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pliqué en grec dans tous ces pays-là. Il eût paru plus naturel aux faibles lumières des hommes que ce signe eût paru en Italie le jour de la bataille; mais alors il eût fallu que l'inscription eût été en latin. Un savant antiquaire, nommé Loisel, a réfuté cette antiquité; mais on l'a traité de scélérat.

On pourrait cependant considérer que cette guerre n'était pas une guerre de religion, que Constantin n'était pas un saint, qu'il est mort soupçonné d'être arien, après avoir persécuté les orthodoxes; et qu'ainsi on n'a pas un intérêt bien évident à soutenir ce prodige.

Après sa victoire, le sénat s'empressa d'adorer le vainqueur et de détester la mémoire du vaincu. On se hâta de dépouiller l'arc de triomphe de Marc-Aurèle, pour orner celui de Constantin; on lui dressa une statue d'or, ce qu'on ne fesait que pour les dieux; il la reçut malgré le Labarum, et reçut encore le titre de grand-pontife, qu'il garda toute sa vie. Son premier soin, à ce que disent Zonare et Zosime, fut d'exterminer toute la race du tyran et ses principaux amis; après quoi il assista très humainement aux spectacles et aux jeux publics.

Le vieux Dioclétien était mourant alors dans sa retraite de Salone. Constantin aurait pu ne se pas tant presser d'abattre ses images dans Rome; il eût pu se souvenir que cet empereur oublié avait été, le bienfaiteur de son père, et qu'il lui devait l'empire. Vainqueur de Maxence, il lui restait à se défaire de Licinius son beau-frère, auguste comme lui; et Licinius songeait à se défaire de Constantin, s'il pouvait. Ce

pendant leurs querelles n'éclatant pas encore, ils donnèrent conjointement, en 313, à Milan, le fameux édit de liberté de conscience. « Nous donnons, disent-ils, à <<< tout le monde la liberté de suivre telle religion que «< chacun voudra, afin d'attirer la bénédiction du ciel «< sur nous et sur tous nos sujets; nous déclarons que << nous avons donné aux chrétiens la faculté libre et << absolue d'observer leur religion; bien entendu que <<< tous les autres auront la même liberté, pour mainte« nir la tranquillité de notre règne. » On pourrait faire un livre sur un tel édit; mais je ne veux pas seulement y hasarder deux lignes.

Constantin n'était pas encore chrétien. Licinius, son collègue, ne l'était pas non plus. Il y avait encore un empereur ou un tyran à exterminer; c'était un païen déterminé, nommé Maximin. Licinius le combattit avant de combattre Constantin. Le ciel lui fut encore plus favorable qu'à Constantin même; car celui-ci n'avait eu que l'apparition d'un étendard, et Licinius eut celle d'un ange. Cet ange lui apprit une prière avec laquelle il vaincrait sûrement le barbare Maximin. Licinius la mit par écrit, la fit réciter trois fois à son armée, et remporta une victoire complète. Si ce Licinius, beau-frère de Constantin, avait régné heureusement, on n'aurait parlé que de son ange: mais Constantin l'ayant fait pendre, ayant égorgé son jeune fils, étant devenu maître absolu de tout, on ne parle que du Labarum de Constantin.

On croit qu'il fit mourir son fils aîné Crispus, et sa femme Fausta, la même année qu'il assembla le concile de Nicée. Zosime et Sozomène prétendent que les

DICTIONN. PHILOS. III.

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prêtres des dieux lui ayant dit qu'il n'y avait pas d'expiations pour de si grands crimes, il fit alors profession ouverte du christianisme, et démolit plusieurs temples dans l'Orient. Il n'est guère vraisemblable que des pontifes païens eussent manqué une si belle occasion d'amener à eux leur grand-pontife qui les abandonnait. Cependant il n'est pas impossible qu'il s'en fût trouvé quelques uns de sévères; il y a partout des hommes difficiles. Ce qui est bien plus étrange, c'est que Constantin chrétien n'ait fait aucune pénitence de ses parricides. Ce fut à Rome qu'il commit cette barbarie; et depuis ce temps le séjour de Rome lui devint odieux; il la quitta pour jamais, et alla fonder Constantinople. Comment ose-t-il dire dans un de ses rescrits, qu'il transporte le siége de l'empire à Constantinople par ordre de Dieu même? n'est-ce pas se jouer impudemment de la Divinité et des hommes? Si Dieu lui avait donné quelque ordre, ne lui aurait-il pas donné celui de ne point assassiner sa femme et son fils?

