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l'étendue et de la solidité comme des sons, des couleurs, des saveurs, des odeurs, etc. Il est clair que ce sont en nous des sentiments excités par la configuration des parties; mais l'étendue n'est point un sentiment. Que ce bois allumé s'éteigne, je n'ai plus chaud; que cet air ne soit plus frappé, je n'entends plus; que cette rose se fane, je n'ai plus d'odorat pour elle : mais ce bois, cet air, cette rose, sont étendus sans moi. Le pa radoxe de Berkeley ne vaut pas la peine d'être réfuté. C'est ainsi que les Zénon d'Élée, les Parménide, argumentaient autrefois; et ces gens-là avaient beaucoup d'esprit ils vous prouvaient qu'une tortue doit aller aussi vite qu'Achille, qu'il n'y a point de mouvement; ils agitaient cent autres questions aussi utiles. La plupart des Grecs jouèrent des gobelets avec la philosophie, et transmirent leurs tréteaux à nos scolastiques. Bayle lui-même a été quelquefois de la bande; il a brodé des toiles d'araignées comme un autre; il argumente, à l'article Zénon, contre l'étendue divisible de la matière et la contiguité des corps; il dit tout ce qu'il ne serait pas permis de dire à un géomètre de six mois.

:

Il est bon de savoir ce qui avait entraîné l'évêque Berkeley dans ce paradoxe. J'eus, il y a long-temps, quelques conversations avec lui; il me dit que l'origine de son opinion venait de ce qu'on ne peut concevoir c'est que ce sujet qui reçoit l'étendue. Et en effet, il triomphe dans son livre, quand il demande à Hilas ce que c'est que ce sujet, ce substratum, cette substance. C'est le corps étendu, répond Hilas. Alors l'évêque, sous le nom de Philonoüs, se moque de lui;

ce que

et le pauvre Hilas voyant qu'il a dit que l'étendue est le sujet de l'étendue, et qu'il a dit une sottise, demeure tout confus, et avoue qu'il n'y comprend rien; qu'il n'y a point de corps, que le monde matériel n'existe pas, qu'il n'y a qu'un monde intellectuel.

Hilas devait dire seulement à Philonous : Nous ne savons rien sur le fond de ce sujet, de cette substance étendue, solide, divisible, mobile, figurée, etc.; je ne la connais pas plus que le sujet pensant, sentant et voulant; mais ce sujet n'en existe pas moins, puisqu'il a des propriétés essentielles dont il ne peut être dépouillé 1.

Nous sommes tous comme la plupart des dames de Paris, elles font grande chère sans savoir ce qui entre dans les ragoûts; de même nous jouissons des corps sans savoir ce qui les qui les compose. De quoi est fait le corps? de parties, et ces parties se résolvent en d'autres parties. Que sont ces dernières parties? toujours des corps; vous divisez sans cesse, et vous n'avancez jamais.

Enfin, un subtil philosophe, remarquant qu'un tableau est fait d'ingrédients dont aucun n'est un tableau, et une maison de matériaux dont aucun n'est une maison, imagina que les corps sont bâtis d'une infinité de petits êtres qui ne sont pas corps; et cela s'appelle des monades. Ce système ne laisse pas d'a

1

1 Voyez sur cet objet l'article EXISTENCE dans l'Encyclopédie; c'est le seul ouvrage où la question de l'existence des objets extérieurs ait été bien éclaircie, et où l'on trouve les principes qui peuvent conduire à la résoudre. K.

- L'article EXISTENCE dont il est question dans cette note est du chevalier de Jaucourt. B.

voir son bon, et s'il était révélé, je le croirais très possible; tous ces petits êtres seraient des points mathématiques, des espèces d'ames qui n'attendraient qu'un habit pour se mettre dedans : ce serait une métempsycose continuelle. Ce système en vaut bien un autre; je l'aime bien autant que la déclinaison des atomes, les formes substantielles, la grace versatile, et les vampires 1.

COURTISANS LETTRES 2.

COUTUMES 3.

