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autres ? C'était encore assez de hardiesse, quelque vrai Démétrius qu'on fût.

DES. Mais quand vous eussiez été le prcmier qui eussiez pris ce nom, comment aviez-vous le front de le prendre, sans être assuré de le pouvoir soutenir par des preuves très-vraisemblables?

LE FAUX DÉ. Mais vous qui me faites tant de questions, et qui êtes si difficile à contenter, comment osiez-vous vous ériger en chef d'une philosophie nouvelle, où toutes les vérités inconnues jusqu'alors devaient être renfermées?

DES. J'avais trouvé beaucoup de choses assez apparentes pour me pouvoir flatter qu'elles étaient vraies, et assez nouvelles pour pouvoir faire une'secte à part.

LE FAUX DÉ. Et n'étiez-vous point effrayé par l'exemple de tant de philosophes qui, avec des opinions aussi fondées que les vôtres, n'avaient pas laissé d'être reconnus à la fin pour de mauvais philosophes? On vous en nommerait un nombre prodigieux et vous ne me sauriez nommer que deux faux Démétrius qui avaient été avant moi. Je n'étais que le troisième dans mon espèce qui eût entrepris de tromper les Moscovites; mais vous n'étiez pas le millième dans la vôtre, qui eussiez entrepris d'en faire accroire à tous les hommes.

DES. Vous saviez bien que vous n'étiez

pas le prince Démétrius; mais moi je n'ai publié que ce que j'ai cru vrai, et je ne l'ai pas cru sans apparence. Je ne suis revenu de ma philosophie que depuis que je suis ici.

LE FAUX DÉ. Il n'importe, votre bonne foi n'empêchait pas que vous n'eussiez besoin de hardiesse pour assurer hautement que vous aviez enfin découvert la vérité. On a déjà été trompé par tant d'autres qui l'assuraient aussi, que quand il se présente de nouveaux philosophes, je m'étonne que tout le monde ne dise pas d'une voix: Quoi! est-il encore question de philosophes et de philosophie?

DES. On a quelque raison d'être toujours trompé par les promesses des philosophes. Il se découvre de temps en temps quelques petites vérités peu importantes, mais qui amusent. Pour ce qui regarde le fond de la philosophie, j'avoue que cela n'avance guère. Je crois aussi que l'on trouve quelquefois la vérité sur des articles considérables; mais le malheur est qu'on ne sait pas qu'on l'ait trouvée; car la philosophie je crois qu'un mort peut dire tout ce qu'il veut) ressemble à un certain jeu à quoi jouent les enfans, ou l'un d'entre eux qui a les yeux bandés, court après les autres. S'il en attrape quelqu'un, il est obligé de le nommer: s'il ne le nomme pas, il faut qu'il làche sa

prise et recommence à courir. Il en va de même de la vérité. Il n'est pas que nous autres philosophes, quoique nous ayons les yeux bandés, nous ne l'attrapions quelquefois; mais quoi! nous ne lui pouvons pas soutenir que c'est elle que nous avons attrapée, et dès ce moment-là elle échappe.

LE FAUX DÉ. Il n'est que trop visible qu'elle n'est point faite pour nous. Aussi vous verrez qu'à la fin on ne songera plus à la trouver; on perdra courage, et on fera bien.

DES. Je vous garantis que votre prédic tion n'est pas bonne. Les hommes ont un courage incroyable pour les choses dont ils sont une fois entêtés. Chacun croit que ce qui a été refusé à tous les autres lui est ré→ servé. Dans vingt-quatre mille ans il viendra des philosophes qui se vanteront de détruire toutes les erreurs qui auront régné pendant trente mille, et il y aura des gens qui croiront qu'en effet on ne fera alors que commencer à ouvrir les yeux.

LE FAUX DÉ. Quoi! c'était hasarder infiniment, que de vouloir tromper les Moscovites pour la troisième fois; et à vouloir tromper tous les hommes pour la trente millième, il n'y aura rien à hasarder. Ils sont donc encore plus dupes que les Mosccvites!

DES. Oui, sur le chapitre de la vérité.

Ils en sont plus amoureux que les Moscovites ne l'étaient du nom de Démétrius.

LE FAUX DÉ. Si j'avais à recommencer, je ne voudrais point être faux Démétrius, je me ferais philosophe; mais si on venait à se dégoûter de la philosophie et à se désespérer de pouvoir découvrir la vérité....... car je craindrais toujours cela.

DES. Vous aviez bien plus sujet de craindre quand vous étiez prince. Croyez que les hommes ne se décourageront point; cela ne leur arrivera jamais. Puisque les modernes ne découvrent pas la vérité plus que les anciens, il est bien juste qu'ils aient au moins autant d'espérance de la découvrir. Cette espérance est toujours agréable, quoique vaine. Si la vérité n'est due ni aux uns ni aux autres, du moins le plaisir de la même erreur leur est dû.

DIALOGUE V.

LA DUCHESSE DE VALENTINOIS, ANNE DE BOULEN.

ANNE DE BOULEN.

J'ADMIRE votre bonheur. Il semble que

Saint-Valier, votre père, ne commette un crime que pour faire votre fortune. Il est condamné à perdre la tête, vous allez demander sa grâce au roi: être jolie, et demander des grâces à un jeune prince, c'est s'engager à en faire; et aussitôt vous voilà maîtresse de François 1er.

LA Duc. Le plus grand bonheur que j'aie eu en cela, est d'avoir été amenée à la galanterie par l'obligation où est une fille de sauver la vie à son père. Le penchant que j'y avais pouvait aisément être caché sous un prétexte si honnête et si favorable.

A. DE BOU. Mais votre goût se déclara bientôt par les suites; car vos galanteries durèrent plus long-temps que le péril de votre père,

LA Duc. II n'importe. En fait d'amour, toute l'importance est dans les commencemens. Le monde sait bien que qui fait un pas, en fera davantage; il ne s'agit que de bien faire ce premier pas. Je me flatte que ma conduite n'a pas mal répondu à l'occasion que la fortune m'offrit, et que je ne passerai pas dans l'histoire pour n'avoir été que médiocrement habile. On admirait que le connétable de Montmorency eût été le ministre et le favori de trois rois; mais j'ai été la maîtresse de deux, et je prétends que c'est davantage.

A. DE BOU. Je n'ai garde de disconvenir

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