1 Il invoque à la fin le dieu dont les travaux Sont si célèbres dans le monde : Hercule, lui dit-il, aide-moi; si ton dos Ton bras peut me tirer d'ici. >> Sa prière étant faite, il entend dans la nue << Hercule veut qu'on se remue; Ote d'autour de chaque roue Ce malheureux mortier 4, cette maudite boue Prends ton pic 6, et me romps ce caillou qui te nuit; Or bien je vas t'aider, dit la voix : prends ton fouet. Je l'ai pris... Qu'est ceci? mon char marche à souhait9. Hercule en soit loué ! » Lors la voix 10: « Tu vois comme Tes chevaux aisément se sont tirés de là. Aide-toi, le ciel t'aidera 11. » Dans ce récit je prétends faire voir D'un certain sot la remontrance vaine. Un jeune Enfant dans l'eau se laissa choir 12, 92 1 En badinant sur les bords de la Seine. Et puis, prenez de tels fripons le soin 7 ! Qu'ils ont de maux ! et que je plains leur sort! » Je blâme ici plus de gens qu'on ne pense. En toute affaire, ils ne font que songer - Eh! mon ami, tire-moi du danger; Tu feras après ta harangue12. LE VIEILLARD ET LES TROIS JEUNES HOMMES Un octogénaire 13 plantait. << Passe encor de bâtir; mais planter à cet âge ! » Disaient trois jouvenceaux 14, enfants du voisinage; Assurément il radotait. 15. << Car, au nom des dieux16, je vous prie, 1. En jouant étourdiment 2. Il dut son salut à Dieu d'abord, et ensuite aux branches de ce saule. 3. Comme il s'était pris, accroché. 7. Prenez soin de ces fripons-là! La Fontaine n'aimait pas plus les enfants que les pédants. 8. Sur le bord, sur la berge. 9. Peut être reconnu dans ce que je dis. ies pédants sont très nombreux. 11. La race; Dieu les ayant bénis, ils se sont multipliés à l'infini. 12. C'est à l'un d'entre eux, que La Fontaine s'adresse ainsi en l'appelant par moquerie son ami. Une harangue, c'est un long discours prononcé en public. 13. Un homme âgé de quatre-vingts ans plantait des arbres. 14. Trois jeunes gens. 15. Il ne savait plus ce qu'il disait, ni ce qu'il failait. 16. Nous vous le demandons au nom 10. Les babillards, les critiques injustes, des dieux. Quel fruit de ce labeur pouvez-vous recueillir ? Des soins d'un avenir qui n'est pas fait pour vous? Il 3 ne convient pas à vous-mêmes, Vient tard, et dure peu. La main des Parques blêmes 8 De se donner des soins pour le plaisir d'autrui ? 10 Plus d'une fois sur vos tombeaux 9. >> Que lui-même il voulut enter 12; Et, pleurés du vieillard 13, il grava sur leur marbre 1. D'après la Bible, certains patriarches, avant le déluge, vécurent sept, huit et neuf cents ans. 2. L'espoir qui ne se réalisera que dans longtemps. 3. Tout cela. 4. Les Parques, déesses de la mythologie,sont représentées comme filant les jours des hommes et se jouant de leur destinée, elles étaient trois: Atropos, Clotho et Lachésis, la première tenait le fil que dévidait la seconde et que coupait la trosième. 5. La vie la plus longue est si courte que celui qui meurt très âgé et celui qui meurt jeune doivent être regardés comme ayant vécu absolument le même nombre d'années. 4 6. De la vie; qui doit voir le dernier la lumière du soleil. 7. Les enfants de mes petits-enfants, et non pas les petits-fils de mes neveux. 8. Cela même, c'est-à-dire l'idée que je travaille pour le plaisir d'autrui. 9. L'aurore reparaissant tous les jours, le vieillard veut dire qu'il pourrait bien survivre à ces jeunes gens. 10. Nous dirions: allant en Amérique. 11. Ces deux beaux vers signifient que ce jeune homme s'était fait soldat et qu'il périt à la guerre. 12. Greffer. 13. Tournure très vive pour dire: Et ils furent pleurés du vieillard qui grava. 