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LA

PRINCESSE

DE

NAVARRE,

COMEDIE-BALLET.

ACTE PREMIER.

SCENE PREMIERE.

CONSTANCE, LEONOR.

Ан,

LEONO R.

.H, quel voyage, et quel féjour

Pour l'héritière de Navarre !

Votre tuteur, don Pèdre eft un tyran barbare:

Il vous force à fuir de fa cour.

Du fameux duc de Foix vous craignez la tendresse;

Vous fuyez la haine et l'amour;

Vous courez la nuit et le jour,
Sans page et fans dame d'atour.

Quel état pour une princesse !
Vous vous expofez tour à tour
A des dangers de toute efpèce.

Théâtre. Tome IX.

F

CONSTANCE.

J'espère que demain, ces dangers, ces malheurs,
De la guerre civile effet inévitable,

Seront au moins fuivis d'un ennui tolérable;
Et je pourrai cacher mes pleurs.

Dans un afile inviolable.

O fort! à quels chagrins me veux-tu réferver ?
De tous côtés infortunée,

Don Pedre aux fers m'avait abandonnée;
Gafton de Foix veut m'enlever.

LEONO R.

Je fuis de vos malheurs comme vous occupée ; Malgré mon humeur gaie ils troublent ma raifon; Mais un enlèvement, ou je fuis fort trompée, Vaut un peu mieux qu'une prifon.

Contre Gafton de Foix quel courroux vous anime?
Il veut finir votre malheur;

Il voit ainfi que nous don Pèdre avec horreur.
Un roi cruel qui vous opprime

Doit vous faire aimer un vengeur.

CONSTANCE.

Je hais Gafton de Foix autant que le roi même.

LEONOR.

Eh pourquoi ? parce qu'il vous aime ?

CONSTANCE.

Lui,

m'aimer nos parens

fe font toujours haïs.

LEONO R.

Belle raifon!

CONS, TANCE.

Son père accabla ma famille.

LEON O R.

Le fils eft moins cruel, Madame, avec la fille;
Et vous n'êtes point faits pour vivre en ennemis..

CONSTANCE.

De tout temps la haine fépare
Le fang de Foix et le fang de Navarre.

LEONOR.

Mais l'amour eft utile aux raccommodemens.
Enfin dans vos raifons je n'entre qu'avec peine ;
Et je ne crois point que la haine

Produife les enlèvemens.

Mais ce beau duc de Foix que votre cœur déteste,

L'avez-vous vu,

Madame ?

CONSTANCE.

Au moins mon fort funeste.

A mes yeux indignés n'a point voulu l'offrir.
Quelque hafard aux fiens m'a pu faire paraître.

LEONO R.

Vous m'avoûrez qu'il faut connaître
Du moins avant que de haïr.

CONSTAN C E.

J'ai juré, Léonor, au tombeau de mon père,
De ne jamais m'unir à ce fang que je hais.

LEONO R.

Serment d'aimer toujours, ou de n'aimer jamais,

Me paraît un peu téméraire.

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Enfin, de peur des rois et des amans hélas !
Vous allez dans un cloître enfermer tant d'appas.

CONSTANCE.

Je vais dans un couvent tranquille,
Loin de Gafton, loin des combats,
Cette nuit trouver un afile.

LEONO R.

Ah! c'était à Burgos, dans votre appartement,
Qu'était en effet le couvent.

Loin des hommes renfermée,

Vous n'avez pas vu feulement
Ce jeune et redoutable amant

Qui vous avait tant alarmée.

Grâce aux troubles affreux dont nos Etats font pleins,
Au moins dans ce château nous voyons des humains.
Le maître du logis, ce baron qui vous prie
A dîner malgré vous, faute d'hôtellerie,
Eft un baron abfurde, ayant affez de bien',
Groffièrement galant avec peu de fcrupule;
Mais un homme ridicule

Vaut peut-être encor mieux que rien.

CONSTANCE.

Souvent dans le loifir d'une heureufe fortune,
Le ridicule amufe; on fe prête à ses traits;
Mais il fatigue, il importune

Les cœurs infortunés et les efprits bien faits.

LEONOR.

Mais un efprit bien fait peut remarquer, je penfe, Ce noble cavalier fi prompt à vous fervir,

Qu'avec tant de refpects, de foins, de complaifance, Au-devant de vos pas nous avons vu venir.

CONSTANCE.

Vous le nommez?

LEONOR.

Je crois qu'il fe nomme Alamir.

CONSTANCE.

Alamir? il paraît d'une toute autre espèce

Que monfieur le baron.

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Oui. J'ai cru même y voir je ne fais quoi de tendre.

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