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il, monstre exécrable, tremble! reconnais ce Servet que tu as fait périr par le plus cruel des supplices, parcequ'il avait disputé contre toi sur la manière dont trois personnes peuvent faire une seule substance. Alors tous les juges ordonnèrent que le cardinal de Lorraine serait précipité dans l'abîme, mais que Calvin serait puni plus rigoureusement 1.

Je vis une foule prodigieuse de morts qui disaient: J'ai cru, j'ai cru; mais sur leur front il était écrit, J'ai fait; et ils étaient condamnés.

Le jésuite Le Tellier paraissait fièrement, la bulle Unigenitus à la main. Mais à ses côtés s'éleva tout d'un coup un monceau de deux mille lettres de cachet. Un janséniste y mit le feu: Le Tellier fut brûlé jusqu'aux os; et le janséniste, qui n'avait moins cabalé que le jésuite, eut sa part de la brûlure.

pas

Je voyais arriver à droite et à gauche des troupes de fakirs, de talapoins, de bonzes, de moines blancs, noirs, et gris, qui s'étaient tous imaginé que, pour faire leur cour à l'Être suprême, il fallait ou chanter, ou se fouetter, ou marcher tout nus. J'entendis une voix terrible qui leur demanda : Quel bien avez-vous fait aux hommes? A cette voix succéda un morne silence; aucun n'osa répondre, et ils furent tous conduits aux Petites - Maisons de l'univers : c'est un des plus grands bâtiments qu'on puisse imaginer.

L'un criait, C'est aux métamorphoses de Xaca qu'il faut croire; l'autre, C'est à celles de Sammonocodom. Bacchus arrêta le soleil et la lune, disait celui-ci;

1 Cela n'est pas juste; le cardinal de Lorraine avait allumé plus de buchers que Calvin. K.

Les dieux ressuscitèrent Pélops, disait celui-là; Voici la bulle in Coena Domini, disait un nouveau venu; et l'huissier des juges criait, Aux Petites-Maisons, aux Petites-Maisons!

Quand tous ces procès furent vidés, j'entendis alors promulguer cet arrêt: DE PAR L'ÉTERNEL, CRÉATEUR, CONSERVATEUR, RÉMUNÉRATEUR, VENGEUR, PARDONNEUR, etc., etc., soit notoire à tous les habitants des cent mille millions de milliards de mondes qu'il nous a plu de former, que nous ne jugerons jamais aucun desdits habitants sur leurs idées creuses, mais uniquement sur leurs actions; car telle est notre justice.

J'avoue que ce fut la première fois que j'entendis un tel édit: tous ceux que j'avais lus sur le petit grain de sable où je suis né finissaient par ces mots, Car tel est notre plaisir.

DONATIONS'.

La république romaine, qui s'empara de tant d'états, en donna aussi quelques uns.

Scipion fit Massinisse roi de Numidie.

Lucullus, Sylla, Pompée, donnèrent une demidouzaine de royaumes.

Cléopâtre reçut l'Égypte de César; Antoine, et ensuite Octave, donnèrent le petit royaume de Judée à Hérode.

Sous Trajan, on frappa la fameuse médaille regna assignata, les royaumes accordés.

Des villes, des provinces données en souveraineté à

1 Questions sur l'Encyclopédie, quatrième partie, 1771. B.

des prêtres, à des colléges, pour la plus grande gloire de Dieu ou des dieux, c'est ce qu'on ne voit dans au

cun pays.

Mahomet et les califes ses vicaires prirent beaucoup d'états pour la propagation de leur foi, mais on ne leur fit aucune donation: ils ne tenaient rien que de leur Alcoran et de leur sabre.

La religion chrétienne, qui fut d'abord une société de pauvres, ne vécut long-temps que d'aumônes. La première donation est celle d'Anania et de Saphira sa femme: elle fut en argent comptant, et ne réussit pas aux donateurs.

DONATION DE CONSTANTIN.

