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ils le cherchaient tous, et ne le trouvaient pas. Cependant une députation des Églises presbytériennes attendait dans l'antichambre, et un huissier vint les annoncer. Qu'on leur dise que je suis retiré, dit Cromwell, et que je cherche le Seigneur. C'était l'expression dont se servaient les fanatiques, quand ils fesaient leurs prières. Lorsqu'il eut ainsi congédié la bande des ministres, il dit à ses confidents ces propres paroles: « Ces faquins-là croient que nous cherchons le Sei« gneur, et nous ne cherchons que le tire-bouchon. >> Il n'y a guère d'exemple en Europe d'aucun homme qui, venu de si bas, se soit élevé si haut. Mais que lui fallait-il absolument avec tous ses grands talents? la fortune. Il l'eut cette fortune; mais fut-il heureux? Il vécut pauvre et inquiet jusqu'à quarante-trois ans ; il se baigna depuis dans le sang, passa sa vie dans le trouble, et mourut avant le temps à cinquante-sept ans. Que l'on compare à cette vie celle d'un Newton, qui a vécu quatre-vingt-quatre années, toujours tranquille, toujours honoré, toujours la lumière de tous les êtres pensants, voyant augmenter chaque jour sa renommée, sa réputation, sa fortune, sans avoir jamais ni soins ni remords; et qu'on juge lequel a été le mieux partagé.

« O curas hominum, o quantum est in rebus inane!

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PERS., sat. I, vers 1.

SECTION II1.

Olivier Cromwell fut regardé avec admiration par

Dans les Questions sur l'Encyclopédie, 4o partie, 1771, l'article entier se composait de ce qui forme cette seconde section. B.

les puritains et les indépendants d'Angleterre; il est encore leur héros; mais Richard Cromwell son fils est mon homme.

Le premier est un fanatique qui serait sifflé aujourd'hui1 dans la chambre des communes, s'il y prononçait une seule des inintelligibles absurdités qu'il débitait avec tant de confiance devant d'autres fanatiques qui l'écoutaient la bouche béante, et les yeux égarés, au nom du Seigneur. S'il disait qu'il faut chercher le Seigneur, et combattre les combats du Seigneur; s’il introduisait le jargon juif dans le parlement d'Angleterre, à la honte éternelle de l'esprit humain, il serait bien plus près d'être conduit à Bedlam que d'être choisi pour commander des armées.

Il était brave, sans doute; les loups le sont aussi: il y a même des singes aussi furieux que des tigres. De fanatique, il devint politique habile, c'est-à-dire que de loup il devint renard, monta par la fourberie, des premiers degrés où l'enthousiasme enragé du temps l'avait placé, jusqu'au faîte de la grandeur; et le fourbe marcha sur les têtes des fanatiques prosternés. Il régna; mais il vécut dans les horreurs de l'inquiétude. Il n'eut ni des jours sereins ni des nuits tranquilles. Les consolations de l'amitié et de la société n'approchèrent jamais de lui; il mourut avant le temps, plus digne, sans doute, du dernier supplice, que le roi qu'il fit conduire d'une fenêtre de son palais même à l'échafaud.

I

Voyez les articles A PROPOS et FANATISME, section iv; et dans les Mėlanges, année 1734, la septième des Lettres philosophiques; et année 1763, la quatrième fausseté, à la suite des Éclaircissements historiques. B.

Richard Cromwell, au contraire, né avec un esprit doux et sage, refuse de garder la couronne de son père aux dépens du sang de trois ou quatre factieux qu'il pouvait sacrifier à son ambition. Il aime mieux être réduit à la vie privée que d'être un assassin tout puissant. Il quitte le protectorat sans regret, pour vivre en citoyen. Libre et tranquille à la campagne, il y jouit de la santé; il y possède son ame en paix pendant quatre-vingt-dix années, aimé de ses voisins, dont il est l'arbitre et le père.

Lecteurs, prononcez. Si vous aviez à choisir entre le destin du père et celui du fils, lequel prendriez-vous?

CUISSAGE OU CULAGE2.

Droit de prélibation, de marquette, etc.

