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« Ces blés ne devraient pas, dit-il, être debout.
Nos amis ont grand tort, et tort qui se repose
Sur de tels paresseux, à servir ainsi lents1.
Mon fils, allez chez nos parents

Les prier de la même chose. >>
L'épouvante est au nid plus forte que jamais.
« Il a dit ses parents, mère ! c'est à cette heure 2...
Non, mes enfants; dormez en paix :

3

Ne bougeons de notre demeure. >>
L'Alouette eut raison, car personne ne vint.
Pour la troisième fois, le maître se souvint
De visiter ses blés. « Notre erreur est extrême,
Dit-il, de nous attendre à d'autres gens que nous.
Il n'est meilleur ami ni parent que soi-même.
Retenez bien cela, mon fils. Et savez-vous

Ce qu'il faut faire? Il faut qu'avec notre famille 5
Nous prenions, dès demain, chacun une faucille.
C'est là notre plus court, et nous achèverons

Notre moisson quand nous pourrons. »
Dès lors que ce dessein fut su 7 de l'Alouette:
« C'est ce coup qu'il est bon de partir, mes enfants! >>
Et les petits, en même temps,

Voletants, se culebutants",

Délogèrent tous sans trompette 10.

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Canard sauvage. Long. Om,30.

Les Canards sauvages vivent dans les régions froides pendant l'été; à l'approche de l'hiver ils se dirigent en bandes vers les régions chaudes. Ils se nourrissent de poissons et de graines; leur vol est très puissant ; ils traversent les mers, et, comme ils sont excellents nageurs ils se posent de temps en temps sur l'eau pour reprendre des forces.

13

Une Tortue était 12, à la tête légère 13,
Qui, lasse de son trou 14, voulut voir le pays.

1. Et celui-là aussi a tort. qui se fie à de tels paresseux, si lents à servir.

2. Sous-entendu qu'il faut décamper. 3. Ne bougeons pas.

4. De compter sur.

5. La famille se composait autrefois de tous ceux qui habitaient la même maison, maîtres, enfants, serviteurs.

6. Ce qui sera le plus tôt fait. 7. Connu.

8. C'est pour le coup, c'est maintenant. 9. On écrit aujourd'hui culbuter, et le participe présent ne prend pas l'accord. 10. Rapidement et sans bruit. 11. Voir page 55.

12. Il existait jadis une tortue. 13. Cette tête contenait peu de cervelle, la tortue était donc une sotte.

14. Non pas le trou qu'elle se creuse pour y passer l'hiver, mais le coin de

Volontiers on fait cas d'une terre étrangère,
Volontiers gens boiteux haïssent le logis1.
Deux Canards, à qui la commère
Communiqua ce beau dessein 2,

Lui dirent qu'ils avaient de quoi la satisfaire.
<< Voyez-vous ce large chemin 3 ?

Nous vous voiturerons 4, par l'air, en Amérique.
Vous verrez mainte république 5,

7

6

Maint royaume, maint peuple, et vous profiterez
Des différentes mœurs que vous remarquerez.
Ulysse en fit autant. » On ne s'attendait guère
De voir Ulysse en cette affaire.
La Tortue écouta la proposition.
Marché fait, les oiseaux forgent 10

une machine.

Pour transporter la pèlerine. Dans la gueule, en travers, on lui passe un bâton. << Serrez bien, dirent-ils; gardez11 de lâcher prise. » Puis chaque Canard prend ce bâton par un bout. La Tortue enlevée, on s'étonne partout

De voir aller en cette guise 12

L'animal lent et sa maison 13,

Justement au milieu de l'un et l'autre oison 14. « Miracle! criait-on; venez voir dans les nues Passer la reine des tortues.

La reine! vraiment oui je la suis en effet;

Ne vous en moquez point 15. » Elle eut beaucoup mieux fait De passer son chemin sans dire aucune chose 16;

Car, lâchant le bâton en desserrant les dents,

terre dans lequel elle était obligée de des îles de la mer Adriatique). V. la vivre.

1. Pouvant à peine marcher, ils veulent courir.

2. Ce dessein ridicule, c'est en plaisantant que La Fontaine dit: ce beau dessein.

3. Le ciel que lui montrent les canards.

4. Nous vous transporterons, sans fatigue pour vous.

5. Beaucoup de républiques, etc. 6. C'est ce qu'on appelle encore aujourd'hui faire des études de mœurs.

7. Ulysse, héros d'un admirable poème d'Homère intitulé l'Odyssée, était, à ce que dit la fable, un des rois grecs qui assiégèrent Troie. Après la prise de cette ville, i erra dix ans avant de pouvoir rentrer dans son royaume d'Ithaque (une

carte.

