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ses voisins les plus proches, qu'il réunit ces différents peuples sous une même autorité par des lois communes et par une même police, et qu'il en forma un état qui, pour ces premiers temps, était d'une étendue assez considérable, quoique bornée aux rives de l'Euphrate et du Tigre; et qui, dans les siècles suivants, sut prendre peu-à-peu de nouveaux accroissements, et vint à bout de pousser fort loin ses conquètes.

La ville capitale de ce royaume, dit l'Écriture, fut Gen. 10, 10. Babylone. Les historiens profanes attribuent presque

I

tous à Sémiramis la fondation de Babylone : d'autres la donnent à Bélus. Il est visible que les uns et les autres se trompent, s'il est question du premier fondateur de cette ville; car elle ne doit son commencement ni à Sémiramis, ni à Nemrod, mais à la folle vanité de ceux dont l'Écriture dit qu'ils voulurent bâtir une Gen. 11, 4. tour et une ville qui rendissent leur mémoire im

mortelle.

Josèphe rapporte, sur le témoignage d'une sibylle Hist. [Antiq.] qui doit être fort ancienne, et dont on ne peut attribuer Jud.lib.3. cap. 4. [S 3.] les fictions au zèle imprudent de quelques chrétiens, que des tourbillons et des vents impétueux envoyés par les dieux renversèrent la tour. Si cela était, la témérité de Nemrod serait encore plus grande, d'avoir rebâti une ville et une tour que Dieu même aurait renversées avec de si grandes marques de sa colère. Mais l'Écriture ne dit rien de tel; et il y a bien de l'apparence que l'ouvrage demeura où il en était, lorsque Dieu le fit cesser par la division des langues, et que la tour consacrée à Bélus, dont Hérodote fait la description, cap. 181.

I « Semiramis eam condiderat, vel, ut plerique tradidêre, Belus,

cujus regia ostenditur, »> (Q. CURT, ;
lib. V; cap. 1.)

Lib. 1,

Gen. 10. 11.

était celle que les enfants des hommes avaient prétendu élever jusqu'aux nues.

Il est encore vraisemblable que, ce ridicule dessein ayant été déconcerté par un prodige inouï dont Dieu seul pouvait être l'auteur, tout le monde d'abord abandonna un lieu qui lui avait déplu, et que Nemrod fut le premier qui l'environna de murailles, y établit ses amis et ses confédérés, et se soumit tous les environs, commençant par là son empire; mais ne l'y bornant pas: fuit principium regni ejus Babylon. Les autres villes que nomme ici l'Écriture étaient dans la terre de Sennaar, qui est certainement la province dont Babylone devint la métropole.

De ce pays, il passa dans celui qui est appelé Assyrie, et il y bâtit Ninive: de terra illa egressus est Assur, et ædificavit Niniven. C'est le sens que plusieurs savants donnent au mot d'Assur, en le regardant comme celui d'une province, et non comme celui du premier homme qui l'avait occupée, comme s'il y avait, egressus est in Assur, in Assyriam; et ce sens paraît le plus naturel pour plusieurs raisons qu'il n'est pas nécessaire de rapporter ici. Le pays d'Assyrie est marqué dans un prophète par ce caractère particulier, d'être la terre Mich. 56. de Nemrod: et pascent terram Assur in gladio, et terram Nemrod in lanceis ejus : et liberabit ab Assur, quum venerit in terram nostram. Il tirait son nom d'Assur, fils de Sem, qui sans doute s'y était établi avec sa famille, et qui en fut apparemment chassé, ou assujetti par l'usurpateur Nemrod.

Gen. 10,

V. II. 12.

Diod.

Celui-ci, s'étant emparé des provinces d'Assur, ne les ravagea pas en tyran, mais les remplit de villes,

lib. 2, p.90. et se fit aimer de ses nouveaux sujets avec autant de

passion que des anciens; en sorte que les historiens, qui n'ont pas assez approfondi ce point, ont cru qu'il s'était servi des Assyriens pour se soumettre les Babyloniens. Il bâtit entre autres une ville superbe, qu'il appela Ninive, du nom de son fils Ninus, pour immortaliser par là sa mémoire. Ce fils, à son tour, plein de vénération pour son père, voulut que ceux qui l'avaient eu pour roi l'adorassent comme leur seigneur, et portassent les autres peuples à lui rendre le même culte; car il paraît certain que Nemrod est le fameux Bélus des Babyloniens, le plus ancien roi que les peuples aient adoré pour ses grandes actions, et qui ait montré aux autres hommes le chemin à cette sorte d'immortalité qu'ils s'imaginent que les qualités humaines peuvent donner.

