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In Artax. p. 1013.

Benef. c. 12;

Quelques rois d'Orient, croyant par là se rendre encore plus respectables, se tenaient ordinairement renfermés dans leurs palais, et se montraient rarement aux peuples. Nous avons vu que Déjoce, le premier roi des Mèdes, à son entrée sur le trône, mit en usage cette politique, qui devint assez commune dans l'Orient. Mais c'est une grande erreur de croire qu'un prince ne peut descendre de sa grandeur par une sorte de familiarité avec ses sujets, sans l'avilir et la dégrader. Artaxerxe ne pensait pas ainsi, et Plutarque observe que ce prince, et la reine Statira son épouse, affectèrent de se rendre visibles et accessibles aux peuples; et ils n'en furent que plus respectés.

Il n'était permis chez les Perses à aucun des sujets, de paraître devant le roi sans s'être prosterné devant Lib. 3. de lui; et cette loi, que Sénèque appelle avec raison une et lib. 3 de servitude persane, persicam servitutem, s'étendait Ira, cap. 17. aussi aux étrangers. Nous verrons dans la suite que plusieurs des Grecs refusèrent de s'y assujettir, regardant cette cérémonie comme injurieuse à des hommes AElian. 1. 1, nés et nourris dans le sein de la liberté. D'autres, moins délicats, s'y soumirent, quoique avec beaucoup de répugnance; et l'on raconte que l'un d'eux, pour couvrir la honte de ce prosternement servile, laissa exprès tomber son anneau quand il fut près du roi, afin d'avoir lieu de se courber devant lui sous un autre prétexte. Mais c'eût été un crime pour les naturels du pays, que d'hésiter et de délibérer sur un hommage que les rois exigeaient avec la dernière rigueur.

Var. histor.

C. 21.

Ce que l'Écriture raconte de deux princes, dont l'un ordonna à tous ses sujets, sous peine de mort, de

Nabuchodonosor. (DAN. c. 3.)

se prosterner devant sa statue, et le second suspendit sous la même peine tout acte de religion à l'égard généralement de tous les dieux, excepté lui seul; et d'un autre côté la prompte et aveugle obéissance de Babylone, qui, au premier signal, accourut toute entière pour courber le genou devant l'idole, et pour invoquer le roi à l'exclusion de tout autre; tout cela nous apprend à quel excès les rois d'Orient avaient porté l'orgueil; et les peuples, la flatterie et la servitude.

La distance entre le roi et ses sujets était si grande, que ceux-ci, de quelque rang et de quelque qualité qu'ils fussent, satrapes, gouverneurs, proches parents, frères même du roi, n'étaient regardés que comme des esclaves, au lieu que le prince était toujours traité de maître, de souverain, de seigneur. En un mot, le caractère propre des peuples d'Asie, et encore plus de ceux de Perse que de tous les autres, était la servitude et l'esclavage; ce qui fait dire à Cicéron que le pouvoir despotique que l'on cherchait à établir dans la république, était un joug insupportable, non - seulement à un Romain mais à un Perse.

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pag. 697.

Ce fut donc cette hauteur des princes d'un côté, et de l'autre cet asservissement des peuples, qui furent, selon Platon, la principale cause de la ruine de l'em- L. 3 de leg. pire des Perses, en rompant tous les liens qui unissent le roi à ses sujets et les sujets au roi. Cette hauteur éteint dans le premier toute affection et toute humanité, et cet asservissement ne laisse aux peuples ni courage, ni zèle, ni reconnaissance. Les rois de Perse ne commandaient qu'avec menaces, les sujets n'obéissaient et ne marchaient qu'avec peine et répugnance : Darius Médus. (DAN. c. 6.)

c'est l'idée que nous en donne Xerxès dans Hérodote; et il ne pouvait comprendre que les Grecs, qui étaient libres, pussent aller de bon cœur au combat. Que pouvait-on attendre de grand et de noble d'hommes abattus et domptés par l'accoutumance au joug comme etaient les Perses, et reduits à une basse servitude, Cap. 35. qui est, pour me servir des termes de Longin, une espèce de prison, où l'ame décroît et se rapetisse en quelque sorte?

pag. 215.

