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LES PLAISIRS

DE L'ÎLE
L'ÎLE ENCHANTÉE

FÊTES GALANTES ET MAGNIFIQUES,

FAITES PAR LE ROI, À VERSAILLES, LE 7o MAI 1664.

L'édition originale, d'après laquelle nous donnons et la complète relation des fêtes, à la rédaction de laquelle Molière peut avoir eu quelque part, et sa comédie de la Princesse d'Élide, comprise dans les divertissements, est datée de 1664; elle n'a point d'achevé d'imprimer (*).

(*) Textes comparés à l'édition originale: les réimpressions séparées de 1665, 1668, 1673 (que nous désignons par 1673"); les éditions collectives de 1666, 1673, 1674, 1682.

LES PLAISIRS

DE L'ÎLE ENCHANTÉE.

COURSE DE BAGUE, COLLATION ORNÉE DE MACHINES, COMÉDIE MÊLÉE DE DANSE ET DE MUSIQUE, BALLET DU PALAIS D'ALCINE, FEU D'ARTIFICE, ET AUTRES FÊTES GALANTES ET MAGNIFIQUES, FAITES PAR LE ROI, À VERSAILLES,

Le 7 mai 1664, et continuÉES PLUSIEURS AUTRES JOURS (1).

Le Roi, voulant donner aux Reines et à toute sa cour le plaisir de quelques fêtes peu communes, dans un lieu orné de tous les agréments qui peuvent faire admirer une maison de campagne, choisit Versailles, à quatre lieues de Paris. C'est un château qu'on peut nommer un palais enchanté, tant les ajustements de l'art ont bien secondé les soins que la nature a pris pour le rendre parfait. Il charme en toutes manières (2); tout y rit dehors et dedans, l'or et le marbre y disputent de beauté et d'éclat; et quoiqu'il n'ait pas (3) cette grande étendue qui se remarque en quelques autres palais de Sa Majesté, toutes choses y sont si polies, si bien entendues et si achevées, que rien ne le peut égaler (). Sa symétrie, la richesse de ses meubles, la beauté de ses promenades, et le nombre infini de ses fleurs, comme de ses orangers, rendent les environs de ce lieu dignes de sa rareté singulière. La diversité des bêtes contenues dans les deux parcs, et dans la ménagerie, où plusieurs cours en étoile sont accompagnées de viviers pour les animaux aquatiques, avec de grands bâtiments. joignent le plaisir avec la magnificence, et en font une maison accomplie.

(1) Cet intitulé est celui que portent, au feuillet de titre, et que répètent, au haut de la page où commence le texte, l'édition originale, de 1664, et celle de 1673°. Nous empruntons, selon notre usage, notre intitulé initial (p. 269) à l'édition de 1682, comme aussi celui de la Princesse d'Élide (ci-après, p. 289).

(*) « Il charme de toutes manières.» (Éd. 1673, 1674, 1682.)

(3) et quoiqu'il n'y ait pas." (Ibidem. )

(4) ne les peut égaler. (Éd. 1666, 1668, 1673, 1674, 1682.)

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PREMIÈRE JOURNÉE

DES PLAISIRS DE L'ÎLE ENCHANTÉE“.

Ce fut en ce beau lieu, où toute la cour se rendit le cinquième de mai(2), que le Roi traita plus de six cents personnes, jusques au quatorzième (3), outre une infinité gens nécessaires à la danse et à la comédie, et d'artisans de toutes sortes venus de Paris si bien que cela paroissoit une petite armée.

de

:

Le ciel même sembla favoriser les desseins de Sa Majesté, puisqu'en une saison presque tousjours pluvieuse, on en fut quitte pour un peu de vent, qui sembla n'avoir augmenté qu'afin de faire voir que la prévoyance et la puissance du Roi étoient à l'épreuve des plus grandes incommodités. De hautes toiles, des bâtiments de bois. faits presque en un instant, et un nombre prodigieux de flambeaux de cire blanche. pour suppléer à plus de quatre mille bougies chaque journée, résistèrent à ce vent. qui par tout ailleurs eût rendu ces divertissements comme impossibles à achever.