Je me réserve à parler de la grandeur et de la puissance des villes de Babylone et de Ninive sous les rois auxquels les auteurs profanes en attribuent l'établissement, parce que l'Écriture n'en dit presque rien. Ce silence, dont notre curiosité a peine à s'accommoder, peut devenir fort instructif pour notre piété. L'Écriture a placé exprès Nemrod et Abraham fort près l'un de l'autre, quoiqu'ils soient assez éloignés par rapport au temps où ils ont vécu, afin que nous vissions dans le premier ce que les hommes admirent et ce qu'ils souhaitent; et dans le second, ce que Dieu approuve, et ce qu'il juge digne de sa complaisance et de son amour. Ces deux hommes si différents sont les deux premiers citoyens de deux cités opposées, fondées par

1 & Fecerunt civitates duas amores duo terrenam scilicet amor sui usque ad contemptum Dei; cœlestem

verò amor Dei usque ad contemptum sui.» (S.-AUG. de Civ. Dei, lib. XIV, cap. 28.)

Diod. 1. 2,

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des amours contraires, dont l'un est l'amour de soi même et des biens temporels, porté jusqu'au mépri de Dieu; et l'autre est l'amour de Dieu, porté jusqu'au, mépris de soi-même.

NINUS. J'ai déja remarqué que la plupart des au teurs profanes le regardent comme le premier fondateur de l'empire des Assyriens, et, par cette raison, lui attribuent une grande partie des actions de Nemrod, ou Bélus son père.

Dans le dessein qu'il avait de porter au loin ses conquêtes, il commença par se préparer des troupes et des pag. 90-95. officiers capables de seconder ses desseins. Soutenu du puissant secours des Arabes ses voisins, il se mit en campague, et, dans l'espace de dix-sept ans, fit la conquête d'une infinité de pays depuis l'Égypte jusqu'à l'Inde et la Bactriane, qu'il n'osa pas encore attaquer.

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A son retour, avant d'entreprendre de nouvelles conquêtes, il voulut immortaliser son nom par l'établissement d'une ville qui répondît à la grandeur de puissance il l'appela Ninive, et la bâtit sur le bo oriental du Tigre. Peut-être ne fit-il qu'achever l'ouvrage que son père avait commencé. Son dessein, dit Diodore, fut de rendre Ninive la plus grande et la plus célèbre ville du monde, et d'ôter à ceux qui viendraient après lui l'espérance et le moyen d'en bâtir jamais une pareille. Elle avait cent cinquante stades (sept lieues et demie) de longueur, sur quatre-vingtdix stades (quatre lieues et demie) de largeur; et par conséquent elle faisait un carré long. Elle avait de circuit quatre cent quatre-vingts stades, qui font vingt

Diodore dit que ce fut sur le bord de l'Euphrate, et en parle ainsi

en plusieurs endroits; mais il se trompe.

eatre lieues. De là vient que dans Jonas il est dit que Jon. 3, 3.' néfinive était une grande ville qui avait trois jours de squhemin, ce qui peut s'entendre de son circuit 1. Les

aurs avaient cent pieds de hauteur, et une épaisseur s considérable, qu'on pouvait y conduire à l'aise trois athars de front. Ils étaient revêtus et fortifiés de quinze , cents tours, hautes de deux cents pieds.

Après avoir achevé ce grand ouvrage, il reprit son expédition contre les Bactriens. Son armée, au rapport code Ctésias, était de 2 dix-sept cent mille hommes de tepied, de deux cent mille chevaux, et de près de seize mille chariots armés de faux. Diodore ajoute que cela tene doit pas paraître incroyable, puisque, pour ne point o parler des armées innombrables de Darius et de Xerxès, sous Denys-le-Tyran, la seule ville de Syracuse mettait er sur pied six-vingt mille hommes d'infanterie et douze emille de cavalerie 3, sans compter quatre cents vais

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lieues) et 53,300 mèt. de tour (moins
de 10 lieues). Ces dimensions n'ont
plus rien d'exorbitant, si l'on songe
à la grande étendue qu'ont encore
les villes en Orient, dont les maisons
sont basses, et qui renferment d'ail-
leurs des jardins très-nombreux et
très-vastes. L.

2 Il paraît ici de l'exagération :
j'en parlerai dans la suite. = C'est
là le commencement des récits fa-
buleux de Ctésias. - L.

3 Quoique Diodore, en cet endroit, (II, § 5) ne parle que de la seule ville de Syracuse, il est certain cependant que ces levées considérables comprenaient non-seulement les Syracusains, mais encore tous leurs alliés. (DIOD. SIC. XIV, § 47.)-L,

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