Je plie, et ne romps' pas. Vous avez jusqu'ici Résisté sans courber le dos; Mais attendons la fin2. » Comme il disait ces mots, Le plus terrible des enfants 3 Que le Nord eût portés jusque-là dans ses flancs. Et fait si bien qu'il déracine Celui de qui la tête au ciel était voisine, Et dont les pieds touchaient à l'empire des morts. 75 LA GÉNISSE, LA CHÈVRE ET LA BREBIS La Génisse est une jeune vache qui n'a pas encore eu de veau. La Brebis est la femelle du bélier. La donnée de cette fable n'est pas juste; le lion mange les génisses, les chèvres et les brebis, qui toutes trois ne se nourrissent que d'herbe. La Génisse, la Chèvre, et leur sœur la Brebis, Et mirent en commun le gain et le dommage7. A cela l'on n'a rien à dire. 10 La seconde, par droit, me doit échoir encor 12 : 1. Rompre, c'est céder sous l'effort; on rompt du pain tendre, on casse du pain dur. 2. Expression devenue proverbe, comme : Qui vivra verra. 3. C'est-à-dire un vent d'une violence inouïe; les païens disaient que le dieu des vents, Eole. les tenait enfermés dans une averne qu'il ouvrait ou fermait à volonté. 4. Le chêne est renversé, et La Fontaine choisit ce moment pour dire que son sommet touchait presque le ciel, et ses racines le centre de la terre, séjour des morts, au dire des païens; on ne saurait étudier avec trop de soin cet admirable récit. 5. Voir pages 73 et 12. 6. Il y a bien longtemps de cela. >> 8. Les lacs, prononcez lâ, sont des lacets à nœud coulant, des collets, comme on dit aujourd'hui. 9. Dès qu'ils furent venus. 10. Il dépeça. mit en morceaux, partagea le cerf en quatre parties égales. 11. Parce qu'il était sire, seigneur du heu qu'habitaient ses associés. 12. Doit m'arriver encore, car c'est mon droit. Encor sans e est ici pour rimer avec fort. Ce droit, vous le savez, c'est le droit du plus fort. L'oiseau de Jupiter enlevant un mouton 5, Un Corbeau, témoin de l'affaire, Et plus faible de reins ", mais non pas moins glouton, Il tourne à l'entour du troupeau, 9 Marque entre cent moutons le plus gras, le plus beau, Un vrai mouton de sacrifice 10; On l'avait réservé pour la bouche des dieux. Mais ton corps me paraît en merveilleux état; Sur l'animal bêlant à ces mots il s'abat 13. La moutonnière créature 14 Pesait plus qu'un fromage 15; outre que sa toison Et mêlée à peu près de la même façon 8. Nous dirions autour. 9. Se désigne à lui-même, choisit. 10. Digne d'être immolé aux dieux. 11. Le regardant avec amour, l'avalant pour ainsi dire des yeux. 12. Tu me parais gros et gras, très appétissant, et je te mangerai. 13. Il fond dessus, comme dit ailleurs La Fontaine; les oiseaux de proie semblent tomber sur leur victime. 14. L'animal bêlant, la moutonnière créature désignent ici le mouton. 15. Le fameux fromage làché jadis par le corbeau (v. p. 2). N'avait pas vu le glouton1. Dès qu'il la voit partie, il contrefait son ton2, Il demande qu'on ouvre, en disant : « Foin du Loup! Le Biquet soupçonneux par la fente regarde : << Montrez-moi patte blanche, ou je n'ouvrirai point», Deux sûretés valent mieux qu'une; 68 LE LOUP 10, LA MERE ET L'ENFANT Ce loup me remet en mémoire 11 Un de ses compagnons qui fut encor mieux pris: Un villageois avait à l'écart 12 son logis. 14 Messer 13 Loup attendait chape-chute 11 à la porte; Veaux de lait 16, agneaux et brebis, Régiments de dindons, enfin bonne provende 17. La mère aussitôt le gourmande 18, Le menace, s'il ne se tait, De le donner au loup. L'animal se tient prêt, 1. Les loups mangent gloutonnement, dit ailleurs La Fontaine. 2. Le ton de voix de la chèvre. 3. Hypocrite, mielleuse. 4. Immédiatement. 5. Une chose. 6. Plaisanterie pour dire une chose dont les loups ne se servent pas; ils n'ont pas de pattes blanches comme les chèvres. 