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Or bien, sans crier davantage,

Rapportons-nous, dit-elle, à Raminagrobis 1. >>
C'était un Chat vivant comme un dévot ermite 2,
Un Chat faisant la chattemite 3,

Un saint homme de chat, bien fourré, gros et gras,
Arbitre expert sur tous les cas 5.
Jean Lapin pour juge l'agrée .
Les voilà tous deux arrivés

Devant Sa Majesté fourrée 7.

Grippeminaud & leur dit : « Mes enfants, approchez,
Approchez; je suis sourd, les ans en sont la cause 9. »
L'un et l'autre approcha 10, ne craignant nulle chose.
Aussitôt qu'à portée il vit les contestants 11,
Grippeminaud, le bon apôtre 12,

Jetant des deux côtés la griffe en même temps,
Mit les plaideurs d'accord en croquant l'un et l'autre.
Ceci ressemble fort aux débats qu'ont parfois
Les petits souverains se rapportant aux rois.

82

LE LION MALADE ET LE RENARD 13

De par le roi 14 des animaux,

Qui dans son antre 15 était malade,
Fut fait savoir 16 à ses vassaux 17
Que chaque espèce en ambassade
Envoyât gens 18 le visiter;
Sous promesse 19 de bien traiter
Les députés, eux et leur suite,

1. Prenons Raminagrobis pour arbitre, rapportons-nous-en à sa décision.

2. Les ermites, encore nombreux au temps de La Fontaine, vivaient retirés dans les champs ou dans les bois; ils priaient et travaillaient la terre.

3. Un chat hypocrite, faisant l'innocent. 4. Avec une peau, une fourrure bien épaisse.

5. Capable de décider toutes les questions, même les plus difficiles.

6. L'accepte, dit qu'il s'en rapportera à sa décision.

7. Le chat n'est plus seulement un juge arbitre, mais un roi, tout comme saint Louis sous le chêne de Vincennes. 8. La Fontaine oublie qu'il vient d'appeler ce chat Raminagrobis.

9. La surdité est une des infirmités les plus communes chez les vieillards.

10. On dirait de préférence aujourd'hui l'un et l'autre approchérent.

11. Les plaideurs (ne se dirait plus). 12. L'hypocrite.

13. Voir pages 12 et 2.

14. Par ordre du roi, de sa part; tout ce commencement reproduit le style des anciennes ordonnances royales.

15. Antre, caverne, tanière désignent ici les creux de rochers sous lesquels les lions se retirent d'ordinaire.

16. Il fut porté à la connaissance, on fit savoir ou assavoir.

17. Autrefois les seigneurs étaient unis les uns aux autres par des contrats; les plus puissants étaient suzerains ou souverains, les autres étaient leurs vassaux; le tait de le suivre à la guerre et de lui rensuzerain protégeait son vassal, qui prometdre des services déterminés d'avance.

18. Chaque espèce d'animaux devait envoyer en ambassade des gens pour visiter le lion.

19. Le lion promettait.

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« Les pas empreints sur la poussière Par ceux qui s'en vont faire au malade leur cour, Tous, sans exception, regardent sa tanière;

6

Pas un ne marque de retour;
Cela nous met en méfiance.
Que Sa Majesté nous dispense;
Grand merci de son passeport '.
Je le crois bon; mais dans cet antre
Je vois fort bien comme l'on entre,
Et ne vois pas comme on en sort. >>

83

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8

L'AVARE QUI A PERDU SON TRÉSOR

L'usage seulement fait la possession 9.

Je demande à ces gens de qui 10 la passion

Est d'entasser toujours, mettre somme sur somme,
Quel avantage ils ont que n'ait pas un autre homme.
Diogène 11 là-bas 12 est aussi riche qu'eux,

Et l'avare ici-haut 13 comme lui vit en gueux.
L'homme au trésor caché, qu'Ésope nous propose,
Servira d'exemple à la chose.

