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horreur la sainte religion qu'il devait prêcher et aimer; et, n'écoutant plus que sa raison séduite, il abjura le christianisme par un testament olographe, dont il laissa trois copies à sa mort, arrivée en 1732. L'extrait de ce testament a été imprimé plusieurs fois, et c'est un scandale bien cruel. Un curé qui demande pardon à Dieu et à ses paroissiens, en mourant, de leur avoir enseigné des dogmes chrétiens! un curé charitable qui a le christianisme en exécration, parceque plusieurs chrétiens sont méchants, que le faste de Rome le révolte, et que les difficultés des saints livres l'irritent! un curé qui parle du christianisme comme Porphyre, Jamblique, Épictète, Marc-Aurèle, Julien ! et cela lorsqu'il est prêt de paraître devant Dieu! Quel coup funeste pour ceux que son exemple peut égarer!

pour

lui et

C'est ainsi que le malheureux prédicant Antoine 2, trompé par les contradictions apparentes qu'il crut voir entre la nouvelle loi et l'ancienne, entre l'olivier franc et l'olivier sauvage, eut le malheur de quitter la religion chrétienne pour la religion juive; et, plus hardi que Jean Meslier, il aima mieux mourir que se rétracter.

On voit, par le testament de Jean Meslier, que c'étaient surtout les contrariétés apparentes des Évangiles qui avaient bouleversé l'esprit de ce malheureux

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Voyez cet Extrait du testament de Meslier dans les Mélanges, année 1762. B.

2 Voyez l'article MIRACLES, section rv, et dans les Mélanges, année 1766, le paragraphe vir du Commentaire sur le livre des délits et des peines. B.

pasteur, d'ailleurs d'une vertu rigide, et qu'on ne peut regarder qu'avec compassion. Meslier est profondément frappé des deux généalogies qui semblent se combattre; il n'en avait pas vu la conciliation; il se soulève, il se dépite, en voyant que saint Matthieu fait aller le père, la mère, et l'enfant en Égypte, après avoir reçu l'hommage des trois mages ou rois d'Orient, et pendant que le vieil Hérode, craignant d'être détrôné par un enfant qui vient de naître à Bethléem, fait égorger tous les enfants du pays pour prévenir cette révolution. Il est étonné que ni saint Luc, ni'saint Jean, ni saint Marc, ne parlent de ce massacre. Il est confondu quand il voit que saint Luc fait rester saint Joseph, la bienheureuse vierge Marie, et Jésus notre Sauveur, à Bethléem, après quoi ils se retirèrent à Nazareth. Il devait voir que la sainte famille pouvait aller d'abord en Égypte, et quelque temps après à Nazareth sa patrie.

Si saint Matthieu seul parle des trois mages et de l'étoile qui les conduisit du fond de l'Orient à Bethléem, et du massacre des enfants; si les autres évangélistes n'en parlent pas, ils ne contredisent point saint Matthieu; le silence n'est point une contradiction.

Si les trois premiers évangélistes, saint Matthieu, saint Marc et saint Luc, ne font vivre Jésus-Christ que trois mois depuis son baptême en Galilée jusqu'à son supplice à Jérusalem; et si saint Jean le fait vivre trois ans et trois mois, il est aisé de rapprocher saint Jean des trois autres évangélistes, puisqu'il ne dit point expressément que Jésus-Christ prêcha en Gali

lée pendant trois ans et trois mois, et qu'on l'infère seulement de ses récits. Fallait-il renoncer à sa religion sur de simples inductions, sur de simples raisons de controverse, sur des difficultés de chronologie?

Il est impossible, dit Meslier, d'accorder saint Matthieu et saint Luc, quand le premier dit que Jésus en sortant du désert alla à Capharnaum, et le second qu'il alla à Nazareth.

Saint Jean dit que ce fut André qui s'attacha le premier à Jésus-Christ; les trois autres évangélistes disent que ce fut Simon Pierre.

