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Les Roseaux poussent naturellement sur les bords des étangs et dans les prairies marécageuses; ils peuvent avoir 1 mètre où 1,30 de haut; leurs feuilles sont très recherchées pour la nourriture des bestiaux, leurs tiges sont utilisées pour faire des clòtures. Le Roitelet est un charmant petit oiseau qui se plait sur les grands arbres, en particulier sur les chênes; il se nourrit d'insectes et de vermis

Roitelet.

seaux.

Le Chêne un jour dit au Roseau :

« Vous avez bien sujet d'accuser la Nature 1.
Un roitelet pour vous est un pesant fardeau;
Le moindre vent qui d'aventure 2

Fait rider la face de l'eau 3

4

5

Vous oblige à baisser la tête;
Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d'arrêter les rayons du soleil 6,

Brave l'effort de la tempête.

Tout vous est aquilon, tout me semble zéphyr 7.
Encor si vous naissiez à l'abri du feuillage

Dont je couvre le voisinage,
Vous n'auriez pas tant à souffrir:
Je vous défendrais de l'orage.

Mais vous naissez le plus souvent

Roseau.

Sur les humides bords des royaumes du vent3. ja La Nature envers vous me semble bien injuste. - Votre compassion, lui répondit l'arbuste, Part d'un bon naturel; mais quittez ce souci 10: Les vents me sont moins qu'à vous redoutables.

1. Le roseau ne se plaint pas, mais le chêne veut dire qu'il aurait raison de se plaindre.

2. Qui par hasard.

3. Très belle expression pour dire que le
vent agite légèrement la surface de l'eau;
ce sont comme des rides creusées sur sa
face.

4. Nous dirions: tandis que.
5. C'est exagéré; les chênes les plus
élevés n'ont pas 30 mètres, le Caucase
en a $650 (mont Elbrouz).

6. Le chêne les arrête en les empêchant d'arriver jusqu'au sol sous ses branches. 7. L'Aquilon était chez les anciens le était le vent d'ouest, doux et modéré; le vent du nord, froid et violent; le Zéphyr premier, c'est la bise; l'autre. la brise.

8. Sur le bord des lacs ou de la mer, où rien n'arrête le vent.

une herbe, une graminée.
9. Un roseau n'est pas un arbuste, c'est

10. Cessez de vous tourmenter à mon sunet.

Je plie, et ne romps' pas. Vous avez jusqu'ici
Contre leurs coups épouvantables

Résisté sans courber le dos;

Mais attendons la fin2. » Comme il disait ces mots,
Du bout de l'horizon accourt avec furie

Le plus terrible des enfants

3

Que le Nord eût portés jusque-là dans ses flancs.
L'arbre tient bon; le Roseau plie.

Le vent redouble ses efforts,

Et fait si bien qu'il déracine

Celui de qui la tête au ciel était voisine,

Et dont les pieds touchaient à l'empire des morts.

75

LA GÉNISSE, LA CHÈVRE ET LA BREBIS
EN SOCIÉTÉ AVEC LE LION 5.

La Génisse est une jeune vache qui n'a pas encore eu de veau. La Brebis est la femelle du bélier. La donnée de cette fable n'est pas juste; le lion mange les génisses, les chèvres et les brebis, qui toutes trois ne se nourrissent que d'herbe.

La Génisse, la Chèvre, et leur sœur la Brebis,
Avec un fier Lion, seigneur du voisinage,
Firent société, dit-on, au temps jadis 6,

Et mirent en commun le gain et le dommage7.
Dans les lacs de la Chèvre un cerf se trouva pris.
Vers ses associés aussitôt elle envoie.

Eux venus, le Lion par ses ongles compta,

Et dit : « Nous sommes quatre à partager la proie. >>
Puis en autant de parts le Cerf il dépeça 10;
Prit pour lui la première, en qualité de sire 11.
«Elle doit être à moi, dit-il; et la raison,
C'est que je m'appelle Lion,

A cela l'on n'a rien à dire.

La seconde, par droit, me doit échoir encor 12:

1. Rompre, c'est céder sous l'effort; on rompt du pain tendre, on casse du pain dur. 2. Expression devenue proverbe, comme: Qui vivra verra.

3. C'est-à-dire un vent d'une violence inouïe; les païens disaient que le dieu des vents, Eole. les tenait enfermés dans une averne qu'il ouvrait ou fermait à volonté.

