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de ses citoyens; et les rois mêmes pressèrent son retour, sentant bien qu'ils avaient besoin de son autorité pour contenir le peuple dans le devoir et dans l'obéissance. Dès qu'il fut retourné à Sparte, il travailla à changer toute la forme du gouvernement, persuadé que quelques lois particulières ne produiraient pas un grand effet.

Mais, avant que d'exécuter son dessein, il alla à Delphes pour consulter Apollon; et, après avoir offert son sacrifice, il reçut cet oracle si célèbre, dans lequel la prêtresse l'appelait ami des dieux, et Dieu plutot qu'homme1. Et quant à la grace qu'il avait demandée de pouvoir établir de bonnes lois dans son pays, elle lui déclarait que le dieu avait exaucé ses prières, et que la république qu'il allait former serait la plus excellente république qui eût jamais été.

Étant revenu à Lacédémone, il commença par gagner les principaux de la ville, à qui il communiqua ses vues; et s'etant assuré de leur consentement, il vint dans la place publique accompagné de gens armés, pour étonner et pour intimider ceux qui voudraient s'opposer à son entreprise.

On peut rappeler à trois principaux établissements la nouvelle forme de gouvernement qu'il introduisit à Lacédémone.

Premier établissement: Sénat.

[Plut. in Lycurg., $5.

Herodot. I, 0 65 ; Xenoph. Apol. Socrat., $15.]

De tous les nouveaux établissements de Lycurgue, Pag. 42. le plus grand et le plus considérable fut celui du sénat, lequel, comme dit Platon, tempérant la puissance trop absolue des rois par une autorité égale à la leur, fut

la principale cause du salut de cet état. Car, au lieu qu'auparavant il était toujours chancelant, et qu'il penchait tantôt vers la tyrannie par la violence des rois, tantôt vers la démocratie par le pouvoir trop absolu du peuple, ce sénat lui servit comme d'un contre-poids qui le maintint dans l'équilibre, et qui lui donna une assiette ferme et assurée, les vingt-huit sénateurs qui le composaient se rangeant du côté des rois quand le peuple voulait se rendre trop puissant, et fortifiant au contraire le parti du peuple quand les rois voulaient porter trop loin leur autorité.

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Lycurgue ayant ainsi tempéré le gouvernement, ceux qui vinrent après lui trouvèrent la puissance des trente, qui composaient le sénat, encore trop forte et trop absolue, c'est pourquoi il lui donnèrent un frein, en lui opposant l'autorité des éphores 2, environ cent Aristot. 1.2, trente ans après Lycurgue 3. Les éphores étaient au p. 321. [c.7.] nombre de cinq, et ne demeuraient qu'un an en charge. Ils étaient tous tirés du peuple, et par là ressemblaient assez aux tribuns du peuple chez les Romains. Ils avaient droit de faire arrêter les rois, et de les faire mener en prison, comme cela arriva à l'égard de Pausanias. Ce fut sous le roi Théopompe que commencèrent

de rep.

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les éphores. Sa femme lui ayant reproché qu'il laisserait à ses enfants la royauté beaucoup moindre qu'il ne l'avait reçue, il lui répondit: Au contraire, je la leur laisserai plus grande, parce qu'elle sera plus durable.

Le gouvernement de Lacédémone n'était donc pas purement monarchique; les grands y avaient beaucoup de part, et le peuple n'en était pas exclu . Toutes les parties de ce corps politique, à mesure quelles conspiraient au bien général, y trouvaient le leur; en sorte que, malgré l'inquiétude et l'inconstance du cœur humain, qui soupire toujours après le changement et ne se guérit jamais de son dégoût pour l'uniformité, Lacédémone, pendant plusieurs siècles, se maintint dans l'observation de ses lois.

Second établissement: Partage des terres, et décri de la monnaie d'or et d'argent.

pag. 44.

Le second établissement de Lycurgue et le plus hardi Plut. in Lyc. fut le partage des terres 2. Il le jugea absolument nécessaire pour rétablir dans la république la paix et le bon ordre. La plupart des habitants du pays étaient si pauvres, qu'ils n'avaient pas un seul pouce de terre, et tout le bien se trouvait entre les mains d'un petit nombre de particuliers. Pour bannir donc l'insolence, l'envie, la fraude, le luxe, et deux autres maladies du

1 On a vu plus haut, d'après Aristote, que ce gouvernement avait de grands rapports avec celui de Carthage (tome I, pag. 151). — L.