8. On dirait aujourd'hui à voir. Ce vers est devenu proverbe.

9. On convient de prix, et sans doute la tortue paye d'avance.

10. Forger, c'est travailler au marteau sur une enclume; or la machine en question est tout simplement un bâton; la plai. santerie est excellente. 11. Evitez avec soin.

12. De cette manière extraordinaire. 13. Ce vers exprime très bien l'étonnement que devait causer la vue d'une tortue dans l'air.

14. Un oison est à vrai dire le petit d'une oie.

15. Le plus curieux est qu'on ne s'en moquait point, on admirait. 16. Sans rien dire.

Elle tombe, elle crève aux pieds des regardants 1.
Son indiscrétion 2 de sa perte fut cause.

Imprudence, babil, et sotte vanité,
Et vaine curiosité,

Ont ensemble étroit parentage3;
Ce sont enfants tous d'un lignage".

60

-

L'HUITRE ET LES PLAIDEURS

Un jour deux pèlerins 6 sur le sable rencontrent
Une Huître, que le flot y venait d'apporter 7:
Ils l'avalent des yeux3, du doigt ils se la montrent;
A l'égard de la dent9 il fallut contester.

L'un se baissait déjà pour amasser 10 la proie;
L'autre le pousse, et dit : « Il est bon de savoir
Qui de nous en aura la joie 11.

Celui qui le premier a pu l'apercevoir
En sera le gobeur 12; l'autre le verra faire.
Si par là l'on juge l'affaire,

Reprit son compagnon, j'ai l'œil bon, Dieu merci 13 !
Je ne l'ai pas mauvais aussi,

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Dit l'autre; et je l'ai vue avant vous, sur ma vie 14! Hé bien! vous l'avez vue; et moi je l'ai sentie 15. » Pendant tout ce bel incident,

Perrin Dandin 16 arrive : ils le prennent pour juge. Pe rin, fort gravement, ouvre l'Huître, et la gruge 17, Nos deux messieurs le regardant.

Ce repas fait, il dit d'un ton de président 18:

<< Tenez, la cour 19 vous donne à chacun une écaille, Sans dépens 20 ; et qu'en paix chacun chez soi s'en aille. »

1. De ceux qui la regardaient passer dans les nuages.

2.Manque de réflexion,de discernement. 3. On dirait aujourd'hui parenté.

4. Frères ou cousins par conséquent ; ce sont défauts de même espèce. Lignage est un vieux mot qui signifie race, famille. 5. Voir page 39.

6. Pèlerin veut dire voyageur et désigne surtout ceux qui faisaient des voyages de piété.

7. Venait d'y apporter : ce vers imite très bien le mouvement saccadé de la mer. 8. S'ils pouvaient, ils l'avaleraient avec les yeux qui viennent de la voir.

9. Justement on ne mâche pas les huilres. 10. Nous disons ramasser.

11. Sachons d'abord qui aura la joie de manger l'huitre.

12. La gobera, mot créé par La Fontaine.

vulgairement: il a bon pied, bon œil.
13. J'ai bonne vue, grâce à Dieu, on dit
14. Je consens à mourir si je mens.
15. Vous avez l'œil bon, j'ai le nez fin.
16. Nom de juge.

17. L'avale d'un trait, la hume.
18. Avec le plus grand sérieux, avaler
une huître, pour lui c'est un repas.

19. La cour, ce sont les magistrats quí composent un tribunal; Dandin est seul, mais le mot n'en est que plus joli.

20. Vous n'aurez rien à payer pour les frais de justice.

Mettez ce qu'il en coûte à plaider 2 aujourd'hui;
Comptez ce qu'il en reste à beaucoup de familles ;
Vous verrez que Perrin3 tire l'argent à lui,

Et ne laisse aux plaideurs que le sac et les quilles".

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On appelait Coche, au temps de La Fontaine, une grosse voiture publique destinée au transport des voyageurs et des marchandises. Le coche partait à jours et à heures fixes, d'ou la locution manquer le coche (manquer l'occasion). La diligence a remplacé le coche, le chemin

de fer a remplacé la diligence.

Tout le monde connaît les Mouches, ces insectes insupportables dont on ne parvient pas à se débarrasser, surtout à la campagne." On appelle mouche du coche une personne qui veut se rendre nécessaire quand on n'a pas besoin d'elle.

Une mouche.

Dans un chemin 5 montant, sablonneux, malaisé,
Et de tous les côtés au soleil exposé,

Six forts chevaux tiraient un Coche.

