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Il avait été sur le point de faire brûler sa mère pour avoir des confitures.

Tous les chefs d'accusation réunis étaient impossibles. Le présidial de Lyon, sage et éclairé, après avoir déféré à la fureur publique au point de rechercher les preuves les plus surabondantes pour et contre les accusés, les absout pleinement et d'une voix unanime.

Peut-être autrefois aurait-on fait rouer et brûler tous ces accusés innocents, à l'aide d'un monitoire, pour avoir le plaisir de faire ce qu'on appelle une justice, qui est la tragédie de la canaille.

CRIMINALISTE.

Dans les antres de la chicane, on appelle grand criminaliste un barbare en robe qui sait faire tomber les accusés dans le piége, qui ment impudemment pour découvrir la vérité, qui intimide des témoins, et qui les force, sans qu'ils s'en aperçoivent, à déposer contre le prévenu: s'il y a une loi antique et oubliée, portée dans un temps de guerres civiles, il la fait revivre, il la réclame dans un temps de paix. Il écarte, il affaiblit tout ce qui peut servir à justifier un malheureux; il amplifie, il aggrave tout ce qui peut servir à le condamner; son rapport n'est pas d'un juge, mais d'un ennemi. Il mérite d'être pendu à la place du citoyen qu'il fait pendre.

CRIMINELI.

Procès criminel.

On a puni souvent par la mort des actions très innocentes; c'est ainsi qu'en Angleterre Richard III et Édouard IV firent condamner par des juges ceux qu'ils soupçonnaient de ne leur être pas attachés. Ce ne sont pas là des procès criminels, ce sont des assassinats commis par des meurtriers privilégiés. Le dernier degré de la perversité est de faire servir les lois à l'injustice.

On a dit que les Athéniens punissaient de mort tout étranger qui entrait dans l'église, c'est-à-dire dans l'assemblée du peuple. Mais si cet étranger n'était qu'un curieux, rien n'était plus barbare que de le faire mourir. Il est dit dans l'Esprit des Lois qu'on usait de cette rigueur << parceque cet homme usurpait les droits « de la souveraineté.» Mais un Français qui entre à Londres dans la chambre des communes pour entendre ce qu'on y dit, ne prétend point faire le souverain. On le reçoit avec bonté. Si quelque membre de mauvaise humeur demande le Clear the house, Éclaircissez la chambre, mon voyageur l'éclaircit en s'en allant; il n'est point pendu. Il est croyable que si les Athéniens ont porté cette loi passagère, c'était dans un temps où l'on craignait qu'un étranger ne fût un espion, et non qu'il s'arrogeât les droits de souverain. Chaque Athénien opinait dans sa tribu; tous

1 Questions sur l'Encyclopédie, quatrième partie, 1771. B.

a Liv. II, ch. II.

ceux de la tribu se connaissaient; un étranger n'au

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Nous ne parlons ici que des vrais procès criminels. Chez les Romains tout procès criminel était public. Le citoyen accusé des plus énormes crimes avait un avocat qui plaidait en sa présence, qui fesait même des interrogations à la partie adverse, qui discutait tout devant ses juges. On produisait à portes ouvertes tous les témoins pour ou contre, rien n'était secret. Cicéron plaida pour Milon, qui avait assassiné Clodius en plein jour à la vue de mille citoyens. Le même Cicéron prit en main la cause de Roscius Amerinus, accusé de parricide. Un seul juge n'interrogeait pas en secret des témoins, qui sont d'ordinaire des gens de la lie du peuple, auxquels on fait dire ce qu'on veut.

Un citoyen romain n'était pas appliqué à la torture sur l'ordre arbitraire d'un autre citoyen romain qu'un contrat eût revêtu de ce droit cruel. On ne fesait pas cet horrible outrage à la nature humaine dans la personne de ceux qui étaient regardés comme les premiers des hommes, mais seulement dans celle des esclaves regardés à peine comme des hommes. Il eût mieux valu ne point employer la torture contre les esclaves mêmes a.

L'instruction d'un procès criminel se ressentait à Rome de la magnanimité et de la franchise de la nation.

Il en est ainsi à peu près à Londres. Le secours d'un avocat n'y est refusé à personne en aucun cas ; tout le monde est jugé par ses pairs. Tout citoyen

"Voyez l'article TORTURE.

peut de trente-six bourgeois jurés en récuser douze sans cause, douze en alléguant des raisons, et par conséquent choisir lui-même les douze autres pour ses juges. Ces juges ne peuvent aller ni en-deçà, ni au-delà de la loi; nulle peine n'est arbitraire, nul jugement ne peut être exécuté que l'on n'en ait rendu compte au roi, qui peut et qui doit faire grace à ceux qui en sont dignes, et à qui la loi ne la peut faire; ce cas arrive assez souvent. Un homme violemment outragé aura tué l'offenseur dans un mouvement de colère pardonnable; il est condamné par la rigueur de la loi, et sauvé par la miséricorde, qui doit être le partage du souverain.

Remarquons bien attentivement que dans ce pays où les lois sont aussi favorables à l'accusé que terribles pour le coupable, non seulement un emprison nement fait sur la dénonciation fausse d'un accusateur est puni par les plus grandes réparations et les plus fortes amendes ; mais que si un emprisonnement illégal a été ordonné par un ministre d'état à l'ombre de l'autorité royale, le ministre est condamné à payer deux guinées par heure pour tout le temps que le citoyen a demeuré en prison.

PROCÉDURE CRIMINELLE CHEZ CERTAINES NATIONS.

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y a des pays où la jurisprudence criminelle fut fondée sur le droit canon, et même sur les procédures de l'inquisition, quoique ce nom y soit détesté depuis long-temps. Le peuple dans ces pays est demeuré encore dans une espèce d'esclavage. Un citoyen pour

suivi par l'homme du roi est d'abord plongé dans un cachot, ce qui est déjà un véritable supplice pour un homme qui peut être innocent. Un seul juge, avec son greffier, entend secrètement chaque témoin assigné l'un après l'autre.

I

1 Comparons seulement ici en quelques points la procédure criminelle des Romains avec celle d'un pays de l'Occident qui fut autrefois une province romaine.

Chez les Romains, les témoins étaient entendus publiquement en présence de l'accusé, qui pouvait leur répondre, les interroger lui-même, ou leur mettre en tête un avocat. Cette procédure était noble et franche; elle respirait la magnanimité romaine.

En France, en plusieurs endroits de l'Allemagne, tout se fait secrètement. Cette pratique, établie sous François I, fut autorisée par les commissaires qui rédigèrent l'ordonnance de Louis XIV en 1670: une méprise seule en fut la cause.

On s'était imaginé, en lisant le code de testibus, que ces mots : Testes intrare judicii secretum, signifiaient que les témoins étaient interrogés en secret. Mais secretum signifie ici le cabinet du juge. Intrare secretum, pour dire, parler secrètement, ne serait pas latin. Ce fut un solécisme qui fit cette partie de notre jurisprudence.

1 Cet alinéa et quelques-uns des suivants sont empruntés du paragr. xxII du Commentaire sur le traité des délits et des peines (voyez les Mélanges, année 1766); l'auteur les avait déjà reproduits en 1769, dans des additions qu'il fit alors au Précis du Siècle de Louis XV: voyez le chap. XLII de cet ouvrage, tome XXI. B.

DICTIONN. PHILOS. III.

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