose et que vous nous donnez; Et je guette l'instant d'oser dire à la belle Que ces vers sont de vous, et qu'ils sont faits Dor. Qu'ils sont de moi! mais c'est mentir effrontément. Lis. Eh bien! je mentirai: mais j'aurai l'agrément D'intéresser pour vous l'indiance même. Dor. Lucile en est encor & avoir que je l'aime! Que ne profitions-nous de la commodité De ces vers amoureux dont son goût est flatté? |