Il y a, dit-on, cent quarante-quatre coutumes en France qui ont force de loi; ces lois sont presque toutes différentes. Un homme qui voyage dans ce pays change de loi presque autant de fois qu'il change de chevaux de poste. La plupart de ces coutumes ne commencèrent à

être rédigées par écrit que du temps de Charles VII; la grande raison, c'est qu'auparavant très peu de gens savaient écrire. On écrivit donc une partie d'une partie de la coutume de Ponthieu; mais ce grand ouvrage ne fut achevé par les Picards que sous Charles VIII. Il n'y en eut que seize de rédigées du temps de Louis XII. Enfin, aujourd'hui la jurisprudence s'est tellement perfectionnée, qu'il n'y a guère de coutume qui n'ait plusieurs commentateurs; et tous, comme on croit

1 Dans l'édition de 1764 on lisait : « Et les vampires de dom Calmet, » B. 2 Cet article se composait de la xxo des Lettres philosophiques (Sur les seigneurs qui cultivent les lettres).

3 Questions sur l'Encyclopédie, quatrième partie, 1771, B.

bien, d'un avis différent. Il y en a déjà vingt-six sur la coutume de Paris. Les juges ne savent auquel entendre; mais mais pour les mettre à leur aise, on vient de faire la coutume de Paris en vers1. C'est ainsi qu'autrefois la prêtresse de Delphes rendait ses oracles.

Les mesures sont aussi différentes que les coutumes; de sorte que ce qui est vrai dans le faubourg de Montmartre, devient faux dans l'abbaye de Saint-Denys, Dieu ait pitié de nous !

CREDO, voyez SYMBOLE.

CRIMES OU DÉLITS DE TEMPS ET DE LIEU2,

Un Romain tue malheureusement en Égypte un chat consacré; et le peuple en fureur punit ce sacrilége en déchirant le Romain en pièces. Si on avait mené ce Romain au tribunal, et si les juges avaient eu le sens commun, ils l'auraient condamné à demander pardon aux Égyptiens et aux chats, à payer une forte amende, soit en argent, soit en souris. Ils lui auraient dit qu'il faut respecter les sottises du peuple quand on n'est pas assez fort pour les corriger.

Le vénérable chef de la justice lui aurait parlé à peu près ainsi : Chaque pays a ses impertinences légales, et ses délits de temps et de lieu. Si dans votre Rome, devenue souveraine de l'Europe, de l'Afrique, et de

* La Coutume de Paris en vers français (par Garnier Des Chesnes, ancien notaire, mort en 1812) avait paru en 1769, petit in-12. B.

2 Questions sur l'Encyclopédie, quatrième partie, 1771. Voyez aussi Dé

LITS LOCAUX. B.

l'Asie-Mineure, vous alliez tuer un poulet sacré dans le temps qu'on lui donne du grain pour savoir au juste la volonté des dieux, vous seriez sévèrement puni. Nous croyons que vous n'avez tué notre chat que par mégarde. La cour vous admoneste. Allez en paix; soyez plus circonspect.

C'est une chose très indifférente d'avoir une statue dans son vestibule : mais si, lorsque Octave surnommé Auguste était maître absolu, un Romain eût placé chez lui une statue de Brutus, il eût été puni comme séditieux. Si un citoyen avait, sous un empereur régnant, la statue du compétiteur à l'empire, c'était, disait-on, un crime de lèse-majesté, de haute trahison.

Un Anglais ne sachant que faire, s'en va à Rome; il rencontre le prince Charles-Édouard chez un cardinal; il en est fort content. De retour chez lui, il boit dans un cabaret à la santé du prince Charles-Édouard. Le voilà accusé de haute trahison. Mais qui a-t-il trahi hautement, lorsqu'il a dit, en buvant, qu'il souhaitait que ce prince se portât bien? S'il a conjuré pour le mettre sur le trône, alors il est coupable envers la nation: mais jusque-là on ne voit pas que on ne voit pas que dans l'exacte justice le parlement puisse exiger de lui autre chose que de boire quatre coups à la santé de la maison de Hanovre, s'il en a bu deux à la santé de la maison de Stuart.

DES CRIMES DE TEMPS ET DE LIEU QU'ON DOIT IGNORER.

On sait combien il faut respecter Notre-Dame de Lorette, quand on est dans la Marche d'Ancône, Trois jeunes gens y arrivent; ils font de mauvaises plaisan

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