Il prétend encore qu'ils se contredisent sur le jour où Jésus célébra sa pâque, sur l'heure de son supplice, sur le lieu, sur le temps de son apparition, de sa résurrection. Il est persuadé que des livres qui se contredisent ne peuvent être inspirés par le Saint-Esprit; mais il n'est pas de foi que le Saint-Esprit ait inspiré toutes les syllabes; il ne conduisit pas la main de tous les copistes, il laissa agir les causes secondes : c'était bien assez qu'il daignât nous révéler les principaux mystères, et qu'il instituât dans la suite des temps une Église pour les expliquer. Toutes ces contradictions, reprochées si souvent aux Évangiles avec une si grande amertume, sont mises au grand jour par les sages commentateurs; loin de se nuire, elles s'expliquent chez eux l'une par l'autre; elles se prêtent un mutuel secours dans les concordances, et dans l'harmonie des quatre Évangiles.

Et s'il y a plusieurs difficultés qu'on ne peut expliquer, des profondeurs qu'on ne peut comprendre, des aventures qu'on ne peut croire, des prodiges qui

révoltent la faible raison humaine, des contradictions qu'on ne peut concilier, c'est pour exercer notre foi, et pour humilier notre esprit.

CONTRADICTIONS DANS LES JUGEMENTS SUR LES OUVRAGES.

J'ai quelquefois entendu dire d'un bon juge plein de goût: Cet homme ne décide que par humeur; il trouvait hier le Poussin un peintre admirable; aujourd'hui il le trouve très médiocre. C'est que le Poussin en effet a mérité de grands éloges et des critiques.

On ne se contredit point quand on est en extase devant les belles scènes d'Horace et de Curiace, du Cid et de Chimène, d'Auguste et de Cinna, et qu'on voit ensuite, avec un soulèvement de cœur mêlé de la plus vive indignation, quinze tragédies de suite sans aucun intérêt, sans aucune beauté, et qui ne sont pas même écrites en français.

C'est l'auteur qui se contredit : c'est lui qui a le malheur d'être entièrement différent de lui-même. Le juge se contredirait, s'il applaudissait également l'excellent et le détestable. Il doit admirer dans Homère la peinture des Prières qui marchent après l'Injure, les yeux mouillés de pleurs; la ceinture de Vénus; les adieux d'Hector et d'Andromaque; l'entrevue d’Achille et de Priam. Mais doit-il applaudir de même à des dieux qui se disent des injures, et qui se battent; à l'uniformité des combats qui ne décident rien; à la brutale férocité des héros; à l'avarice qui les domine presque tous; enfin à un poëme qui finit par une trève

de onze jours, laquelle fait sans doute attendre la continuation de la guerre et la prise de Troie, que cependant on ne trouve point?

Le bon juge passe souvent de l'approbation au blâme, quelque bon livre qu'il puisse lire1.

CONTRASTE2.

Contraste; opposition de figures, de situations, de fortune, de mœurs, etc. Une bergère ingénue fait un beau contraste dans un tableau avec une princesse orgueilleuse. Le rôle de l'Imposteur et celui de Cléante font un contraste admirable dans le Tartufe.

Le petit peut contraster avec le grand dans la peinture, mais on ne peut dire qu'il lui est contraire. Les oppositions de couleurs contrastent; mais aussi il y a des couleurs contraires les unes aux autres, c'est-àdire qui font un mauvais effet parcequ'elles choquent les yeux lorsqu'elles sont rapprochées.

Contradictoire ne peut se dire que dans la dialectique. Il est contradictoire qu'une chose soit et ne soit pas, qu'elle soit en plusieurs lieux à-la-fois, qu'elle soit d'un tel nombre, d'une telle grandeur, et qu'elle n'en soit pas. Cette opinion, ce discours, cet arrêt, sont contradictoires.

Les diverses fortunes de Charles XII ont été contraires, mais non pas contradictoires; elles forment dans l'histoire un beau contraste.

C'est un grand contraste, et ce sont deux choses

Voyez l'article Gout.

I

2

Questions sur l'Encyclopédie, quatrième partie, 1771. B.

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