M. de Vigarini, gentilhomme modénois, fort savant en toutes ces choses, inventa et proposa celles-ci; et le Roi commanda au duc de Saint-Aignan, qui se trouva lors en fonction de premier gentilhomme de sa chambre, et qui avoit desjà donné plusieurs sujets de ballet fort agréables, de faire un dessein où elles fussent toutes comprises avec liaison et avec ordre, de sorte qu'elles ne pouvoient manquer de bien réussir.

Il prit pour sujet le Palais d'Alcine, qui donna lieu au titre des Plaisirs de l'Île enchantée, puisque, selon l'Arioste, le brave Roger et plusieurs autres bons chevaliers y furent retenus par les doubles charmes de la beauté, quoique empruntée, et du savoir de cette magicienne, et en furent délivrés, après beaucoup de temps consommé dans les délices, par la bague qui détruisoit les enchantements: c'étoit celle d'Angélique. que Mélisse, sous la forme du vieux Atlas, mit enfin au doigt de Roger.

On fit donc en peu de jours orner un rond, où quatre grandes allées aboutissent entre de hautes palissades, de quatre portiques de trente-cinq pieds d'élévation et de vingt-deux en carré d'ouverture, de plusieurs festons (5) enrichis d'or, et de diverses peintures avec les armes de Sa Majesté.

Toute la cour s'y étant placée le septième, il entra dans la place, sur les six heures du soir, un héraut d'armes, représenté par M. des Bardins, vêtu d'un habit à l'antique, couleur de feu en broderie d'argent, et fort bien monté.

(1) Nous ajoutons ce titre pour l'uniformité des divisions: il manque dans les anciennes éditions. (2) le 5 mai.” (Éd. 1668.)

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Il étoit suivi de trois pages. Celui du Roi, M. d'Artagnan, marchoit à la tête des deux autres, fort richement habillé de couleur de feu, livrée de Sa Majesté, portant sa lance et son écu, dans lequel brilloit un soleil de pierreries, avec ces mots :

Nec cesso. nec erro,

faisant allusion à l'attachement de Sa Majesté aux affaires de son État et la manière (2) avec laquelle il agit : ce qui étoit encore représenté par ces quatre vers du président de Périgny, auteur de la même devise:

Ce n'est pas sans raison que la Terre et les Cieux
Ont tant d'étonnement pour un objet si rare,
Qui, dans son cours pénible autant que glorieux,
Jamais ne se repose, et jamais ne s'égare.

Les deux autres pages étoient aux ducs de Saint-Aignan et de Noailles, le premier, maréchal de camp, et l'autre, juge des courses.

Celui du duc de Saint-Aignan portoit l'écu de sa devise, et étoit habillé de sa livrée de toile d'argent enrichie d'or, avec les plumes (3) incarnates et noires, et les rubans de même. Sa devise étoit telle: un timbre d'horloge (), avec ces mots :

Le

De mis golpes mi ruido (5).

page du duc de Noailles étoit vêtu de couleur de feu, argent et noir, et le reste de la livrée semblable. La devise qu'il portoit dans son écu étoit un aigle, avec ces

mots :

Fidelis et audax.

Quatre trompettes et deux timbaliers marchoient après ces pages, habillés de satin couleur de feu et argent, leurs plumes de la même livrée, et les caparaçons de leurs chevaux couverts d'une pareille broderie, avec des soleils d'or fort éclatants aux banderoles des trompettes et les couvertures (6) des timbales.

Le duc de Saint-Aignan, maréchal de camp, marchoit après eux, armé à la grecque, d'une cuirasse de toile d'argent, couverte de petites écailles d'or, aussi bien que son bas de saye ("); et son casque étoit orné d'un dragon, et d'un grand nombre de plumes blanches, mêlées d'incarnat et de noir. Il montoit un cheval blanc, bardé de même. et représentoit Guidon le Sauvage.

(1) ~ à la tête de deux autres.» (Éd. 1674, 1682.)

(2) et à la manière.» (Ibidem.)

(3) avec des plumes.» (Éd. 1673, 1674, 1682.)

(A) Sa devise étoit un timbre d'horloge." (Éd. 1665, 1666, 1673, 1674, 1682.)

(5)

· De mi golpes.» (Éd. 1666, 1668, 1673, 1674, 1682.)

(6) et aux couvertures.» (Éd. 1673, 1674, 1682.)

(7) « son bas de soye.» (Éd. 1666, 1673, 1674, 1682.) — Même variante, dans le texte de 1682, ci-après, p. 277.

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