2 Platon nous dit que les Héraclides, lorsqu'ils s'établirent dans le Péloponnèse, firent un partage égal

des terres (De Leg. III, pag. 684 ).
S'il en est ainsi, Lycurgue avait en
quelque sorte une autorité historique
pour appuyer le partage des terres :
et cette grande mesure perd un peu
de sa hardiesse.

- L.

[Plut. Apophth. Lacon.c.12.]

gouvernement encore plus anciennes et plus grandes que celles-là, je veux dire l'indigence et les excessives richesses, il persuada à tous les citoyens de remettre leurs terres en commun, et d'en faire un nouveau partage, pour vivre ensemble dans une parfaite égalité, ne donnant les prééminences et les honneurs qu'à la vertu et au mérite.

Cela fut aussitôt exécuté. Il partagea les terres de la Laconie en trente mille parts, qu'il distribua à ceux de la campagne, et il fit neuf mille parts du territoire de Sparte, qu'il distribua à autant de citoyens. On dit que, quelques années après, Lycurgue, au retour d'un long voyage, traversant les terres de la Laconie qui venaient d'être moissonnées, et voyant les tas de gerbes parfaitement égaux, il se tourna vers ceux qui l'accompagnaient et leur dit en riant: Ne semble-t-il pas que la Laconie soit l'héritage de plusieurs frères qui viennent de faire leurs partages?

Après les immeubles, il entreprit de leur faire aussi partager également les autres biens, pour achever de bannir d'entre eux toute sorte d'inégalité; mais, voyant qu'ils le supporteraient avec plus de peine s'il s'y prenait ouvertement, il y procéda par une autre voie en sapant l'avarice par les fondements '; car premièrement il décria toutes les monnaies d'or et d'argent, et ordonna qu'on ne se servirait que de monnaie de fer,

1 Il prit encore un autre moyen: il ordonna que personne ne pourrait refuser à qui les demanderait les objets dont on ne se servait point dans le moment : et même qu'on pourrait prendre chez son voisin les choses dont on aurait besoin, sans les de

mander, à la seule condition de les rendre non endommagées. (XENOPH. (Rep. Laced. VI, § 3; ARISTOT. Politic. II, cap. 2, § 5. Ed. Schneid.) C'est ainsi que Lycurgue parvint à détruire la propriété. — L.

qu'il fit d'un si grand poids et d'un si bas prix, qu'il fallait une charrette à deux boeufs pour porter une somme de dix mines, et une chambre entière pour la

serrer.

De plus, il chassa de Sparte tous les arts inutiles et superflus; mais, quand il ne les aurait pas chassés, la plupart seraient tombés d'eux-mêmes, et auraient disparu avec l'ancienne monnaie, parce que les artisans ne trouvaient pas à se défaire de leurs ouvrages, et que cette monnaie de fer n'avait point de cours chez les autres Grecs, qui, bien loin de l'estimer, s'en moquaient et en faisaient des railleries.

Troisième établissement: Repas publics.

Lycurgue, voulant encore faire plus vivement la à la mollesse et au luxe et achever de déraciner guerre l'amour des richesses, fit un troisième établissement; ce fut celui des repas. Pour en écarter toute somptuosité et toute magnificence, il ordonna que tous les citoyens mangeraient ensemble des mêmes viandes qui

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Lycurgue fit en sorte, dit Plutarque (Apophthegm. Lacon. c. XI, $ 3, Ed. Gierig), qu'une valeur de 4 chalques fût représentée par un poids d'une mine éginétique. Cette mine pesait environ 727 grammes; le chalque était le 6o de l'obole, contenue 6 fois dans la drachme, qui était la 100 partie de la mine il s'ensuit que 10 mines contenaient 9000 fois 4 chalques ; et conséquemment pesaient 6,543 kilogrammes: il ne faut pas moins de deux bœufs pour trainer un tel poids.

Quelque surprenant que puisse paraître ce fait; il est confirmé par

Xénophon (Republ. Laced. VII,
S5), par Eschines le socratique
(Dialog. de divit. § 24 ), par Po-
lybe (VI, 49, § 8), qui parlent de
cette lourde monnaie de fer.

Les Byzantins se servirent aussi
d'une pareille monnaie, selon Platon
le comique qui s'exprime ainsi :

Χαλεπῶς ἂν οἰκήσαιμεν ἐν Βυζαν
τίαις

ὅπου σιδαρέαισι νῦν νομίσμασι
Χρῶνται.

(HESYCHIUS, SUIDAS, POLLUX,
etc. L.

Aristot. 1. 2, de rep.

p. 45. [c.7.]

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