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L'engloutissement de l'île Atlantide par l'Océan peut être regardé avec autant de raison comme un point d'histoire que comme une fable. Le peu de profondeur de la mer Atlantique jusqu'aux Canaries pourrait être une preuve de ce grand événement; et les îles Canaries pourraient bien être des restes de l'Atlantide.

Platon prétend, dans son Timée, que les prêtres d'Égypte, chez lesquels il a voyagé, conservaient d'anciens registres qui fesaient foi de la destruction de cette île abîmée dans la mer. Cette catastrophe, dit Platon, arriva neuf mille ans avant lui. Personne ne croira cette chronologie sur la foi seule de Platon; mais aussi personne ne peut apporter contre elle aucune preuve physique, ni même aucun témoignage historique tiré des écrivains profanes.

Pline, dans son livre III, dit que de tout temps les peuples des côtes espagnoles méridionales ont cru que la mer s'était fait un passage entre Calpé et Abila: « Indigenæ columnas Herculis vocant, creduntque

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perfossas exclusa antea admisisse maria et rerum « naturæ mutasse faciem. >>

Un voyageur attentif peut se convaincre par ses yeux que les Cyclades, les Sporades, fesaient autrefois partie du continent de la Grèce, et surtout que la Sicile était jointe à l'Apulie. Les deux volcans de l'Etna et du Vésuve, qui ont les mêmes fondements sous la mer, le petit gouffre de Carybde, seul endroit profond de cette mer, la parfaite ressemblance des deux terrains, sont des témoignages non récusables : les déluges de Deucalion et d'Ogygès sont assez con

nus; et les fables inventées d'après cette vérité sont encore l'entretien de tout l'Occident.

Les anciens ont fait mention de plusieurs autres déluges en Asie. Celui dont parle Bérose arriva, selon lui, en Chaldée environ quatre mille trois ou quatre cents ans avant notre ère vulgaire; et l'Asie fut inondée de fables au sujet de ce déluge, autant qu'elle le fut des débordements du Tigre et de l'Euphrate, et de tous les fleuves qui tombent dans le Pont-Euxin *.

Il est vrai que ces débordements ne peuvent couvrir les campagnes que de quelques pieds d'eau; mais la stérilité qu'ils apportent, la destruction des maisons et des ponts, la mort des bestiaux, sont des pertes qui demandent près d'un siècle pour être réparées. On sait ce qu'il en a coûté à la Hollande; elle a perdu plus de la moitié d'elle-même depuis l'an 1050. Il faut encore qu'elle combatte tous les jours contre la mer qui la menace; et elle n'a jamais employé tant de soldats pour résister à ses ennemis, qu'elle emploie de travailleurs à se défendre continuellement des assauts d'une mer toujours prête à l'engloutir.

Le chemin par terre d'Égypte en Phénicie, en cótoyant le lac Sirbon, était autrefois très praticable; il ne l'est plus depuis très long-temps. Ce n'est plus qu'un sable mouvant abreuvé d'une eau croupissante. En un mot, une grande partie de la terre ne serait qu'un vaste marais empoisonné et habité par des monstres, sans le travail assidu de la race humaine.

On ne parlera point ici du déluge universel de Noé. Il suffit de lire la sainte Écriture avec soumission. Le Voyez l'article Déluge universel.

a

déluge de Noé est un miracle incompréhensible, opéré surnaturellement par la justice et la bonté d'une Providence ineffable, qui voulait détruire tout le genre humain coupable, et former un nouveau genre humain innocent. Si la race humaine nouvelle fut plus méchante que la première, et si elle devint plus criminelle de siècle en siècle, et de réforme en réforme; c'est encore un effet de cette Providence dont il est impossible de sonder les profondeurs, et dont nous adorons comme nous le devons les inconcevables mystères, transmis aux peuples d'Occident, depuis quelques siècles, par la traduction latine des Septante. Nous n'entrons jamais dans ces sanctuaires redoutables; nous n'examinons dans nos Questions que la simple nature 1.