J'ai peine à le dire, mais je ne sais si le grand Cyrus ne contribua pas aussi lui-même à introduire parmi les Perses et ce fol orgueil des rois, et cette servile flatterie des peuples. Ce fut dans cette pompeuse cerémonie dont j'ai parlé que les Perses, jusque-là trèsjaloux de leur liberté, et très-éloignes de la vouloir prostituer honteusement par des demarches basses et rampantes, courbèrent le genou devant le prince pour la première fois, et s'abaissèrent jusqu'à l'adorer. Ce Cyrop. 1. 8, ne fut point l'effet du hasard; et Xenophon insinue assez clairement que Cyrus, qui desirait qu'on lui rendit cet hommage, avait exprès aposté des gens pour en donner l'exemple aux autres, et ils ne manquèrent pas d'entraîner après eux la multitude. Je ne reconnais point, dans ces petites ruses et dans ces detours artificieux, la noblesse et la grandeur d'ame que ce prince avait fait paraître jusque-là; et je serais assez porté à croire qu'arrivé au comble de la gloire et de la puissance, il ne put résister plus long-temps aux violentes attaques que la prospérité livre sans relâche anx meil leurs princes secundæ res sapientium animos fatigant; et qu'enfin l'orgueil et le faste, presque inséparables de l'autorité souveraine, l'arrachèrent à lui

Sallust.

même et à ses bonnes inclinations: vi dominationis Tacit. Annal.

convulsus et mutatus.

§ III. Mauvaise éducation des princes, cause de la décadence de l'empire des Perses.

1.6, c. 48.

p. 694, 695.

C'est encore Platon, le prince des philosophes, qui L. 3 de leg. nous fournit cette réflexion; et l'on reconnaîtra, en examinant de près le fait dont il s'agit, combien elle est solide et judicieuse, et combien ici la conduite de Cyrus est inexcusable.

pag. 200.

Jamais personne ne dut mieux comprendre que lui de quelle importance est la bonne éducation pour un jeune prince. Il en avait connu par lui-même tout le prix, et senti tout l'avantage. Ce qu'il recommanda Xenoph. avec le plus de soin à ces officiers, dans ce beau discours Cyrop. 1.7, qu'il leur fit après la prise de Babylone pour les exhorter à maintenir leur gloire et leur réputation, fut d'élever leurs enfants comme ils savaient qu'on le faisait en Perse, et de se conserver eux-mêmes dans la pratique de ce qu'on y observait.

Croirait-on qu'un prince qui parlait et pensait ainsi eût été capable de négliger absolument l'éducation de ses enfants? C'est pourtant ce qui arriva à Cyrus. Oubliant qu'il était père, et ne s'occupant que de ses conquêtes, il abandonna entièrement ce soin aux femmes, c'est-à-dire à des princesses élevées dans un pays où régnaient dans toute leur étendue le faste, le luxe et les délices; car la reine sa femme était de Médie. Ce fut dans ce goût que furent élevés les jeunes princes Cambyse et Smerdis. Rien ne leur était refusé. On allait au-devant de tous leurs desirs. La grande maxime était de ne les contrister en rien, de ne les jamais con

tredire, de n'employer à leur égard ni remontrances, ni réprimandes. On n'ouvrait la bouche en leur présence que pour louer tout ce qu'ils faisaient et disaient. Tout fléchissait le genou et était rampant devant eux; et l'on croyait qu'il était de leur grandeur de mettre une distance infinie entre eux et le reste des hommes, comme s'ils eussent été d'une autre espèce qu'eux. C'est Platon qui nous apprend tout ce détail; car Xénophon, apparemment pour épargner son héros, ne dit pas un mot de la manière dont ces princes furent élevés, lui qui a décrit si au long l'éducation que leur père avait

reque.

Ce qui m'étonne le plus, c'est qu'au moins Cyrus, dans ses dernières campagnes, ne les ait pas menés avec lui pour les tirer de cette vie molle et effeminée, et pour leur apprendre le métier de la guerre; car ils devaient alors avoir quelque âge : peut-être les femmes s'y opposèrent-elles.

Quoi qu'il en soit, une telle éducation eut le succès qu'on en devait attendre. Cambyse sortit de cette école tel que l'histoire nous le représente, un prince entêté de lui-même, plein de vanité et de hauteur, livré aux excès les plus honteux de la crapule et de la débauche, inhumain et barbare jusqu'à faire égorger son frère sur la foi d'un songe; en un mot, un insensé, un furieux, un frénétique, qui mit l'empire à deux doigts de sa perte.

Son père, dit Platon, lui laissa en mourant de vastes provinces, des richesses immenses, des troupes et des flottes innombrables: mais il ne lui avait pas donné ce qui pouvait les lui conserver, en lui en faisant faire un bon usage.

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