Femmes, moine, vieillards, tout était descendu6:
L'attelage suait, soufflait, était rendu7.

Une Mouche survient, et des chevaux s'approche;
Prétend les animer par son bourdonnement;
Pique l'un, pique l'autre, et pense à tout moment
Qu'elle fait aller la machine;

S'assied sur le timon, sur le nez du cocher.
Aussitôt que le char chemine,

Et qu'elle voit les gens marcher,

Elle s'en attribue uniquement la gloire ;

Va, vient, fait l'empressée; il semble que ce soit
Un sergent de bataille allant en chaque endroit
Faire avancer ses gens et hâter la victoire.

La mouche, en ce commun besoin 10,

Se plaint qu'elle agit seule et qu'elle a tout le soin;

1. Le compte de ce qu'on dépense.

2. Plaider c'est porter une affaire, une dispute devant les tribunaux.

3. Perrin désigne ici tous les gens d'affaires (avocats, procureurs, greffiers, etc.). 4. Ceux qui jouent de l'argent aux quilles emportent avec eux l'argent gagné, et ne s'occupent guère des quilles et du sac dans lequel on les met.

5. Dans un chemin, c'est donc une route encaissée, où la chaleur est très forte.

6. Quand on gravit des pentes en voiture,

on fait descendre un certain nombre de
Voyageurs; cette fois on avait dû vider la
voiture et faire descendre 10 les femmes,
20 les moines qui n'aiment pas à être dé-
rangés, 30 les vieillards infirmes.

7. N'en pouvait plus de fatigue.
8. Se remet en route.

9. On appelait sergents de bataille ou sergents de bande des officiers chargés de ranger et de faire avancer les soldats.

10. Alors qu'il s'agit de l'intérêt général.

Qu'aucun1 n'aide aux chevaux 2 à se tirer d'affaire.
Le moine disait son bréviaire :

Il prenait bien son temps 3! Une femme chantait :
C'était bien de chansons qu'alors il s'agissait!
Dame Mouche s'en va chanter à leurs oreilles,
Et fait cent sottises pareilles.

Après bien du travail, le Coche arrive au haut 5.

<< Respirons maintenant! dit la Mouche aussitôt ; J'ai tant fait que nos gens sont enfin dans la plaine". Çà 7, messieurs les chevaux, payez-moi de ma peine. Ainsi certaines gens, faisant les empressés, S'introduisent dans les affaires :

Ils font partout les nécessaires 8,

Et, partout importuns, devraient être chassés.

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Un certain Loup, dans la saison

Que 10 les tièdes Zéphyrs 11 ont l'herbe rajeunie 12,
Et que les animaux quittent tous la maison 13
Pour s'en aller chercher leur vie;

Un Loup, dis-je, au sortir des rigueurs de l'hiver,
Aperçut un Cheval qu'on avait mis au vert 14.
Je laisse à penser quelle joie 15.

<< Bonne chasse, dit-il, qui l'aurait à son croc 16.
Eh! que 17 n'es-tu mouton! car tu me serais hoc 18;
Au lieu qu'il faut ruser pour avoir cette proie.
Rusons donc. » Ainsi dit, il vient à pas comptés
Se dit écolier d'Hippocrate 20;

Qu'il connaît 21 les vertus et les propriétés

1. Que personne.

2. On dirait mieux n'aide les chevaux. 3. C'est la mouche qui parle ainsi à propos du moine et de la femme.

4. La mouche, qui se croit un personnage, une grande dame.

5. Et non pas en haut, c'est pour mieux marquer les difficultés à vaincre.

6. Sur le plateau.

7. Allons, voyons.

8. Se disent indispensables au succès d'une affaire.

9. Voir pages 32 et 10.

10. On dirait où, pendant laquelle. 11. Le Zéphyr était chez les Grecs le vent d'ouest, vent de la mer, humide et tiède.

12. Ont rajeuni l'herbe (ne se construi

rait plus ainsi).

19

13. L'étable dans laquelle on tient les bestiaux enfermés durant l'hiver.

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14. Mettre un animal au vert, c'est le laisser paître dans une prairie sans lui donner d'avoine ni de graines sèches.

15. On devine la joie du loup à cette

vue.

16. Celui-là aurait fait bonne chasse qui l'aurait accroché dans son garde-manger. 17. Pourquoi n'es-tu pas ?

18. Tu serais à moi tout de suite. 19. A ces mots, il vient tout doucement. 20. Hippocrate était un savant médecin grec qui vivait 500 ans av. J.-C. Un écolier d'Hippocrate c'est donc un médecin. 21. Se dit écolier, et dit qu'il connaît.

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