Ce malheureux attendait,

Pour jouir de son bien, une seconde vie ;

Ne possédait pas l'or, mais l'or le possédait 14.

1. Il en donnait sa parole d'honneur, | dans cet antre. c'était écrit. et lisiblement.

2. Il promettait de ne pas dévorer, de ne pas déchirer. Un passeport est un permis de circuler ou de séjourner que l'on délivre à un voyageur, à un étranger. 3. On leur envoie des députés.

4. Comme les renards restaient chez eux au lieu d'obéir et de venir.

5. Qui ont laissé leur empreinte. 6. Sont tournés vers. Les députés sont entrés; on ne voit pas qu'ils soient

sortis.

7. Nous prions Sa Majesté de nous dispenser de l'aller voir; nous la remercions beaucoup de son passeport.

9. La Fontaine dit ailleurs : le bien n'est bien qu'autant que l'on peut s'en défaire. 10. Nous dirions dont.

11. Diogène était un philosophe grec qui vivait 400 ans avant J.-C.; il méprisait le bien-être, logeait dans un tonneau, et buvait dans une calebasse. Voyant un jour un enfant qui puisait de l'eau avec ses mains, il jeta sa calebasse.

12. Dans l'autre monde, dans les enfers. 13. On dit ordinairement ici-bas par comparaison avec le ciel: La Fontaine a raison de dire ici-haut après ce qu'il a dit de Diogène là-bas.

14. Très belle expression: l'avare est 8. Je vois fort bien comment l'on entre l'esclave et non le maître de ses trésors.

1

Le Villageois le prend, l'empcrte en sa demeure;
Et, sans considérer quel sera le loyer
D'une action de ce mérite 2,
Il l'étend le long du foyer,

Le réchauffe, le ressuscite 3.
L'animal engourdi sent à peine le chaud
Que l'âme lui revient avecque la colère ".
Il lève un peu la tête, et puis siffle aussitôt ;
Puis fait un long repli, puis tâche à 5 faire un saut
Contre son bienfaiteur, son sauveur et son père 6
«< Ingrat, dit le manant, voilà donc mon salaire !
Tu mourras ! » A ces mots, plein d'un juste courroux,
Il vous prend sa cognée 8, il vous tranche la bête;
Il fait trois serpents de deux coups,

7

Un tronçon, la queue, et la tête.
L'insecte, sautillant, cherche à se réunir 10;
Mais il ne put y parvenir.

Il est bon d'être charitable:
Mais envers qui? c'est là le point.
Quant aux ingrats, il n'en est point
Qui ne meure enfin misérable.

72

LE LION 11 S'EN ALLANT EN GUERRE

Le Lion dans sa tête avait une entreprise 12.
Il tint conseil de guerre, envoya ses prévôts 13;
Fit avertir les animaux.

Tous furent du dessein 14, chacun selon sa guise 15
L'éléphant devait sur son dos
Porter l'attirail nécessaire,

Et combattre à son ordinaire;

1. Le payement, la récompense du bien qu'il veut faire au serpent.

2. Sauver autrui est une action méritoire, digae de récompense.

3. Ressusciter, ramener de la mort à la vie.

4. Les serpents n'ont pas d'ame; le serpent ranimé se met en colère. Avecque est souvent dans La Fontaine pour avec. 5. S'efforce de.

6. Ces trois mots forment ce qu'on appelle une gradation; sauveur dit plus que bienfaiteur, et père plus que sauveur.

7. Il prend. La Fontaine emploie souvent ainsi le pronom vous pour rendre ses phrases plus vives.

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L'ours, s'apprêter pour les assauts 1;

Le renard, ménager de secrètes pratiques2,
Et le singe, amuser l'ennemi par ses tours 3.
<< Renvoyez, dit quelqu'un, les ânes, qui sont lourds,
Et les lièvres, sujets à des terreurs paniques ".