7. S'en retourna comme il était venu, à jeun, et assez sot. 8. Précautions; vers devenu proverbe. 9. On ne prend jamais trop de précautions. 10. Voir page 10. 12. Hors du village, du gros du pays. 13. Messire, monseigneur le loup. 14.Locution proverbiale pour dire : attendait à la porte l'occasion de faire un bon coup, par exemple de ramasser un manteau égaré; chape voulait dire manteau. 15. Les animaux dont on parle ici ne sont gibier que pour les loups. 16. Veaux qui tettent encore, qui sont plus tendres que les autres. 17. Provisions de bouche. 18. Le gronde. Quand la mère, apaisant sa chère géniture1, Lui dit : « Nè criez point; s'il vient, nous le tuerons. Qu'est ceci? s'écria le mangeur de moutons : Dire d'un, puis d'un autre 2! Est-ce ainsi que l'on traite Les gens faits comme moi? me prend-on pour un sot? Que quelque jour ce beau marmot Vienne au bois cueillir la noisette 3... >> Comme il disait ces mots, on sort de la maison; Un chien de cour l'arrête; épieux et fourches-fières 5 L'ajustent de toutes manières. «Que veniez-vous chercher en ce lieu? »> lui dit-on. Aussitôt il conta l'affaire. « Merci de moi"! lui dit la mère, Tu mangeras mon fils! L'ai-je fait à dessein Qu'il assouvisse un jour ta faim? » On assomma la pauvre bête. Un manant lui coupa le pied droit et la tête. Le Léopard, ou grande panthère d'Afrique, est un animal carnassier du genre chat. Cette bêté féroce est d'une grande beauté, grâce à sa robe jaune parsemée de taches noires; elle cause de terribles ravages, massacre les troupeaux, enlève les enfants, et s'attaque même aux hommes, qu'elle surprend en faisant des bonds de 10 à 12 mè tres. Le léopard grimpe admirablement sur les arbres. Le Singe avec le Léopard 1 Ils affichaient chacun à part 1. L'un d'eux 2 disait: «< Messieurs, mon mérite et ma gloire Un manchon de ma peau, tant elle est bigarrée, Et vergetée, et mouchetée ! » 4 La bigarrure plaît: partant chacun le vit. Mais ce fut bientôt fait; bientôt chacun sortit. 8 Mon voisin Léopard l'a sur soi seulement: Singe du pape en son vivant 9, Tout fraîchement en cette ville Arrive en trois bateaux 10, exprès pour vous parler; Faire des tours de toute sorte, Passer en des cerceaux 12, et le tout pour six blancs 13... Le Singe avait raison; ce n'est pas sur l'habit L'autre, en moins d'un moment, lasse les regardants 15. ca. tés; on y vend toutes sortes de denrées; il y vient des bateleurs, faiseurs de tours, montreurs d'animaux, etc. 1. Ils n'étaient pas associés; chacun d'eux avait sa baraque et son affiche particulières. 2. Le léopard; ce n'est pas lui qui parle au public, puisqu'il s'agit de le faire voir pour de l'argent. 3. Bigarrée marque la différence de couleur; marquetée montre qu'il s'agit de taches, et mouchetée dit à peu près la même chose; vergetée se dit de raies sur la peau; mais le léopard n'est jamais vergeté comme le tigre. 4. Par conséquent. 5. De son côté. comme on va le voir. 9. Est-ce Bertrand qui, en son vivant, était singe du pape et qui, par conséquent, est mort? est-ce le pape qui est mort ? on ne peut le savoir. 10. On se servait beaucoup de bateaux ou coches d'eau pour le transport des voyageurs, des bagages et des marchandises; le singe a un tel attirail qu'il lui faut trois bateaux pour lui tout seul. 11. Les charlatans se répètent volontiers: il parie, on l'entend; il sait danser, baller (vieux mot signifiant aussi danser). 12. A travers des cerceaux. 13. Le blanc était une ancienne monnaie valant environ deux centimes; six blancs, c'est donc douze centimes ou deux 6. Ou plutôt faisait dire par celui qui sous et demi. Le charlatan semble dire : e montrait pour un sou. 7. Tours d'adresse comme en font les escamoteurs. 8. Le singe joue ici sur le mot diversité, deux sous et demi, ce ne serait pas cher; 15. Les spectateurs (ne se dirait plus. |