Dion Cassius, ce flatteur d'Auguste, ce détracteur de Cicéron (parceque Cicéron avait défendu la cause de la liberté), cet écrivain sec et diffus, ce gazetier des bruits populaires, ce Dion Cassius rapporte que des sénateurs opinèrent, pour récompenser César de tout le mal qu'il avait fait à la république, de lui donner le droit de coucher, à l'âge de cinquante-sept ans, avec toutes les dames qu'il daignerait honorer de ses faveurs. Et il se trouve encore parmi nous des gens

I Les éditions de 1770, 1771, in-4o, 1775, portent quatre-vingt-dix. Ce n'est peut-être qu'une faute de copiste ou d'impression. M. Renouard a mis quatre-vingt-six, en mettant en note que « Richard naquit le 4 octobre 1626, «et mourut le 13 juillet 1712.» B.

2 Questions sur l'Encyclopédie, quatrième partie, 1771. B.

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assez bons pour croire cette ineptie. L'auteur même de l'Esprit des Lois la prend pour une vérité, et en parle comme d'un décret qui aurait passé dans le sénat romain, sans l'extrême modestie du dictateur qui se sentit peu propre à remplir les voeux du sénat. Mais si les empereurs romains n'eurent pas ce droit par un sénatus-consulte appuyé d'un plébiscite, il est très vraisemblable qu'ils l'obtinrent par la courtoisie des dames. Les Marc-Aurèle, les Julien, n'usèrent point de ce droit; mais tous les autres l'étendirent autant qu'ils le purent.

Il est étonnant que dans l'Europe chrétienne on ait fait très long-temps une espèce de loi féodale, et que du moins on ait regardé comme un droit coutumier, l'usage d'avoir le pucelage de sa vassale. La première nuit des noces de la fille au vilain appartenait sans contredit au seigneur.

Ce droit s'établit comme celui de marcher avec un oiseau sur le poing, et de se faire encenser à la messe. Les seigneurs, il est vrai, ne statuèrent pas que les femmes de leurs vilains leur appartiendraient, ils se bornèrent aux filles; la raison en est plausible. Les filles sont honteuses, il faut un peu de temps pour les apprivoiser. La majesté des lois les subjugue tout d'un coup; les jeunes fiancées donnaient donc sans résistance la première nuit de leurs noces au seigneur châtelain, ou au baron, quand il les jugeait dignes de cet honneur.

On prétend que cette jurisprudence commença en Écosse; je le croirais volontiers: les seigneurs écossais avaient un pouvoir encore plus absolu sur leurs

clans, que les barons allemands et français sur leurs sujets.

Il est indubitable que des abbés, des évêques, s'attribuèrent cette prérogative en qualité de seigneurs temporels et il n'y a pas bien long-temps que des prélats se sont désistés de cet ancien privilége pour des redevances en argent, auxquelles ils avaient autant de droit qu'aux pucelages des filles.

Mais remarquons bien que cet excès de tyrannie ne fut jamais approuvé par aucune loi publique. Si un seigneur ou un prélat avait assigné par-devant un tribunal réglé une fille fiancée à un de ses vassaux, pour venir lui payer sa redevance, il eût perdu sans doute sa cause avec dépens.

Saisissons cette occasion d'assurer qu'il n'y a jamais eu de peuple un peu civilisé qui ait établi des lois formelles contre les mœurs; je ne crois pas qu'il y en ait un seul exemple. Des abus s'établissent, on les tolère; ils passent en coutume; les voyageurs les prennent pour des lois fondamentales. Ils ont vu, disent-ils, dans l'Asie de saints mahométans bien crasseux marcher tout nus, et de bonnes dévotes venir leur baiser ce qui ne mérite pas de l'être; mais je les défie de trouver dans l'Alcoran une permission à des gueux de courir tout nus, et de faire baiser leur vilenie par des dames.

On me citera, pour me confondre, le Phallum que les Égyptiens portaient en procession, et l'idole Jaganat des Indiens. Je répondrai que cela n'est pas plus contre les mœurs que de s'aller faire couper le prépuce en cérémonie à l'âge de huit ans. On a porté

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