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fait ensevelir à prix d'argent des bourgeois riches qui infectent le lieu même où l'on vient adorer Dieu, et où l'encens ne semble brûler que pour déguiser les odeurs des cadavres, tandis que les pauvres pourrissent dans le cimetière attenant, et que les uns et les autres répandent les maladies contagieuses parmi les vivants.

Les empereurs empereurs furent presque les seuls dont les cendres reposèrent dans des monuments érigés à Rome.

Les grands chemins de soixante pieds de large occupent trop de terrain. C'est environ quarante pieds de trop. La France a près de deux cents lieues ou environ de l'embouchure du Rhône au fond de la Bretagne, autant de Perpignan à Dunkerque. En comptant la lieue à deux mille cinq cents toises, cela fait cent vingt millions de pieds carrés pour deux seuls grands chemins, perdus pour l'agriculture. Cette perte est très considérable dans un pays où les récoltes ne sont pas toujours abondantes.

On essaya de paver le grand chemin d'Orléans, qui n'était pas de cette largeur; mais on s'aperçut depuis que rien n'était plus mal imaginé pour une route couverte continuellement de gros chariots. De ces pavés posés tout simplement sur la terre, les uns se baissent, les autres s'élèvent, le chemin devient raboteux, et bientôt impraticable; il a fallu y renoncer.

Les chemins recouverts de gravier et de sable exigent un nouveau travail toutes les années. Ce travail nuit à la culture des terres, et ruine l'agriculteur.

M. Turgot, fils du prévôt des marchands, dont le

nom est en bénédiction à Paris, et l'un des plus éclairés magistrats du royaume et des plus zélés pour le bien public, et le bienfesant M. de Fontette, ont remédié autant qu'ils ont pu à ce fatal inconvénient dans les provinces du Limousin et de la Normandie 1.

On a prétendu qu'on devait, à l'exemple d'Auguste et de Trajan, employer les troupes à la confection des chemins; mais alors il faudrait augmenter la paie du soldat; et un royaume qui n'était qu'une province de l'empire romain, et qui est souvent obéré, peut rarement entreprendre ce que l'empire romain fesait sans peine.

C'est une coutume assez sage dans les Pays-Bas d'exiger de toutes les voitures un péage modique pour l'entretien des voies publiques. Ce fardeau n'est point pesant. Le paysan est à l'abri des vexations. Les chemins y sont une promenade continue très agréable 3. Les canaux sont beaucoup plus utiles. Les Chinois

1 M. Turgot, étant contrôleur-général, obtint de la justice et de la bonté du roi un édit qui abolissait la corvée, et la remplaçait par un impôt général sur les terres. Mais on l'obligea d'exempter les biens du clergé de cet impôt, et d'en établir une partie sur les tailles. Malgré cela, c'était encore un des plus grands biens qu'on pût faire à la nation. Cet édit enregistré au lit de justice n'a subsisté que trois mois. Mais huit ou neuf généralités ont suivi l'exemple de celle de Limoges. On doit aussi à M. Turgot d'avoir restreint la largeur des routes dans les limites convenables. Les chemins qu'il a fait exécuter en Limousin sont des chefs-d'œuvre de construction, et sont formés sur les mêmes principes que les voies romaines dont on retrouve encore quelques restes dans les Gaules; tandis que les chemins faits par corvées, et nécessairement alors très mal construits, exigent d'éternelles réparations qui sont une nouvelle charge pour le peuple. K.

1 Voltaire lui-même, dans le paragraphe vi de son Fragment des instructions pour le prince royal de***. (Voyez les Mélanges, année 1767). B. 3 Fin de l'article en 1770. L'alinéa qui le termine aujourd'hui fut ajouté en 1774. B.

DICTIONN, PHILOS. III.

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surpassent tous les peuples par ces monuments qui exigent un entretien continuel. Louis XIV, Colbert, et Riquet, se sont immortalisés par le canal qui joint les deux mers; on ne les a pas encore imités. Il n'est pas difficile de traverser une grande partie de la France par des canaux. Rien n'est plus aisé en Allemagne que de joindre le Rhin au Danube; mais on a mieux aimé s'égorger et se ruiner pour la possession de quelques villages que de contribuer au bonheur du monde.

CHIEN'.