Dioclétien avait déjà donné l'exemple de la translation de l'empire vers les côtes de l'Asie. Le faste, le despotisme et les mœurs asiatiques effarouchaient encore les Romains, tout corrompus et tout esclaves qu'ils étaient. Les empereurs n'avaient osé se faire baiser les pieds dans Rome, et introduire une foule d'eunuques dans leurs palais; Dioclétien commença dans Nicomédie, et Constantin acheva dans Constantinople, de mettre la cour romaine sur le pied de celle des Perses. Rome languit dès-lors dans la décadence. L'ancien esprit romain tomba avec elle. Ainsi Cons

tantin fit à l'empire le plus grand mal qu'il pouvait lui faire.

De tous les empereurs ce fut sans contredit le plus absolu. Auguste avait laissé une image de liberté ; Tibère, Néron même, avaient ménagé le sénat et le peuple romain : Constantin ne ménagea personne. Il avait affermi d'abord sa puissance dans Rome, en cassant ces fiers prétoriens, qui se croyaient les maîtres des empereurs. Il sépara entièrement la robe et l'épée. Les dépositaires des lois, écrasés alors par le militaire, ne furent plus que des jurisconsultes esclaves. Les provinces de l'empire furent gouvernées sur un plan

nouveau.

La grande vue de Constantin était d'être le maître en tout; il le fut dans l'Église comme dans l'état. On le voit convoquer et ouvrir le concile de Nicée, entrer au milieu des Pères tout couvert de pierreries, le diadème sur la tête, prendre la première place, exiler indifféremment tantôt Arius, tantôt Athanase. Il se mettait à la tête du christianisme sans être chrétien : car c'était ne pas l'être dans ce temps-là, que de n'être pas baptisé; il n'était que catéchumène. L'usage même d'attendre les approches de la mort pour se faire plonger dans l'eau de régénération, commençait à s'abolir pour les particuliers. Si Constantin, en différant son baptême jusqu'à la mort, crut pouvoir tout faire impunément dans l'espérance d'une expiation entière, il était triste pour le genre humain qu'une telle opinion eût été mise dans la tête d'un homme tout puissant.

CONTRADICTIONS.

SECTION PREMIÈRE.

Plus on voit ce monde, et plus on le voit plein de contradictions et d'inconséquences. A commencer par le Grand-Turc, il fait couper toutes les têtes qui lui déplaisent, et peut rarement conserver la sienne.

Si du Grand-Turc nous passons au Saint-Père, il confirme l'élection des empereurs, il a des rois pour vassaux, mais il n'est pas si puissant qu'un duc de Savoie. Il expédie des ordres pour l'Amérique et pour l'Afrique, et il ne pourrait pas ôter un privilége à la république de Lucques. L'empereur est roi des Romains; mais le droit de leur roi consiste à tenir l'étrier du pape, et à lui donner à laver à la messe.

Les Anglais servent leur monarque à genoux, mais ils le déposent, l'emprisonnent, et le font périr sur l'échafaud.

Des hommes qui font vœu de pauvreté, obtiennent, en vertu de ce vou, jusqu'à deux cent mille écus de rente, et, en conséquence de leur vœu d'humilité, sont des souverains despotiques. On condamne hautement à Rome la pluralité des bénéfices avec charge d'ames; et on donne tous les jours des bulles à un Allemand pour cinq ou six évêchés à-la-fois. C'est, dit-on, que

1 Ce morceau est imprimé dans le tome V de l'édition de 1742 des OEuvres de Voltaire. L'auteur le comprit dans son édition de 1756 parmi les Mélanges, 3o partie. Ce sont les éditeurs de Kehl qui l'ont placé ici.

On peut voir dans les Mélanges de la présente édition, année 1727, un fragment sur les contradictions, qui, disent les éditeurs de Kehl, semble avoir fait partie d'une lettre écrite d'Angleterre. B.

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