93 LA VIEILLE ET LES DEUX SERVANTES Pour comprendre cette fable, il faut savoir qu'autrefois il y avait très peu de filatures; dans les familles on filait soi-même, à l'aide du rouet et du fuseau, le lin ou le chanvre; les plus grandes dames se livraient à ce travail, et le plus bel éloge mortuaire d'une Romaine était celui-ci : Elle est restée à la maison, elle a filé de la laine. Les progrès de l'industrie ont changé tout cela, et c'est à peine Rouet, fuseau. si quelques vieilles femmes de la campagne ont conservé l'habitude de filer. 1 Il était une Vieille 1 ayant deux chambrières 2. Point de cesse 3, point de relâche. Dès que l'Aurore, dis-je, en son char remontait 1. Une vieille était... dans les contes de fées on lit souvent: Il était une fois... 2. Deux servantes. On les appelle chambrières parce qu'elles restent à la maison et ne vont pas travailler dans les champs. 3. Les trois Parques, dont il est souvent question dans La Fontaine; ces divinités filaient, au dire des poètes, la destinée des humains. 4. En comparaison du travail de ces chambrières, le travail des Parques était de la méchante besogne. 5. Expression figurée pour dire dès le lever du soleil. Téthys, déesse de la mer, est censée chasser de son domaine le dieu Phébus à la chevelure blonde. Pour les Grecs le soleil levant paraissait sortir de la mer. 6. Les tourets commençaient à fonction ner; les tourets sont de petits tours à dévider, 7. De ce côté-ci, de ce côté-là. Les mots vous en aurez (s.-e. du travail) paraissent adressés aux tourets et aux fuseaux. 8. Il n'y avait point de cesse (d'interruption). 9. Tout à l'heure on parlait du soleil levant; le lever de l'Aurore, déesse qui montait sur son char un peu avant Phébus, précède le lever du soleil. 10. Un coq exécré des servantes. 11. Avec la plus grande exactitude. 12. Encore plus détestée que le coq. 13. Se revétait à la hâte et sans goût, sans la moindre coquetterie. 14. Elles avaient pour ainsi dire faim de sommeil. Et toutes deux, très mal contentes, Disaient entre leurs dents : « Maudit coq! tu mourras! >> Ce meurtre n'amenda nullement leur marché : 6 Quand on pense sortir d'une mauvaise affaire, Témoin ce couple et son salaire 7. La vieille, au lieu du coq 8, les fit tomber par là 94 LES FRELONS ET LES MOUCHES A MIEL Frelon. Le frelon est une sorte de grosse guêpe qui fait son nid dans les vieux arbres, dans les murs, dans les greniers; les frelons vivent en société de cent cinquante à deux cents individus, et dérobent souvent le miel des abeilles; leur piqûre est douloureuse, quelquefois redoutable. La guêpe et l'abeille sont connues de tout le Abeille et monde; la guêpe attaque aussi l'abeille; et il est étonnant de rayons de miel. la voir prise ainsi pour arbitre dans cette fable. A l'œuvre on connaît l'artisan. Quelques rayons de miel sans maître se trouvèrent. Des Frelons les réclamèrent; Des Abeilles s'opposant 10, Devant certaine Guêpe on traduisit 11 la cause. 1. Assez bas pour ne pas être entendues de la vieille. 2. Saisie par elle à la dérobée. 3. L'oiseau qui réveille de grand matin. 4. Ne rendit pas meilleure la situation des servantes; amender veut dire améliorer; et le marché, c'est la conséquence de l'engagement contracté entre les servantes et la vieille. 5. Couple sert à désigner deux individus vivant ensemble; La Fontaine dit notre pour nous intéresser aux servantes. 6. Comme un petit diable malicieux, 7. Et sa récompense; c'est ainsi qu'elles furent payées de la peine qu'elles avaient prise en tuant le coq. 8. La vieille, prenant la place du coq. 9. Charybde et Scylla sont deux gouf. fres, deux tourbillons placés en face l'un de l'autre, entre l'Italie et la Sicile; en voulant éviter l'un on tombait dans l'autre ; les bateaux à vapeur passent aujourd'hui entre eux sans même s'en occuper. Tomber de Charybde en Scylla est un proverbe analogue à celui-ci : Souvent la peur d'un mal nous conduit [dans un pire. 10. Faisant valoir leurs droits, et ne voulant pas laisser les frelons prendre ces rayons. 11. On alla porter la cause; on la soumit au jugement de la guêpe. |