Point du tout, dit le roi; je veux les employer:
Notre troupe sans eux ne serait pas complète.
L'âne effraiera les gens, nous servant de trompette 5,
Et le lièvre pourra nous servir de courrier. »

Le monarque prudent et sage

De ses moindres sujets sait tirer quelque usage
Et connaît les divers talents 7.

Il n'est rien d'inutile aux personnes de sens.

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pèces en Afrique. Les Citrouilles sont des courges; tout le monde a vu les potirons auxquels La Fontaine fait allusion; les gourdes ou calebasses sont des courges de dimension

Citrouille.
Diamètre 0m, 60.

moyenne, à enveloppe dure: on en fait des espèces de bouteilles.

Dieu fait bien ce qu'il fait. Sans en chercher la preuve En tout cet univers, et l'aller parcourant 8,

Dans les citrouilles je la treuve 9.

Un villageois, considérant

Combien ce fruit est gros et sa tige menue:
« A quoi songeait, dit-il, l'auteur de tout cela 10?
Il a bien mal placé cette citrouille-là !

Eh! parbleu! je l'aurais pendue
A l'un des chênes que voilà;
C'eût été justement l'affaire :

1. L'ours se précipite comme une masse sur son adversaire.

2. L'espionnage, les intelligences avec l'ennemi, tout ce qui demande de la ruse. 3. Il ne s'agit pas d'amuser l'ennemi, mais bien de détourner son attention.

4. Terreurs soudaines et qui se communiquent, souvent sans raison.

l'Ane chassant (V. p. 25).

6. Quelque service; sait les employer. 7. Ce que nous appellerions les diffé rentes aptitudes des gens. 8. Et le parcourir.

9. On disait alors indifféremment treuver ou trouver.

10. Le Créateur.A quoi gongeait-il quand

5. A peu près comme dans le Lion et il a créé les citrouilles et les glands?

FABLES CHOISIES.

5

Tel fruit, tel arbre, pour bien faire 1.

C'est dommage, Garo 2, que tu n'es point entré
Au conseil de celui que prêche ton curé;

3

Tout en eût été mieux; car pourquoi, par exemple, Le gland, qui n'est pas gros comme mon petit doigt, Ne pend-il pas en cet endroit ?

Dieu s'est mépris 5: plus je contemple Ces fruits ainsi placés, plus il semble à Garo Que l'on a fait un quiproquo 7. »

Cette réflexion embarrassant notre homme :

« On ne dort point, dit-il, quand on a tant d'esprit.
Sous un chêne aussitôt il va prendre son somme.
Un gland tombe: le nez du dormeur en pâtil 9.
Il s'éveille; et, portant sa main sur son visage,
Il trouve encor le gland pris au poil du menton.
Son nez meurtri le force à changer de langage.
« Oh! oh! dit-il, je saigne! et que serait-ce donc
S'il fût tombé de l'arbre une masse plus lourde,
Et que ce gland eût été gourde 10?

Dieu ne l'a pas voulu: sans doute il eut raison;
J'en vois bien à présent la cause 11. »
En louant Dieu de toute chose,
Garo retourne à la maison.

1. C'est-à-dire le fruit doit être en rapport avec la grosseur de l'arbre.

2. Garo c'est le villageois en question. 3. Dieu est ici comparé à un roi délibérant avec son conseil des ministres. 4. Après la tige de la citrouille. 5. S'est trompé.

6. A moi Garo; il se donne de l'importance en se nommant ainsi.

7. Erreur qui consiste à prendre un mot pour un autre, une chose pour une autre. 8. On dit aussi que l'esprit empêche

de vivre longtemps, c'est faux; notez que
Garo s'endort tout de suite.
9. En souffre,

10. C'est courge qu'il faudrait dire.

11. La seconde réflexion est aussi sotte que la première; cela revient à dire que Dieu a fait pousser les glands sur les chênes pour ne pas assommer les dormeurs. Et les fchâtaignes, et les noix de coco? La vraie morale de cette fable c'est qu'il ne faut pas raisonner sur ce qu'on n'est pas capable de comprendre.

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