4. Le chêne est renversé, et La Fontaine choisit ce moment pour dire que son sommet touchait presque le ciel, et ses racines le centre de la terre, séjour des morts, au dire des païens; on ne saurait étudier avec trop de soin cet admirable récit.

5. Voir pages 73 et 12.

6. Il y a bien longtemps de cela.
7. Les profits et les pertes.

8. Les lacs, prononcez lá, sont des lacets à nœud coulant, des collets, comme on dit aujourd'hui.

9. Dès qu'ils furent venus.

10. Il dépeça, mit en morceaux, partagea le cerf en quatre parties égales.

11. Parce qu'il était sire, seigneur du lieu qu'habitaient ses associés.

12. Doit m'arriver encore, car c'est mon droit. Encor sans e est ici pour rimer avec fort.

1

Ce droit, vous le savez, c'est le droit du plus fort.
Comme le plus vaillant je prétends 1 la troisième.
Si quelqu'une de vous touche à la quatrième,
Je l'étranglerai tout d'abord 2. »>

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4

L'Aigle est le plus fort de tous les oiseaux de proie. Il habite les régions montagneuses et fait son aire dans le creux des rochers. Il a la vue très perçante, ses pattes sont armées de griffes tranchantes appelées serres, son bec est fort et recourbé. Il s'attaque aux lièvres, aux agneaux, etc., qu'il emporte dans son aire ; il vit, dit-on, près de cent ans. L'aigle est l'emblème du génie, de l'intelligence extraordinaire.

L'oiseau de Jupiter enlevant un mouton 5,

Un Corbeau, témoin de l'affaire,

Et plus faible de reins 6, mais non pas moins glouton,
En voulut sur l'heure autant faire 7.

Il tourne à l'entour du troupeau,

9

Marque entre cent moutons le plus gras, le plus beau, Un vrai mouton de sacrifice 10;

On l'avait réservé pour la bouche des dieux. Gaillard Corbeau disait, en le couvant des yeux 11 : « Je ne sais qui fut ta nourrice;

Mais ton corps me paraît en merveilleux état;

Tu me serviras de pâture 12. »

Sur l'animal bêlant à ces mots il s'abat 13.
La moutonnière créature 14

Pesait plus qu'un fromage 15; outre que sa toison
Était d'une épaisseur extrême,

Et mêlée à peu près de la même façon

1. Je veux avoir, j'exige.

2. Je commencerai par l'étrangler. C'est le cas de dire que la raison du plus fort est toujours la meilleure, et d'ajouter, toujours avec La Fontaine : Ne nous associons qu'avecque nos égaux.

3. Voir page 2.

4. L'aigle, roi des oiseaux, est consacré à Jupiter, roi des dieux.

5. Un jour que l'aigle enlevait un mouton.

6. Les reins sont confondus souvent avec

l'échine ou épine dorsale.

7. Voulut l'imiter tout de suite.

8. Nous dirions autour.

9. Se désigne à lui-même, choisit. 10. Digne d'être immolé aux dieux. 11. Le regardant avec amour, l'avalant pour ainsi dire des yeux.

12. Tu me parais gros et gras, très appétissant, et je le mangerai.

13. Il fond dessus, comme dit ailleurs La Fontaine; les oiseaux de proie semblent tomber sur leur victime.

14. L'animal bêlant, la moutonnière créature désignent ici le mouton.

15. Le fameux fromage làché jadis par le corbeau (v. p. 2).

4

Que la barbe de Polyphème 1. Elle empêtra2 si bien les serres du Corbeau, Que le pauvre animal ne put faire retraite 3; Le berger vient, le prend, l'encage bien et beau 3, Le donne à ses enfants pour servir d'amusette 6. Il faut se mesurer 7; la conséquence est nette. Mal prend aux volereaux de faire les voleurs. L'exemple est un dangereux leurre 9 : Tous les mangeurs de gens 10 ne sont pas grands seigneurs; Où la guêpe a passé, le moucheron demeure 11

77

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LA BELETTE 12 ENTRÉE DANS UN GRENIER

Damoiselle 13 Belette, au corps long et fluet 14,

Entra dans un grenier par un trou fort étroit 15:
Elle sortait de maladie.

Là, vivant à discrétion 16,

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Mangea, rongea; Dieu sait la vie,

Et le lard qui périt 19 en cette occasion!
La voilà, pour conclusion,

Grasse, maflue 20 et rebondie.