CHANT, MUSIQUE, MÉLOPÉE, GESTICULATION,

SALTATION?.

Questions sur ces objets.

Un Turc pourra-t-il concevoir que nous ayons une espèce de chant pour le premier de nos mystères, quand nous le célébrons en musique; une autre espèce, que nous appelons des motets, dans le même temple; une troisième espèce à l'Opéra; une quatrième à l'Opéra-Comique?

De même pouvons-nous imaginer comment les anciens soufflaient dans leurs flûtes, récitaient sur leurs

I

1 Voyez la Dissertation sur les changements arrivés dans le globe (Mélanges, année 1746). B.

2

Questions sur l'Encyclopédie, troisième partie, 1770. B,

théâtres, la tête couverte d'un énorme masque; et comment leur déclamation était notée ?

On promulguait les lois dans Athènes à peu près comme on chante dans Paris un air du Pont-Neuf. Le crieur public chantait un édit en se fesant accompagner d'une lyre.

C'est ainsi qu'on crie dans Paris, la rose et le bouton sur un ton, vieux passements d'argent à vendre sur un autre; mais dans les rues de Paris on se passe de lyre.

Après la victoire de Chéronée, Philippe, père d'Alexandre, se mit à chanter le décret par lequel Démosthène lui avait fait déclarer la guerre, et battit du pied la mesure. Nous sommes fort loin de chanter dans nos carrefours nos édits sur les finances et sur les deux sous pour livre.

Il est très vraisemblable que la mélopée, regardée par Aristote, dans sa Poétique, comme une partie essentielle de la tragédie, était un chant uni et simple comme celui de ce qu'on nomme la préface à la messe, qui est, à mon avis, le chant grégorien, et non l'ambrosien, mais qui est une vraie mélopée.

Quand les Italiens firent revivre la tragédie au seizième siècle, le récit était une mélopée, mais qu'on ne pouvait noter; car qui peut noter des inflexions de voix qui sont des huitièmes, des seizièmes de ton? on les apprenait par cœur. Cet usage fut reçu en France quand les Français commencèrent à former un théâtre, plus d'un siècle après les Italiens. La Sophonisbe de Mairet se chantait comme celle du Trissin, mais plus grossièrement; car on avait alors le gosier

un peu rude à Paris, ainsi que l'esprit. Tous les rôles des acteurs, mais surtout des actrices, étaient notés de mémoire par tradition. Mademoiselle Beauval, actrice du temps de Corneille, de Racine et de Molière, me récita, il y a quelque soixante ans et plus, le commencement du rôle d'Émilie dans Cinna, tel qu'il avait été débité dans les premières représentations par la Beaupré.

Cette mélopée ressemblait à la déclamation d'aujourd'hui beaucoup moins que notre récit moderne ne ressemble à la manière dont on lit la gazette.

Je ne puis mieux comparer cette espèce de chant, cette mélopée, qu'à l'admirable récitatif de Lulli, critiqué par les adorateurs des doubles croches, qui n'ont aucune connaissance du génie de notre langue, et qui veulent ignorer combien cette mélodie fournit de secours à un acteur ingénieux et sensible.

La mélopée théâtrale périt avec la comédienne Duclos, qui n'ayant pour tout mérite qu'une belle voix, sans esprit et sans ame, rendit enfin ridicule ce qui avait été admiré dans la Des OEillets et dans la Champmêlé.

Aujourd'hui on joue la tragédie sèchement : si on ne la réchauffait point par le pathétique du spectacle et de l'action, elle serait très insipide. Notre siècle, recommandable par d'autres endroits, est le siècle de la sécheresse.

Est-il vrai que chez les Romains un acteur récitait, et un autre fesait les gestes?

Ce n'est point par méprise que l'abbé Dubos imagina cette plaisante façon de déclamer. Tite-Live, qui

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