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se faire lire des savants, des ignorants, des femmes; il a donc dans le style des mérites que n'avait pas Spinosa: souvent de la clarté, quelquefois de l'éloquence, quoiqu'on puisse lui reprocher de répéter, de déclamer, et de se contredire comme tous les autres. Pour le fond des choses, il faut s'en défier très souvent en physique et en morale. Il s'agit ici de l'intérêt du genre humain. Examinons donc si sa doctrine est vraie et utile, et soyons courts si nous pouvons.

a

« L'ordre et le désordre n'existent point, etc. » Quoi! en physique un enfant né aveugle, ou privé de ses jambes, un monstre n'est pas contraire à la nature de l'espèce? N'est-ce pas la régularité ordinaire de la nature qui fait l'ordre, et l'irrégularité qui est le désordre? N'est-ce pas un très grand dérangement, un désordre funeste, qu'un enfant à qui la nature a donné la faim, et a bouché l'œsophage? Les évacuations de toute espèce sont nécessaires, et souvent les conduits manquent d'orifices on est obligé d'y remédier: ce désordre a sa cause, sans doute. Point d'effet sans cause; mais c'est un effet très désordonné.

L'assassinat de son ami, de son frère, n'est-il pas un désordre horrible en morale? Les calomnies d'un Garasse, d'un Le Tellier, d'un Doucin, contre des jansénistes, et celles des jansénistes contre des jésuites; les impostures des Patouillet et Paulian ne sont-elles pas

ral, publié sous le nom de Mirabaud, mais composé par le baron d'Holbach, 1770, deux volumes in-8°. Naigeon, qui en fut l'éditeur, y ajouta un Avis. Une édition de 1820, en deux volumes in-8°, contient des notes et des corrections de Diderot. B.

a Première partie, page 60.

de petits désordres? La Saint-Barthélemi, les massacres d'Irlande, etc., etc., etc., ne sont-ils pas des désordres exécrables? Ce crime à sa cause dans des passions; mais l'effet est exécrable; la cause est fatale; ce désordre fait frémir. Reste à découvrir, si l'on peut, l'origine de ce désordre; mais il existe.

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L'expérience prouve que les matières que nous << regardons comme inertes et mortes, prennent de << l'action, de l'intelligence, de la vie, quand elles sont «< combinées d'une certaine façon.

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C'est là précisément la difficulté. Comment un germe parvient-il à la vie? l'auteur et le lecteur n'en savent rien. De là les deux volumes du Système; et. tous les systèmes du monde ne sont-ils pas des rêves? « Il faudrait définir la vie, et c'est ce que j'estime << impossible. >>

Cette définition n'est-elle pas très aisée, très commune? la vie n'est-elle pas organisation avec sentiment? Mais que vous teniez ces deux propriétés du mouvement seul de la matière, c'est ce dont il est impossible de donner une preuve; et si on ne peut le prouver, pourquoi l'affirmer? pourquoi dire tout haut, Je sais, quand on se dit tout bas, J'ignore?

que

«L'on demandera ce que c'est que l'homme, » etc. Cet article n'est pas assurément plus clair les plus obscurs de Spinosa, et bien des lecteurs s'indigneront de ce ton si décisif que l'on prend sans rien expliquer.

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La matière est éternelle et nécessaire; mais ses

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« formes et ses combinaisons sont passagères et con<< tingentes, >> etc.

Il est difficile de comprendre comment la matière étant nécessaire, et aucun être libre n'existant, selon l'auteur, il y aurait quelque chose de contingent. On entend par contingence ce qui peut être et ne pas être ; mais tout devant être d'une nécessité absolue, toute manière d'être qu'il appelle ici mal à propos contingent, est d'une nécessité aussi absolue que l'être même. C'est là où l'on se trouve encore plongé dans un labyrinthe où l'on ne voit point d'issue.

Lorsqu'on ose assurer qu'il n'y a point de Dieu, que la matière agit par elle-même, par une nécessité éternelle, il faut le démontrer comme une proposition d'Euclide, sans quoi vous n'appuyez votre système que sur un peut-être. Quel fondement pour la chose qui intéresse le plus le genre humain !