Au bout de la semaine, ayant dîné son soûl 21,
Elle entend quelque bruit, veut sortir par le trou,
Ne peut plus repasser, et croit s'être méprise 22.
Après avoir fait quelques tours,

« C'est, dit-elle, l'endroit me voilà bien surprise;
J'ai passé par ici depuis cinq ou six jours 23.

1. Polyphème était, d'après la mytho.ogie, un géant monstrueux qui n'avait qu'un œil au milieu du front; il habitait une grotte de l'Etna, en Sicile, et peignait rarement sa barbe, qui était fort longue. 2. Les serres du corbeau sont prises dans les poils),du mouton.

3. Ne peut pas se dégager, ou battre en retraite.

4. Le met en cage.

5. Vite, et de la bonne façon. 6. De jouet.

7. Bien voir ce dont on est capable. 8. Les petits voleurs, les simples filous (mot inventé par La Fontaine); mal leur prend, c'est-à-dire cela leur réussit mal.

9. Chose trompeuse; le leurre est au propre un appåt trompeur pour faire reverir les faucons.

10. Ceux qui ruinent le peuple.

11 Vers devenu proverbe; la guêpe peut traverser une toile d'araignée, parcel

qu'elle en brise les fils; le moucheron ne le peut pas.

12. Voir page 42.

13. Demoiselle ou damoiselle se disait des femmes et filles nobles, et aussi des bourgeoises qui s'habillaient avec luxe. 14. Mince, élancé; on écrivait flouet. 15. La Fontaine écrivait étret, pour rimer avec fluet.

16. Mangeant tant qu'elle voulait et tout ce qui lui plaisait.

17. La gaillarde.

18. Fit bombance, bonne chère; lie est un vieil adjectif fém. signifiant joyeux.

19.Jolie expression pour dire:fut mangé. Dieu sait la vie. elle fit une belle vie; le lard qui périt, il en périt beaucoup.

20. Avec des joues grasses, pendantes. 21. De manière à être rassasiée, gavée. 22. S'êtrevtrompée.

23. Il y a de cela cinq ou six jours, elle n'a passé qu'une fois, pour entrer.

Un rat, qui la voyait en peine,

Lui dit: «< Vous aviez lors 1 la panse 2 un peu moins pleine.
Vous êtes maigre entrée, il faut maigre sortir.
Ce que je vous dis là, l'on le dit à bien d'autres.
Mais ne confondons point, par trop approfondir3,
Leurs affaires avec les vôtres". >>

78 LE SAVETIER ET LE FINANCIER

Le Financier dont il est ici question était ce qu'on appellerait maintenant un banquier; il habitait un hôtel, une maison tout entière avec jardin. Les Savetiers

travaillaient dans de misérables échoppes, sortes de cabanes faites dans le coin d'un mur, comme on peut en juger par la gravure ci-contre. Le mot savetier désigne aujourd'hui un cordonnier qui travaille mal; au temps de La Fontaine il désignait les artisans qui raccommodaient les chaussures, et ce mot n'était pas une injure.

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Échoppe au coin d'un hôtel.

Les savetiers d'autrefois sont aujourd'hui les carreleurs de souliers qui parcourent nos bourgs et nos villages et travaillent en plein air.

Un Savetier chantait du matin jusqu'au soir :
C'était merveilles 5 de le voir,

Merveilles de l'ouïr; il faisait des passages 7,
Plus content qu'aucun des Sept Sages 8.
Son voisin, au contraire, étant tout cousu d'or,
Chantait peu, dormait moins encor :
C'était un homme de finance.

Si, sur le point du jour, parfois il sommeillait 10;
Le Savetier alors en chantant l'éveillait;
Et le Financier se plaignait
Que les soins de la Providence

1. Vous aviez alors, à ce moment-là.
2. Le ventre un peu moins plein.
3. En approfondissant trop.
4. Ce rat est bien savant: il fait allu-
sion aux fonctionnaires malhonnêtes.

5. On était tout étonné de le voir, de l'entendre.

Sept Sages; les anciens Grecs avaient appelé ainsi sept hommes célèbres par leur science, et par leur sagesse; la sagesse apprend à vivre heureux.

9. Tellement riche qu'il aurait pu avoir des vêtements d'or filé, ou en pièces d'or attachées, cousues les unes

6. De l'entendre; l'oreille est l'organe autres. de l'ouïe.

7. Des roulades.

8. Plus content que n'importe lequel des

aux

10. Il ne dormait pas, il était assoupi après avoir lutté toute la nuit contre l'insomnie.

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