de plusieurs mondes différens. A ce compte, il est assez commode d'être ici : on y voit tous les autres mondes en abrégé. Du moins, reprit la Marquise, une commodité fort réelle qu'a notre monde par sa situation, c'est qu'il n'est ni si chaud que celui de mercure ou de vénus, ni si froid que celui de jupiter ou de saturne. De plus, nous sommes justement dans un endroit de la terre où nous ne sentons l'excès ni du chaud, ni du froid. En vérité, si un certain philosophe rendait grâce à la nature d'être homme et non pas bête, grec et non pas barbare, moi je veux lui rendre grâce d'être sur la planète la plus tempérée de l'univers, et dans un des lieux les plus tempérés de cette planète. Si vous m'en croyez, madame, répondis-je, vous lui rendrez grace d'être jeune, et non pas vieille; jeune et belle, et non pas jeune et laide; jeune et belle Française, et non pas jetine et belle Italienne. Voilà bien d'autres sujets de reconnaissance que ceux que vous tirez de la situtation de votre tourbillon, ou de la température de votre pays. Mon Dieu, repliqua-t-elle, laissez moi avoir de la reconnaissance sur tout, jusque sur le tourbillon où je suis placée. La mesure de bonheur qui nous a été donnée est assez petite, il n'en faut rien perdre, et il est bon d'avoir pour les choses les plus communes et les moins considérables, un goût qui les mette à profit. Si on ne voulait que des plaisirs vifs, on en aurait peu, on les attendrait long-temps, et on les paierait bien. Vous me promettez donc, répliquaije, que si on vous proposait de ces plaisirs vifs, vous vous souviendriez des tourbillons et de moi, et que vous ne nous négli→ geriez pas tout-à-fait? Oui, répondit-elle, mais faites que la philosophie me fournisse toujours des plaisirs nouveaux. Du moins pour demain, répondis-je, j'espère qu'ils ne vous manqueront pas. J'ai des étoiles fixes qui passent tout ce que vous avez vu jusqu'ici. CINQUIÈME SOIR. Que les Étoiles fixes sont autant de Soleils, dont chacun éclaire un monde. LA Marquise sentit une vraie impatience de savoir ce que les étoiles fixes deviendraient. Seront-elles habitées comme les planètes? me dit-elle. Ne le seront-elles pas? Enfin, qu'en ferons-nous? Vous le devineriez peut-être, si vous en aviez bien envie, répondis-je. Les étoiles fixes ne sauraient être moins éloignées de la terre, que de vingt-sept mille six cent soixante fois la distance d'ici au soleil, qui est de trente trois millions de lieues; et si vous fâchiez un astronome, il les mettrait encore plus loin. La distance du soleil à saturne, qui est la planète la plus éloignée, n'est que de trois cent trente millions de lieues; ce n'est rien par rapport à la distance du soleil ou de la terre aux étoiles fixes, et on ne prend pas la peine de la compter. Leur lumière, comme vous voyez, est assez vive et assez éclatante. Si elles la recevaient du soleil, il faudrait qu'elles la reçussent déjà bien faible après un si épouvantable trajet; il faudrait que, par une réflexion qui l'affaiblirait encore beaucoup, elles nous la renvoyassent à cette même distance. Il serait impossible qu'une lumière qui aurait essuyé une réflexion, et fait deux fois un semblable chemin, eût cette force et cette vivacité qu'a celle des étoiles fixes. Les voilà donc lumineuses par elles-mêmes, et toutes, en un mot, autant de soleils. Ne me trompé-je point, s'écria la Marquise, ou si je vois où vous me voulez mener? M'allez-vous dire : « Les étoiles fixes. » sont autant de soleils; notre soleil est le » centre d'un tourbillon qui tourne autour » de lui; pourquoi chaque étoile fixe ne » sera-t-elle pas aussi le centre d'un tour>> billon qui aura un mouvement autour » d'elle? Notre soleil a des planètes qu'il ⚫ éclaire; pourquoi chaque étoile fixe n'en » aura-t-elle pas aussi qu'elle éclairera ? » Je n'ai à vous répondre, lui dis-je, que ce que répondit Phèdre à OEnone : « C'est toi » qui l'as nommé ». Mais, reprit-elle, voilà l'univers si grand que je m'y perds; je ne sais plus où je suis, je ne suis plus rien. Quoi! tout sera divisé en tourbillons jetés confusément les uns parmi les autres! Chaque étoile sera le centre d'un tourbillon, peut-être aussi grand que celui où nous sommes! Tout cet espace immense qui comprend notre soleil et nos planètes, ne sera qu'une petite parcelle de l'univers! Autant d'espaces pareils que d'étoiles fixes! Cela me confond, me troable, m'épouvante. Et moi, répondis-je, cela me met à mon aise. Quand le ciel n'était que cette voûte bleue où les étoiles étaient clouées l'univers me paraissait petit et étroit, je m'y sentais comme oppressé. Présentement qu'on a donné infiniment plus d'étendue et de profondeur à cette voûte en la partageant en mille et mille tourbillons, il me semble que je respire avec plus de liberté, et que je suis dans un plus grand air, et assurément l'univers a toute une autre magnificence. La nature n'a rien épargné en le produisant; elle a fait une profusion de richesses toutà-fait digne d'elle. Rien n'est si beau à se représenter que ce nombre prodigieux de tourbillons, dont le milieu est occupé par un soleil qui fait tourner des planètes autour de lui. Les habitans d'une planète d'un de ces tourbillons infinis, voient de tous côtés les soleils des tourbillons dont ils sont environnés; mais ils n'ont garde d'en voir les planètes, qui n'ayant qu'une lumière faible, empruntée de leur soleil, ne la poussent point au-delà de leur monde. Vous m'offrez, dit-elle, une espèce de perspective si longue, que la vue n'en peut attraper le bout. Je vois clairement les habitans de la terre; ensuite vous me faites voir ceux de la lune et des autres planétes de notre tourbillon assez clairement, à la vérité, mais moins que ceux de la terre : aprés eux viennent les habitans des planètes des autres tourbillons. Je vous avoue qu'ils sont tout-à-fait dans l'enfoncement, et que, quelque effort que je fasse pour les voir, je ne les aperçois presque point. Et en effet, ne sont-ils pas presque anéantis par l'expression même dont vous êtes obligé de vous servir en parlant d'eux? il faut que vous les appeliez les habitans d'une des planètes de l'un de ces tourbillons dont le nombre est infini. Nous-mêmes, à qui la même expression convient, avouez que vous |