La célèbre donation de Rome et de toute l'Italie au pape Silvestre, par l'empereur Constantin, fut soutenue comme une partie du symbole jusqu'au seizième siècle. Il fallait croire que Constantin, étant à Nicomédie, fut guéri de la lèpre à Rome par le baptême qu'il reçut de l'évêque Silvestre (quoiqu'il ne fût point baptisé), et que pour récompense il donna sur-le-champ sa ville de Rome et toutes ses provinces occidentales à ce Silvestre. Si l'acte de cette donation avait été dressé par le docteur de la comédie italienne, il n'aurait pas été plus plaisamment conçu. On ajoute que Constantin déclara tous les chanoines de Rome consuls et patrices, patricios et consules effici; qu'il tint lui-même la bride de la haquenée sur laquelle monta le nouvel empereur évêque, tenentes frenum equi illius 1.

I

Voyez, tome XV, Essai sur les mœurs, page 372, où cette donation se trouve traduite en entier. K.

Quand on fait réflexion que cette belle histoire a été en Italie une espèce d'article de foi, et une opinion révérée du reste de l'Europe pendant huit siècles, qu'on a poursuivi comme des hérétiques ceux qui en doutaient, il ne faut plus s'étonner de rien.

DONATION DE PEPIN.

Aujourd'hui on n'excommunie plus personne pour avoir douté que Pepin l'usurpateur ait donné et pu donner au pape l'exarchat de Ravenne; c'est tout au plus une mauvaise pensée, un péché véniel qui n'entraîne point la perte du corps et de l'ame.

Voici ce qui pourrait excuser les jurisconsultes allemands qui ont des scrupules sur cette donation.

1o Le bibliothécaire Anastase, dont le témoignage est toujours cité, écrivait cent quarante ans après l'événement.

2° Il n'était point vraisemblable que Pepin, mal affermi en France, et à qui l'Aquitaine fesait la guerre, allât donner en Italie des états qu'il avouait appartenir à l'empereur résidant à Constantinople.

3o Le pape Zacharie reconnaissait l'empereur romain-grec pour souverain de ces terres disputées par les Lombards, et lui en avait prêté serment, comme il se voit par les lettres de cet évêque de Rome Zacharie à l'évêque de Mayence Boniface. Donc Pepin ne pouvait donner au pape les terres impériales.

4° Quand le pape Étienne II fit venir une lettre du ciel, écrite de la propre main de saint Pierre à Pepin, pour se plaindre des vexations du roi des Lombards

Astolfe, saint Pierre ne dit point du tout dans sa lettre que Pepin eût fait présent de l'exarchat de Ravenne au pape; et certainement saint Pierre n'y aurait pas manqué, pour peu que la chose eût été seulement équivoil entend trop bien ses intérêts.

que;

5° Enfin, on ne vit jamais l'acte de cette donation; et, ce qui est plus fort, on n'osa pas même en fabriquer un faux. Il n'est pour toute preuve que des récits vagues mêlés de fables. On n'a donc, au lieu de certitude, que des écrits de moines absurdes, copiés de siècle en siècle.

L'avocat italien qui écrivit, en 1722, pour faire voir qu'originairement Parme et Plaisance avaient été concédés au saint-siége comme une dépendance de l'exarchat, assure que « les empereurs grecs furent juste«< ment dépouillés de leurs droits, parcequ'ils avaient «< soulevé les peuples contre Dieu. » C'est de nos jours qu'on écrit ainsi ! mais c'est à Rome. Le cardinal Bellarmin va plus loin : «Les premiers chrétiens, dit-il, <«< ne supportaient les empereurs que parcequ'ils n'é<<< taient pas les plus forts. » L'aveu est franc, et je suis persuadé que Bellarmin a raison.

DONATION DE CHARLEMAGNE.

Dans le temps que la cour de Rome croyait avoir besoin de titres, elle prétendit que Charlemagne avait confirmé la donation de l'exarchat, et qu'il y avait ajouté la Sicile, Venise, Bénévent, la Corse, la Sardaigne. Mais comme Charlemagne ne possédait aucun

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