Il semble que la nature ait donné le chien à l'homme pour sa défense et pour son plaisir. C'est de tous les animaux le plus fidèle: c'est le meilleur ami que puisse avoir l'homme.

Il paraît qu'il y en a plusieurs espèces absolument différentes. Comment imaginer qu'un lévrier vienne originairement d'un barbet? il n'en a ni le poil, ni les jambes, ni le corsage, ni la tête, ni les oreilles, ni la voix, ni l'odorat, ni l'instinct. Un homme qui n'aurait vu, en fait de chiens, que des barbets ou des épagneuls, et qui verrait un lévrier pour la première fois, le prendrait plutôt pour un petit cheval nain que pour un animal de la race épagneule. Il est bien vraisemblable que chaque race fut toujours ce qu'elle est, sauf le mélange de quelques unes en petit nombre.

Il est étonnant que le chien ait été déclaré immonde dans la loi juive, comme l'ixion, le griffon, le lièvre, le porc, l'anguille; il faut qu'il y ait quelque raison

1 Questions sur l'Encyclopédie, troisième partie, 1770. B.

physique ou morale que nous n'ayons pu encore dé

couvrir.

a

Ce qu'on raconte de la sagacité, de l'obéissance, de l'amitié, du courage des chiens, est prodigieux, et est vrai. Le philosophe militaire Ulloa nous assure que dans le Pérou les chiens espagnols reconnaissent les hommes de race indienne, les poursuivent et les déchirent; que les chiens péruviens en font autant des Espagnols. Ce fait semble prouver que l'une et l'autre espèce de chiens retient encore la haine qui lui fut inspirée du temps de la découverte, et que chaque race combat toujours pour ses maîtres avec le même attachement et la même valeur.

Pourquoi donc le mot de chien est-il devenu une injure? on dit par tendresse, mon moineau, ma colombe, ma poule; on dit même mon chat, quoique cet animal soit traître. Et quand on est fâché, on appelle les gens chiens! Les Turcs, même sans être en colère, disent par une horreur mêlée au mépris, les chiens de chrétiens. La populace anglaise, en voyant passer un homme qui par son maintien, son habit, et sa perruque, a l'air d'être né vers les bords de le Seine ou de la Loire, l'appelle communément French dog, chien de Français. Cette figure de rhétorique n'est pas polie, et paraît injuste.

Le délicat Homère introduit d'abord le divin Achille disant au divin Agamemnon, qu'il est impudent comme un chien. Cela pourrait justifier la populace anglaise. Les plus zélés partisans du chien doivent confesser que cet animal a de l'audace dans les yeux; que plua Voyage d'Ulloa au Pérou, livre VI.

sieurs sont hargneux; qu'ils mordent quelquefois des inconnus en les prenant pour des ennemis de leurs maîtres, comme des sentinelles tirent sur les passants qui approchent trop de la contrescarpe. Ce sont là probablement les raisons qui ont rendu l'épithète de chien une injure; mais nous n'osons décider.

Pourquoi le chien a-t-il été adoré ou révéré (comme on voudra) chez les Égyptiens? C'est, dit-on, que le chien avertit l'homme. Plutarque nous apprend qu'après que Cambyse eut tué leur bœuf Apis, et l'eut fait mettre à la broche, aucun animal n'osa manger les restes des convives, tant était profond le respect pour Apis; mais le chien ne fut pas si scrupuleux, il avala du dieu. Les Égyptiens furent scandalisés comme on le peut croire, et Anubis perdit beaucoup de son crédit.

Le chien conserva pourtant l'honneur d'être toujours dans le ciel sous le nom du grand et du petit chien. Nous eûmes constamment les jours caniculaires.

Mais de tous les chiens, Cerbère fut celui qui eut le plus de réputation; il avait trois gueules. Nous avons remarqué que tout allait par trois : Isis, Osiris, et Orus, les trois premières divinités égyptiaques; les trois frères, dieux du monde grec, Jupiter, Neptune, et Pluton; les trois parques; les trois furies; les trois juges d'enfer; les trois gueules du chien de là-bas.

Nous nous apercevons ici avec douleur que nous avons omis l'article des chats; mais nous nous conso

* Plutarque, chap. d'Isis et d'Osiris.

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