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«Si l'homme d'après sa nature est forcé d'aimer << son bien-être, il est forcé d'en aimer les moyens. Il <«< serait inutile et peut-être injuste de demander à un << homme d'être vertueux, s'il ne peut l'être sans se << rendre malheureux. Dès que le vice le rend heureux, « il doit aimer le vice. >>

Cette maxime est encore plus exécrable en morale que les autres ne sont fausses en physique. Quand il serait vrai qu'un homme ne pourrait être vertueux sans souffrir, il faudrait l'encourager à l'être. La proposition de l'auteur serait visiblement la ruine de la société. D'ailleurs, comment saura-t-il qu'on ne peut être heureux sans avoir des vices? n'est-il pas au con

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traire prouvé par l'expérience que la satisfaction de les avoir domptés est cent fois plus grande que le plaisir d'y avoir succombé; plaisir toujours empoisonné, plaisir qui mène au malheur? On acquiert, en domptant ses vices, la tranquillité, le témoignage consolant de sa conscience; on perd, en s'y livrant, son repos, sa santé; on risque tout. Aussi l'auteur lui-même en vingt endroits veut qu'on sacrifie tout à la vertu; et il n'avance cette proposition que pour donner dans son système une nouvelle preuve de la nécessité d'être

vertueux.

a

« Ceux qui rejettent avec tant de raison les idées «< innées...... auraient dû sentir que cette intelligence <<< ineffable que l'on place au gouvernail du monde, et << dont nos sens ne peuvent constater ni l'existence ni « les qualités, est un être de raison. >>

En vérité, de ce que nous n'avons point d'idées innées, comment s'ensuit-il qu'il n'y a point de Dieu ? cette conséquence n'est-elle pas absurde? y a-t-il quelque contradiction à dire que Dieu nous donne des idées par nos sens? n'est-il pas au contraire de la plus grande évidence que s'il est un être tout puissant dont nous tenons la vie, nous lui devons nos idées et nos sens comme tout le reste? Il faudrait avoir prouvé auparavant que Dieu n'existe pas; et c'est ce que l'auteur n'a point fait; c'est même ce qu'il n'a pas encore tenté de faire jusqu'à cette page du chapitre x.

Dans la crainte de fatiguer les lecteurs par l'examen de tous ces morceaux détachés, je viens au fondement du livre, et à l'erreur étonnante sur laquelle il a élevé

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son système. Je dois absolument répéter ici ce qu'on a dit ailleurs.

HISTOIRE DES ANGUILLES SUR LESQUELLES EST FONDÉ
LE SYSTÈME 1.

Il y avait en France, vers l'an 1750, un jésuite anglais, nommé Needham, déguisé en séculier, qui servait alors de précepteur au neveu de M. Dillon, archevêque de Toulouse. Cet homme fesait des expériences de physique, et surtout de chimie.

Après avoir mis de la farine de seigle ergoté dans des bouteilles bien bouchées, et du jus de mouton bouilli dans d'autres bouteilles, il crut que son jus de mouton et son seigle avaient fait naître des anguilles, lesquelles même en reproduisaient bientôt d'autres, et qu'ainsi une race d'anguilles se formait indifféremment d'un jus de viande, ou d'un grain de seigle.

Un physicien qui avait de la réputation, ne douta pas que ce Needham ne fût un profond athée. Il conclut que puisque l'on fesait des anguilles avec de la farine de seigle, on pouvait faire des hommes avec de la farine de froment; que la nature et la chimie produisaient tout; et qu'il était démontré qu'on peut se passer d'un Dieu formateur de toutes choses.

Cette propriété de la farine trompa aisément un homme malheureusement égaré alors dans des idées qui doivent faire trembler pour la faiblesse de l'esprit humain. Il voulait creuser un trou jusqu'au centre de

1 Voltaire avait déjà parlé de Needham et de ses anguilles dans le chapitre xx des Singularités de la nature. (Voyez Mélanges, année 1768.) B. a Maupertuis.

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